À la COP26 à Glasgow, l’article 6 de l’Accord de Paris constituait un point de tension entre les États membres. Après treize jours de négociations et cinq ans d’accrochages, les dirigeants ont fini par trouver un accord sur les règles de marchés carbone. Malgré les décisions finales enfin adoptées, les ONG dénoncent un texte remettant en cause l’intégrité environnementale.

Il aura fallu cinq années de négociations. L’article 6 de l’Accord de Paris signé en 2015 constituait jusqu’à présent un point de tensions entre les États. Samedi 13 novembre, alors que la COP26 devait officiellement s’achever la veille, un accord a finalement été conclu entre les gouvernements. Pour parvenir à un réchauffement de 1,5°C pour 2100, ce texte s’appuie sur la création de marchés carbone, conçu pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Cela signifie que chaque pays peut échanger des unités de réductions de CO2, afin d’atteindre ses propres objectifs de réduction d’émissions.
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Environ 300 millions de crédits transitionnés vers les nouveaux marchés
Ce n’est pas la première fois que la communauté internationale étudie de tels mécanismes. La question des marchés carbone se posait déjà avant les années 2000, avec la mise en place du protocole de Kyoto. « Le protocole de Kyoto a mis en place différentes mécanismes, dont le Mécanisme de développement propre, appelé le MDP », explique Clara Alibert, chargée de plaidoyer internationale pour le Secours Catholique Caritas France. Via ces MDP, différents projets énergétiques ont été menés dans les pays du Sud. Le financement de ces activités permet alors de générer des crédits de réductions d’émissions.
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Mais que faire de ces MDP à l’avenir ? La question de leur transmission dans les nouveaux marchés de l’Accord de Paris est revenue dans les débats. « Des pays comme l’Inde ou le Brésil souhaitaient transmettre les leurs car ils disposaient d’énormément d’activités de ce type dans les MDP », précise Clara Alibert. Mais afin de ne pas discréditer les nouveaux marchés, l’Union Européenne s’est opposée à leur demande. L’accord conclu prévoit alors de générer ces crédits sur une période fixe. « Ces crédits ont été générés en 2013 jusqu’à 2025. On limite dans le temps la transition des unités de Kyoto », précise la chargée de plaidoyer. Décrivant ce point comme une « concession », le Secours Catholique estime qu’environ 300 millions de crédits vont être transitionnés vers les nouveaux marchés de l’Accord de Paris.
Les ONG soulèvent des lacunes de l’article 6
Les décisions finales prévoient également la mise en place de règles opposées au double comptage d’unités de réductions. Mais les ONG préfèrent rester « vigilantes », en cas de contournement des règles. Ce n’est pas un hasard si les principaux pollueurs ont multiplié les annonces de neutralité carbone, a déclaré Myrto Tilianaki, chargée de plaidoyer au CCFD-Terre Solidaire. La promotion des marchés carbone permet de continuer leur ‘business as usual’, prédateur pour le climat, la biodiversité et les droits humains”. Les entreprises et les États se confronteraient alors à un choix. « Soit ils vont adopter une lecture très robuste de ces règles, soit ils vont contourner ces règles en jouant avec les lacunes que présentent l’article, expose Clara Alibert. Celles-ci peuvent vider l’article 6, voire l’Accord de Paris, de son sens ».
Les organisations dénoncent également un risque d’« impacts sur l’économie locale et les peuples autochtones » en adoptant de tels mécanismes. « Les crédits carbone sont répartis notamment dans les pays du Sud. Cela compte aussi des territoires autochtones, précise la chargée de plaidoyer internationale du Secours Catholique Caritas France. Il y a des MDP qui ont causé des violations des droits humains par le passé, via des pratiques d’accaparement des terres et l’accès aux ressources naturelles ».
Pour éviter de nouvelles violations, les ONG demandaient un « engagement fort sur les droits humains », notamment avec la mise en place d’un mécanisme de « plaintes indépendantes ». Il s’agirait alors pour les communautés impactées par des projets de marché carbone d’obtenir réparation. « C’est une première victoire, fruit d’une forte mobilisation » se réjouit la chargée de plaidoyer. Mais malgré ces concessions, les ONG continuent d’insister : les marchés carbone ne seraient pas « la solution face à l’urgence climatique ».
Sophie Cayuela