L’océan Austral défie les modèles climatiques en continuant de jouer son rôle majeur de puits de carbone. Mais des observations récentes rendent incertaine sa capacité à continuer d’absorber le CO2.

Grâce à leur capacité à absorber 25 % du CO2 émis dans l’atmosphère par nos activités humaines, les océans constituent de précieux « puits de carbone », essentiels pour aider l’humanité à faire face au changement climatique. L’océan Austral stocke, à lui seul, 40 % de la quantité de CO2 absorbée par les océans. Alors que les modèles climatiques prévoyaient une baisse de la capacité d’absorption du CO2 par l’océan Austral, les observations de terrain des dernières décennies montrent tout autre chose, comme le décrit une étude parue dans Nature Climate Change en octobre 2025. Cette tendance positive pourrait toutefois s’inverser.
Les chercheurs de l’Institut Alfred Wegener, situé à Bremerhaven en Allemagne, se sont appuyés sur un ensemble de données biogéochimiques provenant de nombreuses expéditions maritimes menées dans l’océan Austral entre 1972 et 2021. « La plupart des données que nous avons analysées vont jusqu’à 2015-2016″, précise Léa Olivier, chercheuse en océanographie et autrice principale de l’étude.
Des eaux riches en carbone bloquées en profondeur
Les échanges de CO2 entre l’atmosphère et la surface de l’océan montrent que sa capacité d’absorption s’est intensifiée dès le début des années 2000, à l’encontre des prédictions des modèles climatiques. Selon ces derniers, l’intensification des vents d’ouest vers le pôle Sud et ainsi de la circulation océanique, induite par l’augmentation du CO2 atmosphérique et le trou dans la couche d’ozone, aurait dû conduire à une diminution de sa capacité d’absorption.
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« Si les modèles semblent s’être trompés, explique Léa Olivier, c’est probablement parce qu’ils ont insuffisamment pris en compte un phénomène majeur dans le puits de carbone et difficile à bien modéliser : la stratification entre les masses d’eau ». L’augmentation des précipitations et la fonte des glaciers ont entraîné une arrivée d’eau douce dans l’océan Austral entre les années 1980 et 2015-2016, accentuant la différenciation entre deux masses d’eau. En profondeur, se trouvent des eaux riches en carbone naturel (issu de la décomposition de la matière organique), denses, chaudes et fortement salées. Et en surface, se trouvent des eaux plus froides et faiblement salées formées pendant l’hiver austral. Ces différences de propriétés créent une forte stratification entre ces deux masses d’eau, qui ne peuvent se mélanger. « Les eaux profondes sont ainsi bloquées par les eaux de surface et la capacité d’absorption du CO2 par l’océan Austral est préservée », détaille la chercheuse.
Un déséquilibre des masses d’eau déjà visible en profondeur
Les simulations climatiques prédisaient une remontée plus rapide des eaux profondes à la surface et une libération de carbone, diminuant ainsi la capacité d’absorption du CO2 atmosphérique par l’océan. Mais si le flux de carbone à la surface de l’océan reste imperturbable à cause des eaux douces de surface, une tout autre histoire s’écrit plus en profondeur. « L’intensification de la circulation océanique entraîne déjà la remontée des eaux profondes plus rapide, comme prévu par les modèles : entre les années 1990 et les années 2010, les eaux riches en carbone sont remontées dans la colonne d’eau, passant de 200 m de profondeur à 150 m », indique Léa Olivier, qui s’interroge : « Pendant combien de temps la stratification va-t-elle empêcher les eaux riches en carbone d’accéder à la surface ? ».
D’autant que le visage de l’océan Austral change. Depuis 2015, probablement du fait du réchauffement climatique, la banquise antarctique, jusque-là en expansion, décline. « Nous ne savons pas vraiment pourquoi ce changement a eu lieu à ce moment-là précis, mais nous pensons que cela aura d’importantes répercussions sur le carbone », précise la chercheuse.
Avec la fonte de la banquise, le visage de l’océan Austral change
Une récente étude parue dans Pnas met ainsi en évidence une augmentation importante de la salinité à la surface de l’océan Austral depuis 2015, liée au déclin de la banquise. Cela pourrait être le signe d’une remontée bien plus en surface des eaux profondes salées et riches en CO2, avec de potentiels effets sur la capacité de puits de carbone de l’océan. « C’est une question cruciale que nous nous posons actuellement », note Léa Olivier, estimant que le phénomène pourrait avoir commencé dès 2016. Mais le temps de la recherche scientifique est plus long que celui des changements océaniques.
« Notre étude a mis en lumière le rôle majeur de la stratification entre les masses d’eau sur le puits de carbone de l’océan Austral », résume la chercheuse. « Et si cette stratification s’est sans doute cassée aujourd’hui, elle pourrait se reformer. Pour l’instant, nous ne savons pas encore comment elle va évoluer dans les prochaines années et donc si la capacité d’absorption du carbone de l’océan Austral va diminuer ou non. »












