Selon la plus haute autorité juridique du monde, tous les pays, à commencer par les plus riches, doivent respecter les engagements internationaux sur le climat, sous peine de commettre un « fait internationalement illicite ». Cette révolution dans la justice climatique fera jurisprudence dans les cours du monde entier.

La Cour internationale de justice ne s’était jamais prononcée sur le climat. Mais l’avis consultatif rendu ce mercredi 23 juillet pourrait changer les rapports de force dans les négociations climatiques. La plus haute autorité juridique du monde considère le changement climatique comme une « menace urgente existentielle », et déclare que les États qui ne prennent pas des « mesures appropriées » agissent de manière « illicite » au regard du droit international.
« Une bouée de sauvetage »
« C’en est fini des excuses des pays à forte émissions de gaz à effet de serre« , exultait à la sortie de l’audience Ralph Regenvanu, le ministre du changement climatique du Vanuatu. C’est ce pays, dont la montée des eaux menace jusqu’à l’existence même, qui a saisi la Cour internationale de justice dès 2023 avec 27 étudiants en droit, la poussant à émettre cet avis consultatif. De nombreuses ONG et militants pour l’écologie ont salué une décision « historique », une « bouée de sauvetage » face à l’effondrement du vivant et l’inaction des gouvernements pour limiter le changement climatique.
Face à de telles attentes, quel impact pourra avoir cette décision de justice ? En lui-même, l’avis n’a rien de contraignant, mais sa force réside ailleurs. « Il sera désormais mobilisé dans tous les contentieux climatiques, qu’ils soient dirigés contre les États ou les grandes entreprises », explique Sébastien Mabile, avocat au barreau de Paris spécialiste des affaires de justice climatique. « Les répercussions de cette décision se feront sentir partout dans le monde, des salles d’audience aux salles de réunion, des salles de négociation des mairies jusque dans les rues des villes », confirme Nikki Reisch, membre du Centre pour le droit environnemental international (Ciel), une ONG qui lutte pour la justice climatique.
Aucun pays ne pourra échapper aux exigences
Les pays les plus touchés par les effets de la hausse des températures pourront par exemple plus facilement demander des réparations financières et matérielles aux États responsables des pollutions. Et ce, même si les pays ne sont pas signataires de l’accord de Paris sur le climat. La CIJ considère en effet que les obligations climatiques font partie du « droit coutumier », c’est à dire toutes les règles non-écrites qui existent au niveau international. Cette clarification est l’une des avancées les plus importantes permises par la Cour internationale de justice.
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Cette disposition vise sans le dire les États-Unis, premier émetteur historique de gaz à effet de serre, qui a quitté l’accord de Paris sur le climat par deux fois sous l’administration Trump. Dans les négociations climatiques comme les COP, il s’agit de l’un des principaux pays qui bloque l’ambition des accords, et Donald Trump a réitéré un soutien inconditionnel à l’extraction de pétrole et de gaz de schiste. Mais une décision de justice sera-t-elle suffisante pour faire plier ces politiques ? « Cela reste du droit international. Et on voit chaque jour à Gaza la difficulté de faire respecter ce même droit international, face à des gouvernements qui s’en fichent complètement », rappelle sur Linkedin François Gemenne, politologue spécialiste de la géopolitique de l’environnement.
La fin des financements publics aux énergies fossiles ?
L’avis de la Cour internationale de justice porte d’ailleurs explicitement sur les financements publics aux énergies fossiles. Celui-ci les déclare « illicites », alors qu’en 2023, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), plus de 600 milliards de dollars de subventions publiques soutenaient directement la production et la consommation d’hydrocarbures dans le monde.
En plus des subventions publiques, les États devront aussi réguler les acteurs privés comme les entreprises pétrolières, « au titre de la diligence requise » pour respecter l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C d’ici la fin du siècle. Comme le rappelle l’AIE, pour respecter ces engagements, plus aucun nouveau projet d’extraction fossile ne doit voir le jour. Ainsi, l’État français risque d’être poursuivi en justice s’il n’empêche pas des entreprises françaises comme TotalEnergies de développer de nouvelles capacités d’extraction de pétrole.
En 2021, « l’affaire du siècle » arrivait déjà à faire condamner l’État français pour « inaction climatique », et une nouvelle étape en justice va arriver en Cour de cassation dans les prochains mois. L’avis de la Cour internationale de justice donnera donc de nouveaux outils à la société civile, alors que les militants écologistes multiplient les recours.
Un avis guidé par la science
Pour arriver à un jugement si ambitieux, la Cour internationale de justice a mis au centre de sa réflexion la science. Elle cite explicitement les différents rapports du Groupe intergouvernemental d’experts sur le climat (Giec), et embrasse pleinement le principe de précaution. Pour les quelques domaines où la science n’a pas clairement tranché, comme l’impact de certaines substances polluantes,« l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte » à l’inaction.
Tous les regards se portent maintenant vers la COP 30 sur le climat qui aura lieu en novembre prochain au Brésil. Les États devront prendre des engagements pour respecter cette exigence renouvelée, sous peine de poursuites juridiques beaucoup plus importantes qu’auparavant.