Planter un arbre pour sauver la planète : beaucoup d’entreprises font ce type de promesse. Cependant, selon une étude de l’université de Sheffield, cela ne serait pas aussi efficace qu’il n’y paraît. En effet, le boisement à grande échelle a des “effets secondaires”. Ceux-ci pourraient neutraliser jusqu’à un tiers des bénéfices du captage du carbone par les forêts.

Le boisement ne serait pas aussi efficace qu’on pourrait le penser pour lutter contre le dérèglement climatique. C’est ce que montre l’étude menée par l’université anglaise de Sheffield, publiée ce 22 février dans la revue Science. Selon les chercheurs, le boisement, ou la reforestation, ont généralement un impact positif sur le climat. Cependant, certains “effets secondaires” du boisement peuvent venir diminuer ces bénéfices. D’après l’étude, “bien que la reforestation augmente l’absorption de dioxyde de carbone de l’atmosphère, d’autres réponses complexes du système Terre pourraient, ensemble, neutraliser jusqu’à un tiers de ces bénéfices”.
Simuler un reboisement massif pour anticiper les effets des forêts sur le climat
Pour étudier les répercussions de ces effets secondaires sur les bénéfices climatiques du boisement, les scientifiques se sont basés sur deux scénarios mettant en place une augmentation de la surface planétaire boisée de 750 millions d’hectares d’ici 2095. “Ce scénario théorique de reforestation maximale biophysique » a pour but de mieux détecter « les changements biophysiques [dans l’atmosphère]”, précisent les chercheurs. En comparaison, en 2020, selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), “la superficie forestière mondiale [était] de 4,06 milliards d’hectares, ce qui représente environ 31% de la superficie totale des terres”.
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Dans le premier scénario exploré, peu de mesures sont mises en place pour lutter contre le dérèglement climatique. Celui-ci entraîne alors “un réchauffement climatique pouvant atteindre 4°C au-dessus des températures préindustrielles” d’ici la fin du siècle, explique l’étude. Dans le second, de multiples mesures sont utilisées et le réchauffement est limité à 2°C à cet horizon. Pour les chercheurs de Sheffield, ces simulations “fournissent des perspectives approfondies sur les impacts de la reforestation sur la composition atmosphérique et le climat dans deux futurs contrastés”.
Allié à d’autres mesures d’atténuation, le boisement est efficace
Dans le scénario à +4°C, les chercheurs ont pu constater que “le puits de carbone renforcé de la biosphère” a réduit le CO2 atmosphérique de 656 milliards de tonnes de CO2 (GtCO2) d’ici 2095, ce qui a bien entraîné un refroidissement. Toutefois, selon les chercheurs, la reforestation “n’a compensé qu’environ 14% de l’augmentation de CO2 prévue” à cet horizon. “Cette découverte suggère que l’utilisation de la reforestation jusqu’à la limite biophysique a peu de chances de réduire le CO2 à des niveaux conformes aux objectifs de stabilisation à long terme de la température de l’Accord de Paris lorsque d’autres mesures d’atténuation du changement climatique ne sont pas poursuivies simultanément”, explique l’étude.
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Dans le second scénario, le boisement a réduit le CO2 atmosphérique de 227 GtCO2 d’ici 2095. Selon les chercheurs, cette différence avec le scénario à +4°C est due “aux niveaux de CO2 atmosphérique plus bas”. Effectivement, ce second scénario combine des mesures d’atténuation des émissions à leur absorption par le boisement. Ainsi, la quantité de CO2 ayant besoin d’être captée est moindre. Cependant, dans ce scénario, le boisement a permis de compenser 50% de l’augmentation de CO2 prévue d’ici à 2095. Selon l’étude, “[ces résultats] suggèrent que lorsqu’elle est mise en œuvre conjointement avec d’autres mesures de réductions des émissions de gaz à effet de serre, une telle reforestation pourrait contribuer à un avenir où les niveaux de CO2 à la fin du siècle sont proches de ceux de 2015”.
Deux effets secondaires principaux
Selon les chercheurs, le boisement entraîne principalement deux effets secondaires. D’un côté, l’augmentation des émissions organiques biogéniques et, de l’autre, la diminution de l’albédo de surface. Combinés, ces deux effets peuvent neutraliser une partie des bénéfices engendrés par la captation de carbone des forêts. D’après l’étude, cette neutralisation peut s’élever jusqu’à 31% du carbone capté dans le cadre du scénario à +4°C et 18% dans celui à +2°C. Les émissions organiques biogéniques sont des composés que les plantes produisent naturellement. Ceux-ci réagissent avec les autres composés chimiques de l’atmosphère et affectent les concentrations d’ozone et de méthane. Dans la couche basse de l’atmosphère, ces deux gaz participent à l’effet de serre, et, par conséquent, au dérèglement climatique. Ces émissions affectent également les aérosols organiques, des “particules solides ou liquides en suspension dans l’air”. Celles-ci peuvent également impacter le dérèglement climatique.
D’après la définition du CNRS, l’albédo exprime “la quantité de lumière solaire incidente réfléchie par une surface”. Dans le cas du climat, cela définit “la part de rayonnement solaire qui va être renvoyée par l’atmosphère et la surface terrestre vers l’espace et qui donc ne servira pas à chauffer la planète”. Les forêts, généralement plus sombres que les autres surfaces, ont donc un albédo plus faible et absorbent plus de chaleur. Ainsi, selon l’étude, “la reforestation dans les hautes latitudes est susceptible de provoquer un réchauffement net en raison de la diminution de l’albédo”.
Cependant, la diminution de l’albédo n’a pas le même effet sur toute la planète. En effet, d’après les chercheurs, sous des latitudes tropicales, les résultats s’inversent. “L’étude montre que toute reforestation n’est pas équivalente, avec un potentiel plus favorable dans les tropiques en raison de la diffusion des aérosols qui peut compenser le réchauffement causé par la diminution de l’albédo, tandis que la reforestation aux latitudes plus élevées peut très bien entraîner un réchauffement planétaire net”, explique le Professeur David Edwards, chef du groupe d’écologie tropicale et de conservation à l’Université de Cambridge, et non impliqué dans l’étude.
Des forêts aux multiples bénéfices
La docteure Stéphanie Roe, scientifique principale en climat et énergie mondiale du WWF, auteure principale du rapport AR6 du GIEC, et co-autrice de l’étude, rappelle les bénéfices apportés par les forêts et le boisement. « Nous savons que les forêts sont d’une importance critique pour la biodiversité, l’eau, les services écosystémiques et le climat« , explique-t-elle via communiqué. Effectivement, l’étude de l’université de Sheffield ne balaie pas l’utilisation du boisement pour lutter contre le dérèglement climatique. “Ces stratégies ont le potentiel de fournir des avantages supplémentaires pour la biodiversité ; de multiples services écosystémiques, y compris la réduction de l’érosion des sols et la résilience climatique ; ainsi que des produits forestiers et un refroidissement local grâce à la transpiration”, précise l’étude.
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De plus, l’étude de l’université de Sheffield précise que “prévenir la déforestation est bien plus efficace que le reboisement en termes de mitigation par unité de surface”. En effet, selon les résultats de l’étude, le reboisement permettrait de capter entre 72 et 300 tonnes de dioxyde de carbone par hectare d’ici à 2095. Ces résultats varient selon les types de régions reboisées comme par exemple les déserts, les broussailles ou les forêts méditerranéennes. En évitant la déforestation, ce chiffre s’élèverait à 500 tonnes par hectares. “Il est important de noter que l’étude conclut que la prévention de la déforestation, comparée aux efforts de reforestation, est une manière beaucoup plus efficace d’atténuer le changement climatique”, précise Stéphanie Roe.