Un décret du Premier ministre veut que l’Anses, chargée du contrôle des pesticides, prenne en compte les priorités du ministère de l’Agriculture. Un recyclage de l’idée très polémique de « conseil d’orientation des cultures » qu’avait abandonné la loi Duplomb sur l’agriculture. De nombreux scientifiques craignent pour l’indépendance de l’agence.

Deux jours après l’adoption de la loi Duplomb sur l’agriculture, c’est un nouveau coup de théâtre législatif qui a pris place en catimini. Un décret du Premier ministre publié ce jeudi au journal officiel a remis sur la table la question de l’indépendance de l’Anses, l’autorité de régulation des pesticides, alors que les débats autour de la loi Duplomb avaient semblé abandonner cette idée.
Concrètement, le décret permet au ministre de l’Agriculture d’établir par arrêté, après avoir consulté un avis scientifique de l’Inrae, une liste de « produits phytopharmaceutiques et d’adjuvants » à étudier en priorité pour l’Anses dans le cadre de l’Autorisation de mise sur le marché des pesticides. Cette liste pourra concerner au maximum 15 % des “usages répertoriés dans le catalogue national des usages phytopharmaceutiques”.
Une priorisation des intérêts économiques
Pour les associations de protection de l’environnement, ce texte est une atteinte directe à l’indépendance de l’institution pour favoriser l’agroindustrie. « Ce décret va inéluctablement déprioriser et retarder les demandes de retrait des produits dangereux pour la santé et l’environnement », dénonce Générations Futures dans un communiqué. L’association craint que le ministère donne la priorité aux “demandes d’autorisation et de renouvellement des produits répondant à un ‘usage prioritaire’, qui se définit principalement sur la base de critères économiques. »
« Ça sent la mainmise du ministère de l’Agriculture sur l’Anses, abonde Jean-Marc Bonmatin, chimiste toxicologue au CNRS, spécialiste des pesticides néonicotinoïdes et ancien membre du Conseil scientifique de l’Anses. L’autorité de contrôle des pesticides est un organe d’évaluation scientifique qui devra maintenant tenir compte de considérations non scientifiques venant du ministère. »
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Interrogé sur ces critiques, le ministère de l’Agriculture affirme que « l’Anses est complètement indépendante dans ses évaluations et dans son calendrier. L’établissement d’une liste d’usages prioritaires vise, sans porter préjudice aux enjeux sanitaires ou environnementaux, à proposer un calendrier de traitement des dossiers en tenant compte de la saisonnalité des menaces pesant sur les cultures. »
De son côté, l’Anses a confié à l’AFP que « les dispositions prévues dans le décret nécessitent un examen attentif afin d’envisager les conséquences éventuelles qu’elles pourraient avoir pour l’Anses ou les autres acteurs concernés ». Pour François Desriaux, membre du conseil d’administration de l’Anses, « la formulation du décret est très floue, ce qui rend compliqué de prédire ses conséquences. C’est définitivement moins pire que ce qui était prévu par la loi Duplomb, mais ça instaure un climat qui n’est pas du tout propice à l’indépendance de l’agence et de ses scientifiques. »
Une idée recyclée de la loi Duplomb
Car l’idée de prioriser les missions de l’Anses ne vient pas de nulle part. C’était une des propositions les plus polémiques de la loi Duplomb sur l’agriculture, adoptée définitivement le 8 juillet à l’Assemblée nationale. La première version du texte proposait de créer un « conseil d’orientation » sous la surveillance du ministère de l’Agriculture qui aurait défini des « priorités » d’études pour l’Anses. Le comité déontologique de l’agence avait alors parlé de « craintes » pour son indépendance, et de nombreux scientifiques avaient manifesté contre une “mise sous tutelle” de la science au profit des industriels de l’agroalimentaire.
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Une idée abandonnée dans la version finale de la loi votée le 8 juillet, car la création du « conseil d’orientation » divisait jusqu’à la majorité gouvernementale, et de nombreux macronistes ne voulaient pas d’une mise sous tutelle de l’agence. « Ce texte tient compte de nos lignes rouges sur l’Anses », annonçait fièrement Anne-Sophie Ronceret, députée des Yvelines (78), apparentée au groupe Ensemble pour la République.
Un jeu de dupes
Mais personne n’était dupe. Comme le révélait dès le 14 mai le média Contexte, le gouvernement n’avait pas l’intention d’abandonner l’idée de priorisation des missions de l’agence. Un projet de décret était prêt au cas où le « conseil d’orientation » était supprimé de la loi Duplomb, et le décret paru au journal officiel le 10 juillet en est presque un copier-coller. « Il y a duperie et tromperie, dénonce la député des Deux-Sèvres Séverine Batho (Ecologistes). Cela fait de l’Assemblée nationale le dindon de la farce. On fait passer par décret une disposition qu’on n’arrive pas à faire voter par la représentation nationale. »
Pour le collectif de 1300 scientifiques et de médecins qui se mobilise depuis début mai contre la loi Duplomb, la pilule est dure à avaler. « C’est le conseil d’orientation des cultures qui est chassé par la porte et qui revient par la fenêtre, décrit Pierre-Michel Perinaud, président de l’association Alerte médecins sur les pesticides. On voit bien que c’est une manière de céder aux lobbies, dans le contexte actuel où il y a une volonté de laisser la main au productivisme agricole. »