Plus de 1200 médecins et chercheurs se mobilisent depuis plus d’un mois face à certains articles de la loi Duplomb. Dans une lettre ouverte à destination des parlementaires, ils s’inquiètent de la réautorisation de pesticides interdits, et la mise en danger de l’indépendance de l’Anses, l’agence qui évalue la dangerosité des pesticides. Selon eux, ce texte qui veut « lever les contraintes du métier d’agriculteur » ne repose sur aucune base scientifique solide, et met en danger la santé des agriculteurs, de la population et des écosystèmes.

Rarement une proposition de loi fut autant critiquée par la communauté scientifique. « Et pour cause, rarement les politiques ont aussi peu écouté les chercheurs », déplore Sylvie Nony, historienne des sciences associée au CNRS. Dès le 5 mai, elle faisait partie des 1200 scientifiques signataires d’une tribune pour affirmer « que l’impact des pesticides n’est plus à prouver » et pour refuser « une mise sous tutelle de la science » que permettrait la loi Duplomb.
« Une fausse opposition entre écologie et agriculture »
« Cette loi met au centre du débat une fausse opposition entre écologie et agriculture, alors que le consensus scientifique montre que la seule manière de lever les contraintes du métier d’agriculteur est de développer les alternatives offertes par l’agroécologie », soutient la chercheuse. Aujourd’hui, le même collectif de scientifiques publie une lettre ouverte à destination des membres de la Commission mixte paritaire qui examinera la loi d’ici mi-juin. Ils veulent ainsi « remettre la science au coeur du débat », alors que les dispositions de la loi Duplomb proposent des mesures pro-agriculture industrielle.
De son nom complet Loi pour lever les contraintes au métier d’agriculteurs, ce texte est la réponse du gouvernement aux manifestations agricoles qui ont eu lieu en 2024. Il est « majoritairement co-écrit avec le syndicat agricole majoritaire, la FNSEA », des mots du ministère de l’Agriculture, et propose notamment de réautoriser l’acétamipride, un pesticide néonicotinoïde. Aussi appelée “tueuse d’abeille”, cette substance chimique interdite définitivement en France en 2023 dispose d’alternatives efficaces et disponibles pour presque tous les usages, mais la FNSEA et ses soutiens à l’Assemblée nationale veulent absolument son retour, quoi que dise la science.
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C’est loin d’être le seul retour en arrière sur le droit de l’environnement que contient la loi Duplomb. Les syndicats scientifiques dénoncent particulièrement la proposition de création d’un « conseil d’orientation des cultures » qui mettrait à mal l’indépendance de l’Anses, l’agence qui évalue la dangerosité des substances chimiques utilisées dans l’agriculture. En clair, l’Etat aurait la possibilité de déterminer la hiérarchie des missions de l’Anses, et donc d’empêcher l’étude de la dangerosité de certains pesticides. Patrick Dehaumont, président du conseil d’administration de l’Anses, a déclaré vouloir démissionner de son poste si la loi était votée en l’état.
Un bref espoir
Les scientifiques signataires de la tribune et de la lettre ouverte sont d’autant plus amers que l’espace d’un instant, ils ont eu l’impression d’être écoutés. « Pendant le voyage législatif de la loi Duplomb entre le Sénat et l’Assemblée nationale, le texte est passé par différentes commissions, où les parlementaires présents ont semblé attentifs à nos arguments », se rappelle Sylvie Nony. La commission Développement durable puis la commission Economie ont en effet « adouci » le texte, supprimant les articles qui proposaient la réautorisation de l’acétamipride et la création du fameux conseil d’orientation des cultures.
Mais alors que les chercheurs se félicitaient d’avoir pu porter leur voix, une manœuvre législative inédite dans l’histoire de l’Assemblée nationale a mis à bas leurs efforts. Les partisans du texte ont voté une motion de rejet, outil normalement réservé à l’opposition, pour éviter que le texte de débattre le texte à l’Assemblée nationale. C’est donc une Commission mixte paritaire, composée de députés et de sénateurs, qui débattra de la loi Duplomb à partir du texte de loi voté par le Sénat. C’est-à-dire une version “maximaliste” du texte, qui comprend la réautorisation de l’acétamipride et la création du conseil d’orientation.
Une avalanche de fake news
Après ce revirement, le biologiste du Museum d’Histoire naturelle de Paris Marc-André Selosse a accusé sur LinkedIn certains parlementaires de « Piétiner la science ». « Finalement, Trump est plus franc, continue-t-il. Fermer les instituts de recherche, c’est moins cher que de les payer pour ne pas les écouter. » Sylvie Nony, historienne des sciences qui a travaillé sur les fausses informations, évoque aussi la perméabilité des parlementaires aux arguments des lobbies. « La ministre de l’Agriculture a relayé une fake news sur l’acétamipride, qui consiste à faire croire qu’on en trouve dans les colliers pour chiens, et donc que c’est inoffensif. C’est un argument complètement faux qu’on retrouve massivement sur internet, propagé par les partisans de ce pesticide. » Les scientifiques mobilisés ne perdent toutefois pas espoir. Ils veulent maintenant pouvoir influer sur les membres de la Commission mixte paritaire qui examineront le texte dans les prochaines semaines.