En 25 ans, la banquise arctique a perdu plus d’un million de kilomètres carrés en été. Selon une étude de l’université du Danemark du Sud, cela pourrait avoir des conséquences complexes sur l’écosystème de la région.

Ces 25 dernières années, la banquise estivale arctique a diminué en moyenne de plus d’un million de kilomètres carrés. L’année 2012 détient toujours le record de minimum d’étendue, à 3,39 millions de kilomètres carrés. La fonte accélérée de la banquise permet à davantage de lumière de pénétrer dans l’océan Arctique. Cela pourrait modifier les écosystèmes marins et entraîner une prolifération de certaines espèces. Et selon une nouvelle étude de l’université du Danemark du Sud, les conséquences de la fonte de la banquise estivale sont encore plus complexes.
Publiée le 4 mars dans la revue PNAS, l’étude danoise explore « l’importance des producteurs primaires benthiques » (BPP) dans l’écosystème arctique. Ces producteurs primaires sont des organismes vivant au fond de la mer, dans ou sur le plancher océanique, capables de produire de la matière organique à partir de la photosynthèse. En Arctique, « le phytoplancton et les algues de la banquise sont traditionnellement considérés comme les principaux producteurs primaires », précise l’étude. Plus précisément, les chercheurs se sont intéressés aux microalgues, macroalgues et herbiers marins. « Notre étude suggère que les impacts du changement climatique sur la disponibilité de la lumière du soleil et la production primaire dans l’océan Arctique sont complexes », explique Karl Attard, auteur principal de l’étude, océanologue et professeur assistant au département de biologie de l’université du Danemark du Sud.
Moins de banquise ne signifie pas forcément plus de lumière
D’après l’étude, depuis 2003, la surface de l’océan Arctique exposée à la lumière augmente d’environ 47.900 km² chaque année. Selon Karl Attard, face à ce phénomène, il serait raisonnable de penser que les algues et autres BPP proliféreraient. En effet, une grande partie de l’océan Arctique est assez peu profonde, comparé aux autres océans. « Les 6 millions km² de son plancher océanique se trouvent à moins de 200 m de profondeur », précise l’étude. Ainsi, en absence de banquise, une partie de la lumière du soleil devrait pouvoir atteindre ce plancher océanique. En retour, cela favoriserait la croissance des BPP. « Curieusement, cependant, nous n’avons pas observé d’augmentation dans la quantité totale de lumière solaire atteignant le plancher océanique arctique », explique l’océanographe.
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Selon les chercheurs, cette contradiction s’explique par la baisse de transparence de l’eau dans de nombreuses régions de l’océan Arctique. Cela est dû, « à une concentration accrue de phytoplancton, de sédiments en suspension et/ou de matière organique dissoute colorée ». Ces éléments arrivent majoritairement des fleuves débouchant sur l’océan Arctique. Ils proviennent « d’aussi loin que la Mongolie ou l’Amérique du Nord centrale », mentionne l’étude. « La lumière du soleil atteignant l’océan libre de glace est rapidement absorbée par le phytoplancton, les sédiments et les substances dissoutes dans l’eau. Elles empêchent une grande partie des rayons du soleil d’atteindre le plancher océanique », prévient Karl Attard.
Certaines algues prolifèrent tout de même dans l’océan Arctique
Toutefois, les conséquences de la fonte de la banquise ne sont pas uniformes dans tout l’océan Arctique. En effet, « les modèles indiquent une augmentation de la production primaire dans plusieurs endroits le long des côtes du Groenland et du Canada. En revanche, il y a une diminution de la production primaire sur une grande partie du plateau continental russe », détaille le communiqué de l’étude. « Malheureusement, nos modèles ne fournissent pas de réponse claire quant à ce qui motive spécifiquement ce changement », précise Karl Attard. « Obtenir cette information nécessite d’étudier les régions individuelles et de valider nos modèles avec plus de données observationnelles », ajoute-il.
En effet, à cause de l’« l’immensité et l’isolement » de la région Arctique, l’évolution des BPP est « principalement déduite de modèles ». Grâce à ces derniers, les chercheurs ont pu déterminer que les BPP « colonisent environ 3 millions de kilomètres carrés » du plancher océanique arctique. « Les derniers modèles suggèrent que les algues et les herbiers marins s’établiront sur le fond marin côtier peu profond et s’étendront dans l’océan Arctique à mesure que la glace diminuera et que la température de l’eau augmentera », ajoute Karl Attard.
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Jusqu’ici, les algues et herbiers marins ne parvenaient pas à survivre dans les eaux glaciales de l’océan Arctique. Cependant, avec la disparition de la banquise estivale et le réchauffement de ces eaux, ces nouvelles espèces s’y installent. Et elles ne seront pas les seules à effectuer le trajet. « Alors que l’océan Arctique continue de se réchauffer, nous pourrions assister à une migration accrue d’espèces provenant de latitudes plus basses. Cela pourrait potentiellement conduire à un environnement marin plus productif que celui existant aujourd’hui, au détriment de ce qui est spécifique à l’Arctique », avertit l’auteur de l’étude.
Une production primaire importante
Les modèles utilisés par les chercheurs leur ont également permis d’estimer la quantité de production primaire engendrée par les algues et les herbiers marins. Ces plantes seraient actuellement responsables de la production d’environ 77.000 tonnes de matière organique par an. Sur ce total, 43.000 tonnes proviendraient des macroalgues et 23.000 des zostères, une espèce d’herbe marine. Les 11.000 tonnes restantes seraient émises par les microalgues.
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Selon les chercheurs, cette production « est considérable comparé à d’autres sources connues de production primaire ». « Nous estimons [que la production primaire engendrée des algues et herbiers marins] est quatre fois plus importante que la production dans la banquise », précise Karl Attard. En effet, les algues vivant dans la banquise engendrent environ 18.000 tonnes de production primaire chaque année. Cette production primaire se trouve à la base de la chaîne alimentaire arctique. Ainsi, « inclure tous les composants de la production primaire marine est crucial pour comprendre ce qui se passe au sein des écosystèmes de l’océan Arctique », prévient l’océanologue.