Le bisphénol A fait peser des risques « avérés » aux animaux et « suspectés » aux hommes, selon un rapport de l’Agence de sécurité sanitaire de l’environnement et de l’alimentation (Anses), rendu dans le cadre des travaux d’évaluation des risques liés au bisphénol A. Ce perturbateur endocrinien, désormais bien médiatisé, pourrait être interdit dans tous les contenants alimentaires et être l’objet de campagnes d’informations dès début 2012.
Le rapport de l’Anses paru le mardi 27 septembre 2011 met en évidence des effets sanitaires suite à l’exposition à de faibles niveaux de bisphénol A (BPA). Le plus inquiétant est que ces doses sont notablement inférieures aux doses de référence (NOAEL de 5 mg/kg/j) ayant servi à calculer la dose journalière admissible établie par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). Cette dose journalière admissible nous exposerait donc à de graves dangers.
Le lendemain, mercredi 28 septembre, le député PS Gérard Bapt dépose une proposition de loi qui permettrait d’étendre l’interdiction des biberons à base de BPA en vigueur depuis novembre 2010, à l’ensemble des contenants alimentaires (fabrication, importation, exportation). Votée ce mercredi par la Commission des Affaires sociales, cette interdiction totale sera soumise aux députés le 6 octobre prochain. « Sans attendre l’arrivée de substituts, il faut agir pour protéger les populations fragiles, ce serait quasi criminel de ne pas lancer des campagnes d’information de précaution », a-t-il déclaré à l’AFP. La ministre de l’Ecologie, Nathalie Kosciusko-Morizet, s’est également prononcée en faveur d’une campagne d’information début 2012 pour « les quelques produits pour lesquels il n’y a pas de produit de substitution à ce stade », en vue de réduire l’exposition au BPA des populations sensibles. Elle envisage également un étiquetage systématique des produits contenant du BPA qui sont en contact avec les populations. Cet étiquetage devrait être mis en place « très rapidement », a-t-elle ajouté, sans pour autant fournir de calendrier.
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Effets avérés, suspectés, controversés
Ces effets ont particulièrement été étudiés lors de certaines phases de développement de l’individu où il est particulièrement fragile : grossesse, périodes pré et postnatale (nourrissons, jeunes enfants, ainsi que femmes enceintes et allaitantes). Chez l’Homme, aucun effet n’est avéré. Seuls des risques « suspectés » ont été retenus : effets sur la maturation ovocytaire chez la femme dans un contexte de procréation médicalement assistée et effets sur les pathologies cardiovasculaires et le diabète. Des effets sur le système reproducteur masculin sont dits controversés, les études sur lesquelles on peut se fonder n’étant pas totalement convergentes. Les experts considèrent que les données humaines disponibles sont insuffisantes à ce jour pour conclure sur les effets du BPA sur le cerveau et le comportement, ainsi que sur la thyroïde et le système immunitaire.
Chez les animaux, tout est plus facile à étudier et les effets avérés (c’est-à-dire reconnus et acceptés) chez l’animal sont divers : altération de la production spermatique lors d’expositions à l’âge adulte, augmentation de la survenue de kystes ovariens lors d’expositions pré et postnatales, modifications de la muqueuse de l’utérus lors d’expositions pré et postnatales, avancement de l’âge de la puberté lors d’expositions pré et post-natales, effets sur le développement du cerveau lors d’expositions pré ou périnatale, effets sur le métabolisme des sucres et des graisses avec une tendance à la surcharge pondérale suite à une exposition prénatale, périnatale ou à l’âge adulte, effets sur la glande mammaire avec accélération de sa formation et développement de lésions en lien avec une exposition pré ou périnatale au BPA.
Chez les animaux, les effets sur le système reproducteur mâle dus à une exposition pendant la période pubertaire (diminution des concentrations plasmatiques de testostérone, modification de l’activité sexuelle), sont suspectés. Ils sont controversés, lorsque l’exposition est d’exposition prénatale, néonatale et post-natale (lactation). Des effets sont également suspectés sur l’inflammation de l’intestin et la perméabilité intestinale, et, chez le mâle, sur l’apparition de lésions de la prostate. Les femelles sont suspectées d’être davantage exposées à des tumeur du sein. Les effets sont controversés chez l’animal sur le poids des organes reproducteurs, l’anxiété, les marqueurs de maturité sexuelle, la prostate…
Un rapport de l’Inserm utilisé pour la construction du rapport de l’Anses conclut « dans l’ensemble, les études épidémiologiques sont trop peu nombreuses pour déterminer la plausibilité chez l’Homme des effets observés dans l’expérimentation animale ». A cela, il précise, « la confirmation ou l’infirmation de la plausibilité de retrouver chez l’Homme certains des effets mis en évidence dans l’expérimentation animale à la suite d’expositions durant la phase du développement impliquerait la réalisation d’études avec un suivi régulier des expositions chez la femme enceinte puis un suivi sanitaire de sa descendance, longues et lourdes méthodologiquement, auprès de populations de taille importante ». L’Anses choisit donc de promouvoir la réalisation d’études épidémiologiques dont les caractéristiques (type d’étude, effectif et mode de recrutement des populations observées, contrôle des principaux facteurs de confusion, etc.) permettent de produire des résultats avec un haut niveau de preuve sur l’existence d’un lien causal entre exposition au BPA et les évènements de santé étudiés.
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Un environnement quotidien chargé en BPA
En 2006, la production mondiale de BPA s’élevait à environ 3,8 millions de tonnes, utilisées aux deux tiers pour la fabrication de plastiques en polycarbonates et pour un tiers pour celle de résines époxydes, notamment utilisées dans des matériaux au contact des denrées alimentaires (canettes et boîtes de conserve). Les secteurs industriels concernés sont très variés.
Un grand nombre d’objets et préparations ont ainsi été identifiés par l’Anses : contenant et emballage alimentaire, appareils électroménagers, matériel informatique, CD et DVD vierges, voitures (un peu partout dedans et à l’extérieur), lunettes, lentilles de contact, bonbonnes ou bouteilles plastiques en PVC, câbles, mastics, adhésifs, articles de sports, pièces dans l’aviation, matériel d’installation électrique, , dispositifs et appareils médicaux, encres d’imprimerie, vaisselle et autres articles de table et articles de toilette, colle, outils, lubrifiant,, etc. Il existe d’autres usages mineurs, de ce produit. Celui-ci se retrouve comme révélateur dans les papiers thermiques des tickets de caisse,… Le BPA sert également à la fabrication de deux retardateurs de flamme : le tétrabromobisphénol A et le bisphénol A bis (diphénylphosphate).
Branle-bas de combat de l’industrie
La réaction de l’Union des industries chimiques (UIC) ne s’est pas fait attendre. Dès le lendemain de la parution des rapports de l’Anses, l’UIC déclare que la substitution du BPA par une seule substance n’est pas envisageable pour le moment, en particulier dans les résines au contact des aliments.
L’Anses ayant lancé un appel à contributions afin de recueillir d’ici fin novembre 2011 toute donnée scientifique concernant, notamment, les produits de substitution disponibles et les données relatives à leur innocuité et leur efficacité, l’UIC affirme dès à présent dans un communiqué ne pas « accepter le principe de remplacement d’une substance bien évaluée par une substance moins bien évaluée du point de vue de ses impacts sanitaires et environnementaux ». Les industriels de la chimie demandent que « les effets à très faible concentration chez l’homme soient confirmés par des études scientifiques complémentaires et fassent l’objet d’un partage de vues au niveau européen ». Cela leur permettrait de gagner quelques années, pendant lesquelles l’exposition se poursuivrait…
Auteur : Matthieu Combe, fondateur du webzine Natura-sciences.com