Une étude publiée dans la revue Nature souligne l’impact majeur des entreprises exploitant les combustibles fossiles et produisant du béton sur la survenue des vagues de chaleur depuis 2000.

« L’influence du changement climatique sur les vagues de chaleur, à la fois en termes d’intensité et de fréquence est en train de croître », indique Yann Quilcaille, chercheur en dynamique climatique terrestre à l’ETH Zurich et premier auteur d’une nouvelle étude parue dans la revue Nature. « Nous avons montré que le changement climatique a contribué à augmenter l’intensité et la probabilité de l’ensemble des 213 vagues de chaleur analysées au sein de 63 pays. »
Cette étude va plus loin en attribuant ces événements aux entreprises les plus émettrices de gaz à effet de serre, dites « carbon majors ». « C’est la première fois que l’on met en évidence la contribution des grands émetteurs non seulement à l’augmentation de l’intensité mais aussi à la probabilité des vagues de chaleur », précise Yann Quilcaille.
Au total, les chercheurs ont identifié 180 entreprises productrices d’énergies fossiles et de ciment comme particulièrement émettrices de gaz à effet de serre entre 1854 et 2023. « En s’appuyant sur leurs rapports d’activité notamment, le chercheur américain Richard Heede et InfluenceMap ont pu quantifier les ressources qu’elles extraient et en déduire leurs émissions de gaz à effet de serre », détaille le chercheur, précisant que leur contribution est probablement sous-estimée.
Même les entreprises les moins émettrices ont un impact majeur
En 2023, la température moyenne à la surface de la Terre s’élève à environ +1,30 °C par rapport à la période 1850-1900. Les émissions de l’ensemble des « carbon majors » expliquent 0,67 °C de cette hausse, et celles des 14 plus gros émetteurs — dont Saudi Aramco, Gazprom, ExxonMobil, Chevron, BP et Shell — en expliquent 0,33 °C.
De façon attendue, plus une compagnie émet de CO2, plus elle contribue au changement climatique et ainsi à l’intensité et la probabilité des vagues de chaleur. Ainsi, la société russe d’exploitation du charbon Elgaugol, la moins émettrice des 180 entreprises étudiées, a, à elle seule, rendu 10 000 fois plus probables 16 vagues de chaleur.
Même des entreprises ayant une part relativement mineure dans les émissions totales de gaz à effet de serre rendent davantage possibles ces vagues de chaleur. « C’est un résultat fort car souvent ces entreprises se dédouanent en estimant qu’elles ne représentent qu’une faible part des émissions », estime Yann Quilcaille.
Un modèle répandu dans les études d’attribution
Pour attribuer le changement climatique aux vagues de chaleur, les chercheurs ont eu recours à une méthodologie couramment utilisée dans les études d’attribution. Cette méthode consiste à développer un modèle statistique à partir des températures disponibles en une région et une période données. « Ce modèle statistique nous permet de déduire la probabilité et l’intensité des vagues de chaleur dans les conditions actuelles », explique le chercheur. Les chercheurs déterminent le rôle du changement climatique dans un événement météorologique en comparant ce modèle à un autre sans changement climatique.
Pour estimer la contribution des « carbon majors » aux vagues de chaleur, « on met au point ce que l’on appelle un scénario contre-factuel où l’on retire les émissions d’une compagnie donnée de notre modèle d’évolution des températures », détaille le chercheur. La différence entre le scénario actuel et le scénario contre-factuel indique dans quelle mesure cet acteur a influencé chaque vague de chaleur.
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Les chercheurs pourront appliquer la méthode de cette étude à d’autres types d’événements météorologiques extrêmes. Yann Quilcaille travaille actuellement sur les feux de forêt et les sécheresses agricoles. « Le but est aussi à terme d’étendre la méthode à l’attribution des impacts sur la santé et des pertes économiques par exemple », avance-t-il.
Selon le chercheur, l’intérêt de cette étude dépasse la communauté scientifique. « Elle représente une nouvelle ressource très importante qui va pouvoir être mobilisée dans les litiges climatiques. » Enfin, elle permet de rappeler une fois de plus qu’il est nécessaire de sortir des énergies fossiles.
Des vagues de chaleur qui gagnent en intensité
La science de l’attribution permet de faire le lien entre le changement climatique et un événement météorologique extrême donné. « Là, c’est la première fois que l’on applique cette méthode à une très large base de données », explique le chercheur.
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L’intensité des vagues de chaleur a augmenté de 1,4 °C entre 2000 et 2009, de 1,7 °C entre 2010 et 2019 et de 2,2 °C entre 2020 et 2023, par rapport à la période pré-industrielle 1850-1900. En plus, le changement climatique a rendu les vagues de chaleur environ 20 fois plus probables entre 2000 et 2009, puis environ 200 fois entre 2010 et 2019, par rapport à 1850-1900, avec des records de températures de plus en plus fréquents.
« Nous avons également montré qu’un quart des vagues de chaleur ne se seraient probablement pas produites sans le changement climatique », rapporte Yann Quilcaille. Sur les 213 vagues de chaleur étudiées, le changement climatique a rendu 55 d’entre elles au moins 10 000 fois plus probables. Concernant la canicule que la France a connu à l’été 2003, « elle a été rendue 29 fois plus probable par le changement climatique, avec une intensité augmentée de +1,4 °C par rapport à la période pré-industrielle, ce qui est cohérent avec de précédentes études », souligne le chercheur.