Connaissez-vous les araignées de mer géantes ? Ces mystères vivants mesurent habituellement seulement quelques millimètres. Cependant, en mer Antarctique, elles peuvent atteindre plusieurs dizaines de centimètres d’envergure. Les chercheurs de l’université d’Hawaï se sont penchés sur cet animal et ont découvert une méthode de ponte bien particulière.
L’Antarctique recèle encore bien des mystères. Parmi eux, les araignées de mer géantes, ou pycnogonides. Dans la plupart des océans du monde, ces araignées ne mesurent pas plus de quelques millimètres. Au contraire, dans l’océan austral, elles peuvent atteindre les 40 centimètres d’envergure.
Une étude de l’université d’Hawaï, publiée ce 11 février dans l’Ecological Society of America, s’intéresse de près à ces géantes des océans. Plus précisément, les recherches menées par Amy Moran, professeure à l’UH Mānoa School of Life Sciences, portent sur “la ponte, le comportement post-ponte et le développement embryonnaire de l’araignée géante de mer Antarctique commune, Colossendeis megalonyx”, précise l’étude.
Une découverte qui avait échappée aux chercheurs pendant plus de 140 ans
Selon le World register of marine species (Worms), la Colossendeis megalonyx a été découverte en 1881. L’espèce a tout de suite attiré l’attention des scientifiques. Cependant, la manière dont cette araignée géante s’occupait de ses œufs restait méconnue. “Chez la plupart des araignées de mer, le parent mâle s’occupe des bébés en les transportant durant leur développement. Ce qui est étrange, c’est que, malgré les descriptions et la recherche remontant à plus de 140 ans, personne n’a jamais vu les araignées géantes de l’océan Austral couver leurs petits et rien n’était connu sur leur développement”, explique la professeure Moran dans un communiqué.
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Pour en apprendre davantage, les chercheurs ont capturé deux groupes de Colossendeis megalonyx et les ont ramenés en laboratoire. “Nous avons eu tellement de chance d’assister à cela”, explique Aaron Toh, doctorant à la School of Life Sciences. “L’opportunité de travailler directement avec ces fantastiques animaux en Antarctique signifie que nous aurions l’opportunité d’apprendre des choses que personne n’aurait jamais deviné”. Les chercheurs ont alors enfin pu observer le comportement de ces araignées vis-à-vis de leurs œufs.
Une stratégie de manipulation des œufs inédite
Contrairement aux autres espèces, “un parent (probablement le père) a passé deux jours à attacher les œufs au fond rocheux », détaille l’étude. Ensuite, « ils s’y sont développés pendant plusieurs mois avant d’éclore en de minuscules larves”. Graham Lobert, également doctorant à la School of Life Sciences complète : “Nous pouvions à peine voir les œufs même lorsque nous savions qu’ils étaient là. C’est probablement la raison pour laquelle les chercheurs n’avaient jamais observé cela auparavant”. Pour les chercheurs, ce type de comportement constitue “une découverte passionnante”. “[Cet agissement] peut représenter une stratégie évolutionnaire intermédiaire entre la ponte libre et la couvée paternelle exhibée par la plupart des autres groupes d’araignées de mer”, précisent-ils.
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Selon l’université d’Hawaï, ces découvertes pourraient avoir des implications plus importantes. Celles-ci concernent notamment la vie marine et les écosystèmes océaniques en Antarctique et dans le monde entier. “Nos observations fournissent un premier regard détaillé sur les comportements de manipulation des œufs, l’embryologie, et le développement larvaire des araignées de mer les plus grandes et les plus remarquables. Elles soulignent également l’importance des observations sur le terrain et en laboratoire pour comprendre la biologie et l’histoire naturelle de ces animaux extraordinaires”, précise l’équipe de recherche.
Colossendeis megalonyx : un exemple parfait du gigantisme polaire
Cette étude ne constitue pas la première rencontre de l’équipe de la professeure Moran avec la Colossendeis megalonyx. En effet, le laboratoire suit cette espèce d’araignée depuis plus d’une décennie afin d’étudier le phénomène du gigantisme polaire. Selon les chercheurs, le gigantisme polaire est “un phénomène où certains organismes des régions polaires, comme l’Arctique et l’Antarctique, atteignent des tailles beaucoup plus grandes que leurs congénères dans les climats plus chauds”. Le laboratoire de la professeure Moran cherche à découvrir pourquoi et comment se produit ce phénomène.
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Dans une précédente étude, publiée en 2012 dans The Journal of Experimental Biology, la professeure Moran abordait déjà le sujet du gigantisme polaire. Le premier point soulevé par cette étude est la non-uniformité de ce phénomène. En effet, tous les animaux ne prennent pas des tailles démesurées dans les cercles polaires. “Bien qu’il existe de nombreux rapports convaincants sur les géants polaires. Nous ne savons toujours pas si ces exemples reflètent de quelques aberrations attirant particulièrement l’attention ou de changements plus généralisés dans les distributions de la taille corporelle”, précise la professeure.
Plusieurs facteurs pourraient être à l’origine de ce gigantisme
Le second point soulevé par cette étude porte sur les origines du gigantisme polaire. Selon la professeure Moran, il existe huit causes potentielles, pouvant être réunies en trois catégories. “Un ensemble de théories invoque des explications biophysiques et physiologiques, […] un deuxième ensemble d’idées invoque des explications biogéographiques et écologiques […] et un troisième ensemble se concentre sur la plasticité développementale et l’évolution”, détaille-t-elle.
Depuis 2015, le laboratoire de la professeure Moran se concentre sur “l’hypothèse de l’oxygène”. Celle-ci suppose que l’abondance d’oxygène dans l’océan austral permet aux organismes qui y vivent d’atteindre une plus grande taille. Cependant, aucune réponse définitive n’a encore pu être apportée. Notamment à cause du “méta-problème consistant à savoir si une seule hypothèse émergera comme dominante ou, alternativement, si plusieurs hypothèses contribuent à cette tendance”, explique la professeure Moran.
Toutefois, pour le laboratoire “que l’hypothèse de l’oxygène se révèle correcte ou non, [celle-ci] a quelque chose à dire sur ce qui arrivera aux [organismes] ectothermes pendant le changement climatique”. Un animal ectotherme est un « animal dont la température centrale est engendrée seulement par les échanges thermiques avec son environnement ». En effet, la montée en température des océans entraîne une diminution de la quantité d’oxygène dissous dans l’eau. Ces changements pourraient donc particulièrement affecter des organismes comme la Colossendeis megalonyx, habitués à un environnement riche en oxygène. “Plus nous en saurons sur la façon dont les araignées de mer géantes se sont adaptées à la vie dans les eaux antarctiques, mieux nous pourrons comprendre comment elles peuvent être affectées par le réchauffement des océans”, conclut le laboratoire.