Le dérèglement climatique est une véritable menace pour les coraux. Les vagues de chaleur marines causent la mort de nombreux individus. Mais il se pourrait qu’un élément puisse les aider à lutter contre l’extinction. Des chercheurs de l’Université de Miami ont étudié le cas des gorgones pourpres, dont certains individus résistent mieux à la hausse des températures que d’autres.

Le dérèglement climatique est l’une des causes majeures de mortalité chez les coraux. Mais il semble que certains individus y résistent mieux que d’autres. C’est le cas de quelques spécimens de gorgones pourpres (Paramuricea clavata), très abondantes en Méditerranée occidentale. Le CNRS décrit ces coraux comme des « éléments essentiels des paysages sous-marins de Méditerranée nord occidentale ». Une étude de l’école Rosentiel des sciences marines et atmosphériques de l’Université de Miami, publiée le 11 janvier dans Environmental Microbiology, s’est intéressée à ce corail. L’objectif : comprendre pourquoi certaines gorgones sont plus résistantes au stress thermique que d’autres.
Dans le cadre de cette recherche, l’équipe internationale composées de chercheurs du département de biologie et d’écologie marine de l’Université de Miami, de l’Institut de BIologie Evolutive (IBE) et de l’Institut des Sciences de la Mer (ICM-CSIC) de Barcelone et du Centre Interdisciplaire de Recherche Marine et Environmentale (CIIMAR) de Porto au Portugal a particulièrement étudié le microbiome des gorgones pourpres. Celui-ci représente l’ensemble des micro-organismes vivant à l’intérieur de cette espèce de corail. Il apparaît que la présence de certains micro-organismes parasites permettent à quelques gorgones d’être moins thermosensibles. Ce sont les syndiniales. L’étude est claire, la présence de ces micro-organismes n’immunise pas la gorgone pourpre aux vagues de chaleurs marines. Cependant, les syndiniales améliorent les chances de survie des gorgones pourpres qui subissent des hausses de températures.
Les syndiniales, des parasites protecteurs
D’après l’Observatoire de l’environnement en Bretagne (OEB), les syndiniales sont des micro-organismes parasitaires capables d’infecter une variété d’organismes marins. L’étude de l’Université de Miami révèle que les syndiniales sont présents en grand nombre « dans les coraux thermiquement résistants ». Dans le même temps, les corallicolides, un autre micro-organisme naturellement présent chez certains coraux, sont « significativement enrichis dans les coraux thermiquement sensibles ». Cependant, la raison pour laquelle ce parasite confère une résistance thermique à l’hôte corallien n’est pas encore connue. Pour Anthony Bonacolta, premier auteur de l’étude, ces résultats soulignent « la nécessité d’étudier le rôle du parasitisme dans la dynamique nutritionnelle [entre les micro-organismes et leurs hôtes] marins, en particulier face aux facteurs de stress ».
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Selon les chercheurs de l’Université de Miami, l’enjeu est de parvenir à mieux comprendre les capacités de protection des coraux. « Une meilleure compréhension de tous les microbes qui peuvent influer sur la survie peut informer les conservateurs sur les coraux qu’ils devraient prioriser pour l’intervention [de conservation] », expliquent-ils dans leur étude. Pour Jean-Baptiste Ledoux, auteur de l’étude et chercheur au CIIMAR (Interdisciplinary Centre of Marine and Environmental Research), cette étude « contribue à la définition des processus impliqués dans une résistance potentielle aux événements de mortalités [dus à la chaleur] ».
Un microbiome avec une macro influence
L’étude du microbiome, et surtout de sa portion eucaryote, est inédite. Le terme eucaryote désigne les cellules possédant un noyau. Cette partie du microbiome a « des implications majeures sur la santé du corail dans un océan en réchauffement », précise Javier del Campo, également auteur de l’étude. C’est la raison pour laquelle il est essentiel d’en apprendre davantage sur le mécanisme de protection permis par les syndiniales.
Les gorgones pourpres sont très sensibles aux vagues de chaleurs marines. « Une température de l’eau supérieure à 25°C pendant quelques jours suffit à déclencher des phénomènes de nécroses tissulaires qui peuvent se solder par la mort », précise Jean-Baptiste Ledoux. Par exemple, selon une lettre à l’éditeur, publiée dans Global Change Biology en 2023, les vagues de chaleur marines de 2022 ont été dévastatrices en Méditerranée. En effet, plus de 80% des gorgones pourpres ont été affectées par la chaleur entre la surface et vingt mètres de profondeur. Entre vingt et trente mètres, ce sont plus de 65% des individus de l’espèce qui ont subi les dommages des épisodes de réchauffement océanique. « Compte tenu de l’importance écologique des gorgones rouges et des coraux rouges en tant qu’espèces formatrices d’habitat, leur effondrement entraînera une importante perte de complexité de l’habitat, ce qui aura des conséquences importantes au niveau de l’écosystème », conclut l’étude.
Des coraux au centre de l’écosystème méditerranéen
La gorgone pourpre, comme beaucoup d’autres coraux, est un lieu de vie et de biodiversité très important.« Paramuricea clavata est une espèce dite formatrice d’habitats », explique Jean-Baptiste Ledoux. « Prenez par exemple une plaine. Mettez-y des arbres. Vous obtiendrez une forêt qui sera par essence considérée comme un habitat plus complexe et plus diversifié. Paramuricea a donc un effet positif sur les espèces associées, sa présence augmente la diversité biologique de l’écosystème », détaille-t-il. Ainsi, en créant des abris entre ses branches, la gorgone pourpre permet à tout un écosystème de se développer.
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Actuellement, la conservation des coraux consiste principalement dans le classement des différentes espèces. Pour cela, différentes listes et conventions existent. Il y a notamment celles de Berne et de Barcelone, ainsi que les directives de l’Union européenne sur les habitats. De son côté, l’UICN publie annuellement une liste des espèces menacées. En 2017 déjà, cette organisation internationale alertait sur le fait que 13% des anthozoaires de Méditerranée, dont font partie les gorgones rouges, étaient menacées d’extinction.
Des découvertes pour aider la conservation
« À un niveau plus local, certaines populations font partie d’aires marines protégées plus ou moins réglementées comme aux îles Medes, en Catalogne, ou dans la réserve marine de Scandola, en Corse. Ceci étant dit, ces mesures n’empêchent en rien l’impact des vagues de chaleur marine, qui les touche aussi », ajoute Jean-Baptiste Ledoux. En effet, les aires marines protégées permettent d’abriter les coraux de plusieurs menaces. En particulier de l’arrachage, de la destruction par des engins de pêche ou encore de la modification de leur environnement. Cependant, les températures marines augmentent également dans ces zones. En ce sens, les syndiniales ne pourront jamais protéger intégralement les peuplements coralligènes.
Dans ce contexte, la découverte de l’équipe de recherche de l’Université de Miami peut sembler très prometteuse. Toutefois, il convient de prendre des précautions. La recherche sur les mécanismes de protection thermique des coraux par les syndiniales se poursuit. Au-delà de ces résultats, « de futures recherches doivent se concentrer sur l’identification des mécanismes par lesquels ces microbes peuvent accorder une résilience thermique à des coraux solitaires », indique l’étude.
En ce sens, il est trop prématuré d’envisager une protection à grande échelle des récifs coralliens avec des syndiniales. « L’idée de ‘contaminer‘ les coraux avec ces micro-organismes n’est pas mauvaise en théorie mais nous en sommes très loin. Il reste de nombreuses questions à aborder », avertit Jean-Baptiste Ledoux. Par ailleurs, ce dernier rappelle que les micro-organismes ne sont pas les seuls paramètres influençant la thermorésistance des coraux. « Nous avons montré, dans des études précédentes, que d’autres facteurs (génétiques et physiologiques) peuvent aussi entrer en jeu dans la résistance », précise-t-il.

