Alors que le cours de l’uranium s’envole, le rapport annuel de l’agence européenne d’approvisionnement Euratom (ESA) consacré à l’approvisionnement en uranium européen est riche d’enseignements. Combien d’uranium faut-il pour faire tourner les réacteurs ? D’où provient-il ?
Le cours mondial de l’uranium s’envolent depuis septembre 2023. Si le prix au comptant hebdomadaire de référence – celui de l’oxyde d’uranium (U3O8) – était plutôt stable, autour de 50 dollars la livre (environ 450 grammes) sur les premiers mois de l’année 2023, il a atteint 106 dollars la livre entre le 16 et le 22 janvier 2024. C’est son plus haut niveau depuis 2007, lorsque le cours avait atteint 140 dollars.
Cette flambée des prix invite à s’intéresser aux besoins en uranium en Europe, leur provenance et les besoins à venir. Sur ces différents points, le dernier rapport de l’agence européenne d’approvisionnement Euratom (ESA) publié le 29 janvier 2024 est riche d’enseignements.
Quels besoins pour les réacteurs nucléaires européens ?
D’après les données du dernier rapport de l’agence européenne d’approvisionnement Euratom (ESA) publié le 29 janvier 2024, en 2022, le chargement de combustible dans les réacteurs européens a nécessité l’équivalent de 11.327 tonnes d’uranium naturel. La demande d’uranium naturel dans l’UE représentait environ 18 % des besoins mondiaux.
L’UE a calculé ses besoins en uranium naturel pour ses 20 prochaines années. Ainsi, elle prévoit des besoins annuels de 12.417 tonnes sur la période 2023 – 2032. Ces besoins baisseraient à 10.009 tonnes par an sur la période 2033 – 2042. « Par rapport à l’estimation de l’année précédente, les besoins bruts moyens des réacteurs de l’UE en uranium naturel ont augmenté de 2 %, relève le rapport. Cela contraste avec la tendance des années précédentes, lorsque les besoins bruts moyens des réacteurs de l’UE étaient régulièrement révisés à la baisse. »
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Ces chiffres ne prennent toutefois en compte que les besoins en uranium des centrales qui ont obtenu leur permis de construction. Ainsi, ils délaissent les approvisionnements liés à l’ensemble des EPR qui verraient le jour notamment en France à l’horizon 2035. La Suède prévoit également de relancer sa production nucléaire, avec une douzaine de réacteurs d’ici 2045. Ces besoins pourraient bien être globalement revus à la hausse, alors que 22 pays dont la France, la Suède, la République Tchèque, la Slovaquie, la Bulgarie, la Roumanie, la Hongrie, la Pologne, la Slovénie, la Finlande et les Pays-Bas ont appelé lors de la COP28 à Dubaï à tripler les capacités de production nucléaire mondiales d’ici 2050 par rapport à 2020.
D’où vient l’uranium importé en Europe ?
En 2022, 10.993 tonnes (97%) d’uranium naturel ont été importées de pays situés hors de l’Union européenne. L’ESA comptabilise aussi l’équivalent de 277 tonnes d’uranium économisées grâce à l’utilisation du combustible MOX dans plusieurs réacteurs en France et à l’étranger. Les 57 tonnes restantes proviennent de l’uranium retraité et de l’uranium produit sur le territoire de l’UE.
D’après le rapport de l’ESA, en 2022 les approvisionnements européens provenaient majoritairement de quatre pays : le Kazakhstan (26,8%), le Niger (25,4%), le Canada (22%) et la Russie (16,9%). Loin derrière se trouvent l’ Ouzbékistan (3,8%), l’Australie (2,8%), l’Afrique du Sud et la Namibie (2,2%).
Faire face à la nouvelle donne géopolitique
Le regain d’intérêt mondial pour le nucléaire, combiné à la guerre en Ukraine lancée en février 2022 et au coup d’État au Niger en juillet 2023, participent activement à la flambée actuelle des prix. La nouvelle donne géopolitique invite donc les entreprises à varier leurs approvisionnements. En particulier, les livraisons d’uranium en provenance de Russie ont baissé de 16% entre 2021 et 2022, selon l’ESA. Elles ont été contrebalancées par la hausse des importations en provenance notamment du Kazakhstan, de l’Ouzbékistan et du Canada.
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Face à « un risque accru lié à l’approvisionnement russe et lié à la nouvelle situation géopolitique », l’ESA appelle l’industrie nucléaire et les exploitants d’électricité à mieux anticiper et à « s’efforcer de garantir un approvisionnement régulier et suffisant quelle que soit la structure du marché d’approvisionnement ». L’agence appelle en ce sens à conclure des « contrats pluriannuels provenant de diverses sources d’approvisionnement ». En ligne avec cette recommandation, les livraisons d’uranium à l’UE se sont faites à 98% dans le cadre de contrats pluriannuels en 2022.
Des chaînes d’approvisionnement « fiables et à faible risque »
La flambée des prix provient aussi d’un déficit d’investissements après la catastrophe nucléaire de Fukushima au Japon en 2011, plusieurs pays ayant alors engagé un débat sur la sortie du nucléaire. L’agence recommande en plus aux États membres qui relancent la production d’énergie nucléaire d’avoir des règles claires pour garantir la sécurité des chaînes d’approvisionnement. Elle appelle les industriels du secteur à se doter d’ « un niveau de stocks approprié » et d’avoir des « itinéraires et moyens de transport alternatifs ».
L’ESA estime qu’ « une sécurité d’approvisionnement idéale implique au moins deux fournisseurs alternatifs pour chaque étape du cycle du combustible et, si possible, au moins un fournisseur européen de services ». Ainsi, l’agence invite à moyen terme à engager des investissements dans l’UE et dans ses pays partenaires « fiables et à faible risque » pour développer la prospection et l’exploitation de nouveaux gisements, « dans le respect des aspects de durabilité ».