Une perte de la couverture nuageuse à basse altitude, au moins en partie due au changement climatique, aurait laissé entrer plus d’énergie solaire ces dernières années, entrainant des anomalies de chaleur d’autant plus importantes. Dans la communauté scientifique, un débat demeure pour déterminer s’il s’agit d’une simple variation ou d’une accélération du système climatique.

D’ici la fin du siècle, l’accord de Paris sur le climat prévoit de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C par rapport à l’ère pré-industrielle. Pourtant, dès 2023, l’élévation des températures était de 1,48°C, pulvérisant le dernier record en le surpassant de 0,17°C. Un an plus tard, on franchit le seuil plus que symbolique des 1,5°C. 2024 restera la première année à accomplir ce fait historique, selon l’observatoire européen Copernicus.
Malgré le changement climatique, aucun scientifique ne s’attendait à observer si tôt des températures aussi importantes. Dans la revue Nature, Gavin Schmidt, climatologue pour la Nasa, poussait même un cri d’alarme en mars 2024 dans un article intitulé Les modèles climatiques ne peuvent pas expliquer l’énorme anomalie de chaleur de 2023 – nous pourrions être en territoire inconnu. D’après ses recherches, en 2023 la planète s’est réchauffée de 0,2°C de plus que ce que les climatologues attendaient. « Il est urgent de disposer de données plus nombreuses et de meilleure qualité », lançait-il.
Moins de nuages à basse altitude
Une étude parue en Décembre 2024 dans la revue Science amène une réponse étonnante. « Ces dernières années, et 2023 en particulier, nous avons observé le déclin des nuages à basse altitude dans les latitudes moyennes septentrionales (autour de l’Arctique) et les tropiques, explique Helge Gößling, auteur principal de l’étude et chercheur à l’Institut Alfred Wegener, en Allemagne. Mais ces nuages refroidissent le climat en renvoyant les rayonnements solaires dans l’atmosphère. » Davantage d’énergie solaire arrive donc sur Terre, ce qui réchauffe mécaniquement le climat.
Pour obtenir ces résultats, son équipe a analysé les données du satellite CERES de la Nasa. Un outil qui permet de mesurer l’albédo de la Terre, c’est à dire la proportion de l’énergie solaire renvoyée par l’atmosphère de notre planète. « Nous avons été très surpris en voyant une chute prononcée de l’albédo en 2023, beaucoup plus importante que les années précédentes, qui coïncidait avec un fort déclin de la couverture nuageuse basse sur la même année », détaille Helge Gößling. Selon son étude, sur les 1,48°C d’anomalie de chaleur de 2023, 0,22°C sont attribuables à une diminution de l’albédo terrestre. Une valeur très proche du montant que les scientifiques n’expliquaient pas.
L’homme responsable de la perte de nuages ?
Mais comment expliquer cette perte importante de nuages à basse altitude en 2023 ? Le changement climatique, et donc l’homme qui en est responsable, y joue-t-il un rôle ? « La réponse des nuages au réchauffement climatique est l’une des plus grandes incertitudes de la modélisation du climat », souligne Sandrine Bony, climatologue et directrice de recherche au CNRS. Traduction, il est encore trop tôt pour savoir exactement les causes du phénomène.
Seule certitude : la plupart des scientifiques s’accordent pour dire que dans un climat plus chaud, les nuages refroidiront moins la Terre, entrainant un réchauffement climatique d’autant plus important. Mais aucun consensus n’a encore pu être établi sur l’ampleur du mécanisme. « Les recherches récentes ont d’ailleurs plutôt réduit l’ampleur de cette rétroaction », rassure Sandrine Bony.
Simple variation ou emballement du système climatique ?
La chute exceptionnelle de l’albédo en 2023 soulève donc de nombreuses questions scientifiques. Etait-ce un événement isolé ? Ou doit-on se préparer à un rythme de réchauffement climatique d’autant plus accéléré ? « C’est la grande question en suspens, admet Helge Gößling. Il est probable qu’une partie de la diminution de l’albédo se maintienne, voire s’intensifie, en raison de la baisse des concentrations d’aérosols dans l’atmosphère (due principalement à une modification des fiouls utilisés par les bateaux marchands) et d’une éventuelle rétroaction entre le réchauffement climatique et les nuages à basse altitude. Toutefois, une partie de ce déclin peut également être due à des variations aléatoires. »
Pour le chercheur allemand, la priorité doit être d’étudier les mécanismes entre changement climatique, nuages et albédo, pour comprendre les risques auxquels font face les sociétés humaines. « Les prochaines années seront cruciales à cet égard, pour mieux cerner la direction dans laquelle nous nous dirigeons », souligne-t-il.