Le mercredi 15 mars, le Sénat a bouclé une mission d’enquête sur la viande cellulaire. Malgré de nombreuses réticences, la Chambre haute appelle, dans un rapport, à accélérer la recherche publique pour avancer sur le sujet et éviter de subir une dépendance technologique. Une bonne idée pour l’environnement? Pas sûr.

Mangera-t-on un jour de la viande tout droit issue de laboratoires ? C’est en tout cas le souhait du Sénat, qui, dans un rapport dévoilé le 15 mars, appelle à accélérer les recherches. Pourtant, ce n’est pas pour tout de suite. Du moins, selon Jean-François Hocquette, directeur de recherche à l’Institut national de la recherche agronomique (INRAE). “Pour le moment, il n’y a que quelques centaines d’études autour de la viande de culture, sur un sujet aussi médiatique c’est extrêmement peu, relativise le scientifique, auteur d’une revue intitulée « Le mythe de la viande de culture« , dans le journal Frontiers in Nutrition. De plus, les recherches sont pour l’instant conduites au sein d’entreprises privées et pourraient donc ne pas être suffisamment transparentes.”
Des dires confirmés par Olivier Rietmann, sénateur (LR) et co-rapporteur de la mission sénatoriale sur la viande de culture. “Pour l’heure, en France, toutes les avancées sont privées, a-t-il exprimé à la suite de la mission sénatoriale. Il faut investir de l’argent public dans les recherches en y associant le CNRS et l’INRAE”. Les rapporteurs suggèrent la création d’une unité mixte de recherche au sein de ces deux instituts. “L’objectif du rapport est d’étudier les perspectives de développement des aliments cellulaires et les conséquences, négatives mais aussi potentiellement positives”, a souligné le sénateur dans une déclaration à l’AFP. Pour lui, la “priorité est d’intensifier les recherches et l’expertise scientifique collective sur ce nouveau type d’aliments pour prendre des décisions en toute connaissance de cause”.
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La viande de culture, positive pour l’environnement ?
Mais alors, quelles sont les conséquences négatives et positives du développement de la viande de culture ? “Nous n’avons pour le moment pas suffisamment d’études pour répondre à cette question, avoue Jean-François Hocquette. Pour chaque avantage potentiel, de nombreuses questions persistent. Les avantages mis en avant par les entreprises du secteur sont principalement environnementaux, malgré le manque de consensus scientifique”. En effet, présentée comme argument phare, la viande de culture permettrait de réduire l’impact environnemental lié à l’élevage. Mais cela n’est pas encore scientifiquement prouvé, selon le directeur de recherche à l’INRAE. Il explique que la production de viande in vitro nécessite de “chauffer des incubateurs pour que les cellules soient à température physiologique ce qui se traduit par une consommation d’énergie conséquente”.
Gilles Luneau, journaliste auteur du livre Steak barbare, hold-up vegan sur l’assiette, a enquêté sur la viande fabriquée à partir de cellules souches. Il tient également à rappeler l’impact environnemental positif qu’a l’élevage, notamment dans la préservation de la biodiversité. “Les scientifiques l’ont montré, nous avons besoin d’élevages pour entretenir la nature, en termes de biodiversité ou de fixation du carbone. Nous avons aussi besoin d’amendement organique si nous voulons continuer à faire pousser des choses dans la terre”. Pour lui, qui se dit “férocement contre la viande in vitro”, “c’est vraiment une rupture anthropologique. Par la création de viande de culture, nous sommes en train de rompre le lien fondamental de l’être humain avec la nature”.
Néanmoins, Etienne Duthoit, fondateur de Vital Meat (l’un des seuls acteurs français cultivant déjà des cellules de viande en laboratoire) a rappelé au Sénat que la viande in vitro n’était, selon lui, pas une menace pour l’élevage. “Nous ne sommes pas là pour remplacer la viande, nous sommes là pour proposer un nouveau choix au consommateur”, explique-t-il.
“La France ne doit pas être en retard sur le progrès”
La viande in vitro a de nombreux détracteurs, à cause des hormones et des facteurs de croissance nécessaires à son développement notamment. Alors, pourquoi le gouvernement cherche-t-il à accélérer les recherches ? D’après Gilles Luneau, également auditionné par le Sénat à ce propos, il s’agit d’une volonté gouvernementale pour que la France ne soit pas en retard par rapport à d’autres pays sur ce sujet. “Je pense qu’ils partent du principe que la France ne doit pas être en retard sur le progrès. La culture de viande fait se poser certaines questions, mais si c’est quelque chose qui fonctionne, il faut que la France soit en tête de course”, explique-t-il. En effet, selon un article de Public Sénat, les sénateurs redoutent que la France ne se laisse distancer, et tombe “dans la dépendance envers de grandes entreprises étrangères”.
Pour sa part, Jean-François Hocquette pense que cet intérêt de la politique française pour la viande de culture vient d’une demande sociale potentielle. “Les chercheurs se doivent d’essayer de répondre au moins en partie aux questionnements de la société. À partir du moment où il y a une demande sociétale, c’est normal qu’on s’y intéresse”. Prochaine étape selon lui : “faire le point de l’état de l’art des connaissances en toute transparence pour étudier la pertinence éventuelle de cette innovation ». Pour le moment, aucune demande de mise sur le marché n’a encore été déposée dans l’Union européenne.