Blanc comme neige. L’expression est bien connue. Pourtant, la neige n’est pas toujours toute blanche. Une algue microscopique, la Sanguina nivaloides, la pare de rouge durant l’été, ce qui produit « le sang des glaciers ». Des chercheurs du CNRS nous dévoilent les secrets de cette algue.
Connaissez-vous le “sang des glaciers” ? Ce phénomène teint de rouge la neige des montagnes durant l’été. Il est causé par la prolifération d’une algue microscopique, la Sanguina nivaloides dont le diamètre moyen avoisine les 16 micromètres, soit 0,016mm. L’existence de cette algue est connue depuis le XIXe siècle. Toutefois, la “Sanguina nivaloides n’a été décrite en tant qu’espèce qu’en 2019”, explique Éric Maréchal, directeur de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) au Laboratoire de physiologie cellulaire et végétale (LPCV). Ainsi, la manière dont cette algue parvient à se développer dans un tel environnement reste méconnue.
Une équipe de scientifiques du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), du Commissariat à l’Énergie Atomique (CEA), de Météo-France, de l’Institut national de la recherche agronomique (INRAE) et de l’Université Grenoble Alpes se sont intéressés à ce minuscule végétal. Grâce à des échantillons prélevés dans le Vallon de Roche Noire dans les Alpes Françaises, ces chercheurs ont réussi à percer le mystère du cycle de vie de cette algue dans la neige. L’étude, publiée en novembre dans le magazine Nature Communications, permet d’en apprendre plus sur ce végétal “pilier d’un écosystème des neiges”.
“Une adaptation propre à la vie dans la neige”
À partir des échantillons prélevés dans les Alpes, les chercheurs du CNRS ont pu en apprendre davantage sur cette algue. La première découverte de cette étude porte sur l’endroit où prolifère la Sanguina nivaloides. En effet, l’algue ne vit pas directement dans les cristaux de glace qui composent la neige mais bien dans l’eau liquide circulant entre ces cristaux.
Éric Maréchal, directeur de recherche au CNRS et auteur de l’étude, détaille ces découvertes. “Dans ces régions, au printemps, lorsque de l’eau liquide circule à l’intérieur de la neige, dans ce qu’on appelle des névés, un écosystème microscopique complet s’installe”. Dans cet écosystème, la photosynthèse “qui capture le CO2 atmosphérique et le convertit en molécules organiques” est essentielle. Sans ce phénomène, il n’y aurait pas de matière organique nécessaire à de nombreuses formes de vie. “Dans le monde microbien qui colonise la neige, ce rôle [d’organisme photosynthétique] est joué par les microalgues, explique-t-il. Sanguina nivaloides étant la plus abondante de ces algues, en particulier lorsqu’elle forme des efflorescences ou blooms qui colorent la neige en rouge, son rôle est par conséquent majeur”.
Une architecture cellulaire tirant le meilleur partie de son environnement
Grâce à la microscopie électronique 3D, les scientifiques sont parvenus à analyser “l’architecture cellulaire de l’algue”. En d’autres mots, ils ont précisément modélisé l’une de ces algues en 3D et ont ainsi pu observer la manière dont elle fonctionne. Les chercheurs du CNRS ont alors découvert que la surface de cette algue est ridée. Cette caractéristique lui permet d’extraire plus facilement les ions nécessaires à sa survie. Sans cela, la Sanguina nivaloides ne pourrait pas survivre dans la neige, le milieu étant très pauvre en nutriments.
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Cependant, la découverte la plus étonnante concerne le chloroplaste de l’algue, soit l’organite responsable de la photosynthèse. Chez la plupart des végétaux, les chloroplastes sont tous dirigés dans une même direction, celle d’où leur parvient la lumière. Or, dans la neige, la lumière est réfléchie dans toutes les directions. La Sanguina nivaloides s’est donc adaptée à cet environnement particulier en ouvrant ses chloroplastes “en éventail”. Elle parvient alors à recevoir de la lumière quelle que soit sa provenance. “[L’organisation “en éventail des chloroplastes] se présente comme une caractéristique adaptative de la vie dans la partie supérieure du manteau neigeux”, explique l’étude.
Une algue couleur rouge pour se protéger du “stress oxydant”
Les chercheurs se sont également intéressés à la fameuse couleur rouge du sang des glaciers. Celle-ci provient de la caroténoïde, le même pigment donnant sa couleur aux tomates, aux carottes ou encore aux œufs. Avant cette étude, le consensus général voulait que ce pigment rouge fasse partie d’un mécanisme de défense contre les UV. En réalité, la Sanguina nivaloides utilise ce pigment pour se défendre du “stress oxydant”.
En résumé, la forte lumière diffusée dans le manteau neigeux rend certaines molécules très réactives et agressives. “Sanguina pallie ce problème grâce à des caroténoïdes rouges vifs, des pigments qui protègent de ces molécules oxydantes très agressives. Ces pigments s’accumulent dans des structures sphériques très abondantes dans la cellule de Sanguina. Il s’agit d’une adaptation remarquable à la très haute luminosité qui caractérise la neige en haute montagne et dans les régions polaires”, explique Éric Maréchal.
Le sang des glaciers menacé
Comme décrit dans l’étude, la Sanguina nivaloides est un pilier de l’écosystème qui se développe dans ces manteaux neigeux. Sa forte présence fait d’elle le principal producteur de nutriments de la couche de neige. “De sa présence dépend celle d’autres organismes, décrit le chercheur du CNRS. Cet écosystème est méconnu, car Sanguina nivaloides n’a été décrite en tant qu’espèce qu’en 2019, et qu’on n’en connaît même pas le génome”.
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Cependant, le dérèglement climatique menace le sang des glaciers et tout l’écosystème qui l’accompagne. La réduction des zones et des périodes d’enneigement dans les Alpes réduit l’habitat de cette algue. “Dans les Alpes, depuis 50 ans, la période au cours de laquelle on mesure des précipitations neigeuses a diminué de 5 semaines”, précise Éric Maréchal. Sans la protection de ces manteaux neigeux, la Sanguina nivaloides, sensible au gel, disparaîtra de nombreuses zones à cause des vents glaciaux. “Elle conservera cependant quelques sanctuaires. [À cause de cette menace], voir aujourd’hui des neiges rouges en montagne est donc très émouvant”, assure le directeur de recherche.