Plusieurs membres de Scientifiques en rébellion ont mené en avril 2022 une action de désobéissance civile au sein du Muséum d’histoire naturelle afin d’alerter sur la crise climatique. Cette action leur vaut un procès en deuxième instance à la Cour d’appel de Paris, où la notion d’état de nécessité est au cœur des enjeux.

Ce 10 octobre, Frank Lafont, directeur de recherche CNRS, a de nouveau plaidé sa cause. Cette fois à la Cour d’appel de Paris, avec un verdict attendu le 9 janvier 2026. Le 9 avril 2022, avec une trentaine de militants de Scientifiques en rébellion et d’Extinction Rebellion, il a participé à un acte de désobéissance civile au sein du Muséum nationale d’histoire naturelle (MNHN) afin d’alerter sur la crise climatique, l’effondrement de la biodiversité et l’inaction de nos politiques. Le Tribunal de police de Paris avait relaxé les quatre prévenus en première instance le 26 septembre 2024, invoquant leur culpabilité, mais sans condamnation du fait de « l’état de nécessité ». Le parquet avait alors fait appel.
Selon le Code pénal, l’état de nécessité permet qu’une personne soit considérée irresponsable pénalement si elle « accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien », « face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien », sauf en cas de disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace.
Lors de l’opération baptisée « La nuit de l’extinction », les militants, vêtus de blouses blanches, se sont rendus dans la galerie de paléontologie et d’anatomie comparée du MNHN – après avoir acheté leur billet – pour y tenir une conférence retransmise en direct sur internet. L’objectif : informer sur l’urgence de la crise climatique et la chute de la biodiversité.
Au nom du consensus scientifique et de l’inaction
Frank Lafont, seul prévenu présent à la Cour d’appel, a rappelé à plusieurs reprises que cette action, commencée peu avant la fermeture du musée, avait été non violente. Elle n’a occasionné aucune dégradation matérielle et les scientifiques ont limité au maximum la gêne auprès du public. Après l’intervention de la police, les militants avaient quitté les lieux, dans le calme, à 20 h 30. Le MNHN avait alors porté plainte, mais ne s’est pas constitué partie civile.
Ce qui est reproché aux prévenus est le fait d’être restés au sein d’un musée de France après sa fermeture, sans y être habilités, a précisé la juge. Frank Lafont a pour sa part rappelé la condamnation en 2021 de l’État pour inaction climatique.
L’état de nécessité contesté par l’avocate générale
De son côté, l’avocate générale, qui représente le ministère public, a souligné que l’infraction pénale était caractérisée et a contesté l’état de nécessité. Elle estime que les scientifiques ont d’autres moyens à leur portée pour faire entendre leur voix et que, quelle que soit la légitimité du sujet défendu, il faut respecter le cadre légal dans l’intérêt de tous. Elle a toutefois requis une dispense de peine pour les prévenus, qui permet une reconnaissance de la culpabilité sans sanction.
« Nos écrits et nos prises de paroles ne servent à rien. On a tout essayé, rien ne se passe. On est bien obligé de franchir un pas », a insisté Frank Lafont. « Que faire quand les autorités ne prennent pas les mesures qui s’imposent et que nos alertes ne sont pas entendues ? » Les événements météorologiques extrêmes, comme les inondations et les canicules, attestent, selon lui, de l’urgence de la situation et justifient de l’état de nécessité.
Pour l’avocat des prévenus, Me Thomas Brédillard, il ne fait effectivement aucun doute que cet état de nécessité s’applique à l’action des scientifiques, qu’il qualifie de « proportionnée ». L’avocat estime que les scientifiques doivent pouvoir continuer de s’exprimer « sans risquer de subir l’opprobre ».
« Engendrer des transformations nécessaires »
Deux témoins sont venus apporteur leur éclairage à la barre. Luc Abbadie, professeur émérite à Sorbonne-Université et ancien directeur de l’Institut de la transition environnementale, a évoqué un manque de culture concernant la gravité de la crise climatique et de celle de la biodiversité. Pour lui, cela justifie les moyens déployés par les scientifiques, pour « engendrer des transformations nécessaires ».
Quant à Dorian Guinard, maître de conférences en droit public à l’Université Grenoble Alpes, il estime que « le fondement juridique de l’état de nécessité se trouve dans l’état alarmant de nos écosystèmes ». Il a également évoqué « l’inadaptation du droit aux enjeux environnementaux ».
Interrogé par Natura Sciences à l’issue du procès de 2024, Me Brédillard avait considéré qu’une relaxe pour état de nécessité pouvait « créer une jurisprudence pour d’autres affaires ». Encore rarement évoquée, cette notion juridique a toutefois déjà été reconnue dans des affaires précédentes, comme en 2024 par le tribunal de La Rochelle dans le cas d’une action d’Extinction Rebellion visant à dénoncer l’agro-industrie.
Des scientifiques français en procès à Munich
À Munich, ce sont six membres français du collectif Scientist Rebellion (dont émane Scientifiques en rébellion) qui ont eu à se défendre ce 7 octobre devant le tribunal de district de la ville allemande pour la deuxième audience de leur procès.
En octobre 2022, les prévenus avaient participé à des actions non violentes visant les bureaux du fonds d’investissement BlackRock et le salon d’exposition BMW afin de dénoncer l’impact climatique majeur des secteurs financiers et automobiles. Ils sont notamment poursuivis pour dégradation, intrusion et coercition. L’audience a été suspendue et doit reprendre le 17 octobre.