Emmanuel Macron a présenté jeudi 30 mars son plan destiné à améliorer la gestion de l’eau. Natura Sciences revient, avec la géographe Magali Reghezza-Zitt et la directrice de recherche de l’INRAE, Fabienne Trolard, sur les points majeurs de ce Plan eau.

Les effets du dérèglement climatique sont là et la question de la gestion de l’eau apparaît comme un enjeu désormais majeur. « Après la sécheresse de 2022 et avec les signaux alarmants sur la sécheresse hydrologique à venir dans certains départements, avec des nappes basses, voire très basses, le sujet est revenu à l’agenda », prévient Magali Reghezza-Zitt, géographe et membre du Haut conseil pour le climat. Alors que les méga-bassines font débat, Emmanuel Macron a ainsi présenté le Plan eau du gouvernement jeudi 30 mars lors d’un déplacement à Savines-le-Lac (Hautes-Alpes). Au total, 53 mesures doivent garantir une meilleure gestion de l’eau.
Un plan de sobriété des usages
Le premier objectif de ce Plan eau est d’arriver à une baisse des prélèvements d’eau de 10% dans le pays d’ici 2030. « Cet objectif est une avancée, qui me semble absolument indispensable. Cela est nécessaire pour la gestion de l’eau », explique Fabienne Trolard, directrice de recherche à l’INRAE, spécialiste en géochimie. En ce sens, Emmanuel Macron a annoncé une réunion prochaine des « 50 sites » industriels » qui ont le plus grand potentiel de baisse de consommation d’eau. Le gouvernement dit vouloir accélérer la sobriété partout et dans la durée. « Le changement climatique va nous priver de 30 à 40 % de l’eau disponible dans notre pays à l’horizon 2050 », précise Emmanuel Macron. Les centrales devront innover pour « fonctionner en circuit fermé » et l’hydroélectricité devra « adapter le rythme des barrages au changement climatique ». « Notre volonté c’est de définir dans chaque territoire les règles les plus adaptées au partage de l’eau.«
Chaque secteur devra également présenter un plan de sobriété d’ici l’été. Tourisme, énergie, agriculture, industrie, loisirs : les efforts concernent tout le monde. Les collectivités et l’administration de l’État devront également réduire de 30 % leur consommation d’eau et développer des mécanismes de récupération d’eau. « Pour arriver à cette baisse de la demande, il va falloir être plus ambitieux, qu’on parle de stratégie globale, et de vision d’ensemble, ou de moyens financiers et humains. Il faut aussi s’accorder sur comment on répartit équitablement les efforts. Cela devient un problème de justice, de choix, de priorisation, plus un problème de physique ou de technologie », estime Magali Reghezza-Zitt.
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Dans quelques mois, une campagne de communication grand public aura pour mission d’inciter à la sobriété. Emmanuel Macron a annoncé la mise en place d’un « EcoWatt de l’eau ». Il s’agira d’une application pour gérer sa propre consommation. Le dispositif permettra également de connaître l’état des ressources en eau de son territoire. L’idée est de sensibiliser tout un chacun. « Chacun va devoir faire des efforts pour baisser sa consommation, mais tout le monde n’a ni les mêmes efforts à faire, ni les mêmes moyens pour le faire. Le risque, c’est de basculer dans un schéma binaire, où on aura d’un côté la technique, de l’autre l’individu face à ses responsabilités. Le risque, c’est de tomber dans la moralisation et d’assimiler la sobriété au petit geste », alerte Magali Reghezza-Zitt.
Réutiliser les eaux usées et pluviales, réduire les fuites
Le Plan Eau prévoit aussi de réutiliser 10 % des eaux usées. Contre moins de 1% aujourd’hui. « Pour ça, nous avons décidé de lancer 1.000 projets en cinq ans pour recycler et réutiliser l’eau » et « in fine, nous voulons réutiliser 300 millions de mètres cubes, soit 3 piscines olympiques par commune (…) ou 3.500 bouteilles d’eau par Français et par an », a déclaré Emmanuel Macron.
La réutilisation des eaux usées représenterait une stratégie d’adaptation à la sécheresse. Que le Plan eau se concentre dessus constitue une avancée, selon Fabienne Trolard. Elle explique : « Pour des raisons administratives nous ne pouvions pas travailler sur les eaux usées comme stratégie d’adaptation à la sécheresse auparavant. Des collègues ont déposé des projets qui n’ont jamais été financés. La recherche était restreinte en France alors que nos voisins européens sont en avance sur ces questions-là. »
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Au total, l’exécutif promet 500 millions d’euros supplémentaires par an pour renforcer les moyens des agences de l’eau. Ces dernières doivent apporter aux élus une vue d’ensemble des problèmes liés à la gestion de l’eau des territoires. Sur cette enveloppe, 180 millions d’euros serviront à résorber « en urgence » les fuites d’eau en France dans les points les plus sensibles. Un litre sur cinq serait perdu dans le réseau d’eau potable français, voire un litre sur deux dans certaines communes. Une situation « inacceptable » pour le Président. « Le Plan eau est une bonne étape de franchie mais malheureusement 180 millions pour résoudre le problèmes des fuites, ce n’est pas suffisant », selon Fabienne Trolard. Sur la même longueur d’onde, la Fédération professionnelle des entreprises de l’eau (FP2E), a estimé que la France avait besoin de 15 milliards d’euros sur cinq ans pour adapter la gestion de l’eau au dérèglement climatique.
Une tarification progressive
Plus on consomme, plus on paie. C’est la logique de la tarification progressive de l’eau proposée dans le Plan Eau du gouvernement. Le but de ce dispositif est de cibler les plus gros consommateurs d’eau et d’« inciter à la sobriété ». Le chef de l’État souhaite que cette tarification progressive s’applique à « tout le monde ». « Dans un monde qui tend vers la transition écologique, il est normal que celui qui veut remplir sa piscine ait l’obligation de payer plus cher », explique Fabienne Trolard.
Sur le principe, « la mesure est bonne », pour Magali Reghezza-Zitt. « Car elle repose sur l’équité et sur la priorisation des usages sur des besoins essentiels. On parle beaucoup de consommation excessive, mais on oublie qu’il existe des écarts considérables selon les ménages, les exploitations agricoles, le type d’industrie. Surtout la précarité sur l’eau existe, au même titre que la précarité énergétique. Cela pose la question du droit à l’eau, pour permettre à chacun d’avoir accès à de l’eau douce, en quantité et en qualité suffisante. C’est aussi pour cela que la question de l’eau ne se limite pas à celle des impacts d’un climat réchauffé par l’Homme, même si le réchauffement fait peser une pression supplémentaire, de plus en plus forte, sur un système déjà fragile », détaille-t-elle.
Pour limiter les coûts et les consommations, une dizaine de communes expérimentent déjà la tarification progressive. Parmi elles, Montpellier justement, qui a sauté le pas tout récemment, au 1er janvier 2023. Pour les foyers disposant d’un compteur individuel, la ville propose plusieurs tranches : gratuit jusqu’à 15 m3, 95 centimes d’euros jusqu’à 120 m3, 1,40 € jusqu’à 240 m3 et 2,70 € au-delà, détaille le site de la mairie.
Un plan qui ne va cependant pas assez loin
Le point positif de ce Plan eau « c’est qu’il est porté au niveau du président de la République et qu’on a un discours fort sur la réduction de la demande », reconnaît Magali Reghezza-Zitt.Toutefois, elle regrette des mesures « majoritairement axées sur le maintien de l’offre en eau ». Car « dans un climat qui change, et qui va continuer à changer tant qu’on continuera à ajouter du CO2 dans l’atmosphère, on ne coupera pas à la réduction de la demande », prévient la géographe.
Le président a annoncé l’investissement de 30 millions d’euros dans le secteur agricole pour des « systèmes intelligents » d’utilisation d’eau, comme l’irrigation au « goutte-à-goutte ». Le plan prévoit en plus le déblocage d’un fonds de 30 millions d’euros pour l’hydraulique agricole afin de faciliter l’utilisation des ouvrages existants et améliorer l’infiltration dans les nappes phréatiques. Mais pour les ONG, le secteur demeure trop ménagé par ce Plan eau. « Je suis heureux de l’arbitrage qu’on a », qui demande une ‘ »stabilisation des prélèvements » et « ne redemande pas un effort supplémentaire » aux agriculteurs, a déclaré Marc Fesneau au dernier jour du congrès de la fédération agricole majoritaire. Avec le changement climatique, « sans doute on aura besoin de plus de surfaces à irriguer ». Ce qui implique, à prélèvements constants, de consommer moins d’eau à l’hectare, a-t-il brièvement esquissé, mentionnant une forme de « sobriété à l’hectare ».
Pour rappel, sur les 32,8 milliards de m3 d’eau douce prélevés, 9 % le sont pour des usages agricoles, selon le gouvernement. Et sur les 4,1 milliards de m3 d’eau douce consommés en moyenne en France par an, entre 2010 et 2019, 58 % l’ont été pour des usages agricoles.