Dans sa nouvelle campagne publicitaire, MSC Croisières met en avant ses efforts réalisés pour réduire son impact sur l’environnement. Mais la croisière peut-elle réellement devenir moins polluante ?

« Pouvons-nous faire mieux ? ». Voici la question que pose MSC Croisières dans sa nouvelle campagne publicitaire mondiale, qui met en avant ses actions en faveur de la protection de l’environnement. Dans ce spot, la société de navigation met en scène un homme qui s’interroge sur le futur de la croisière. Les restaurants seraient plus verts, les lumières non indispensables retirées, le recyclage mis en place.
La caméra traverse les différents espaces du MSC World Europa, nouveau paquebot géant du groupe, baptisé au Qatar le 13 novembre 2022. Celui-ci mesure 333 mètres de long, 68 mètres de haut et peut accueillir jusqu’à 6.700 passagers. C’est ainsi 205.000 tonnes d’acier, de métaux, de bois, de fibre de verre et autres composites qui embarquent sur la mer.
Le transport de passagers et de marchandises en plein essor
MSC Croisières promeut un secteur en plein essor. En France, le nombre de croisiéristes a doublé en dix ans, passant de 2,1 millions en 2009 à 4,5 millions en 2019. Soit une augmentation de 7,9% en moyenne chaque année, d’après l’édition 2021 des chiffres clés du transport réalisé par le data lab du gouvernement.
Résultat : le transport maritime de marchandises et de passagers représente actuellement entre 2% et 3% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. MSC ne divulgue aucun rapport d’impact permettant d’évaluer clairement son impact écologique, mais l’ONG Transport & Environment a publié un rapport concernant le groupe Carnival, leader international de la croisière. Celui-ci a émis à lui seul en 2017 dix fois plus d’oxyde de soufre autour des côtes européennes que l’ensemble des 260 millions de voitures européennes. Selon cette même étude, le fioul lourd est le carburant le plus sale qui soit.
Le GNL, pour réduire les émissions de CO2?
Pour réduire leur empreinte écologique, les industriels des transports maritimes optent de plus en plus pour le GNL. C’est notamment le cas de MSC Croisières avec le MSC World Europa, premier paquebot du groupe propulsé au GNL. Selon Linden Coppell, vice-présidente Durabilité & ESG de la compagnie MSC qui s’est exprimée dans un communiqué, cette solution, “comparée aux carburants marins traditionnels, élimine presque toutes les émissions de particules, notamment les oxydes de soufre et les particules fines, réduit considérablement les oxydes d’azote et permet déjà une réduction du CO2 allant jusqu’à 25 %”.
Ce chiffre de réduction des émissions de CO2 est repris sur la page d’engagements « Développement durable » de MSC Croisières. En clair, pour MSC Croisières, le GNL est une bonne opportunité pour continuer de faire voguer les touristes sur les flots, avec un impact écologique moindre. Pourtant, selon Transport & Environment qui a mené plusieurs enquêtes à ce sujet, le GNL charrie une pollution invisible à l’œil nu, le méthane.
Le méthane, gaz à effet de serre oublié de MSC Croisières ?
Et c’est là que le bât blesse, car MSC Croisières communique sur la baisse actuelle des émissions de CO2, mais n’aborde pas la question de l’ensemble de ses émissions de gaz à effet de serre en termes de CO2 équivalent. Simplement, la page d’engagement reprend une déclaration du président exécutif de MSC Croisières, Pierfrancesco Vago : “Nous nous dirigeons vers un avenir à faible émission de carbone et, d’ici 2050, nous atteindrons zéro émission nette de gaz à effet de serre ». Comment atteindre la neutralité carbone? Grâce à la réduction de toutes les émissions de gaz à effet de serre ou grâce à la compensation carbone, comme le prévoient la majorité des grandes entreprises? Pas un mot.
La différence est importante puisque le CO2 équivalent permettrait de comptabiliser l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre et donc le méthane. “Le GNL européen utilisé par les navires aujourd’hui, est pire pour le climat que les carburants qu’ils remplacent. Et ce, en raison de la libération de ce gaz puissant qui réchauffe 80 fois plus que le dioxyde de carbone [Le méthane est un gaz à effet serre 80 fois plus puissant que le CO2 sur une période de 20 ans, qui ne reste que douze ans dans l’atmosphère, contrairement au CO2 qui a une durée de vie d’une centaine d’années, NDLR]. Un problème majeur est qu’à travers la chaîne d’approvisionnement en gaz, le méthane non brûlé s’échappe et se glisse dans l’atmosphère. Cela réchauffe la planète plus rapidement”, explique Transport & Environment.
Le GNL, un choix « irresponsable en période de crise énergétique »
En ce sens, le tourisme de croisières est d’autant plus problématique qu’il renforce les émissions de méthane. “Ce problème existe tout au long de la chaîne de valeur, depuis l’extraction du gaz jusqu’à sa combustion dans le navire” développe Transport & Environment. Pour bien comprendre le procédé, il faut garder en tête que les fuites de méthane, autrement dit son évaporation, peuvent se produire lorsque le GNL est stocké, transporté ou utilisé. “Ce phénomène s’appelle le methane slipe”, explique Guillaume Picard, commandant de ferries en retraite qui milite désormais pour le collectif citoyen Stop Croisières.
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Guillaume Picard, qui consacre maintenant sa vie à dénoncer “l’aberration écologique et sociale de l’industrie des croisières”, met également en lumière un autre problème occasionné par le GNL. “Les armateurs investissent dans le GNL parce qu’à l’époque où ils ont commandé leurs navires, le GNL était le combustible le moins cher du marché. Aussi, chaque moteur fonctionnant au GNL, fonctionne aussi au fioul lourd. Sauf que désormais, compte tenu de la situation internationale avec la guerre, le prix du gaz et des combustibles, selon où les navires se ravitaillent, si le gaz est plus cher que le fioul, les navires comme le nouveau paquebot géant de MSC vont fonctionner au fioul lourd”. Une hypothèse confirmée par l’ONG Transport & Environnment qui explique que “miser sur le passage au GNL est un choix irresponsable en pleine période de crise énergétique que traverse l’Europe et ne fera qu’accroître sa dépendance aux énergies fossiles”.
“Les croisières ne pourront pas devenir durables”
Dans sa campagne publicitaire, MSC Croisières s’interroge sur sa transition écologique. Toutefois, aujourd’hui, la compagnie reste floue à ces sujets, évoquant des “systèmes avancés” ou encore des “technologies novatrices”, sans en expliquer la teneur. Selon Guillaume Picard, ces efforts ne suffiront pas pour compenser les émissions de gaz à effet de serre de la compagnie.
Le groupe MSC fait par ailleurs partie des dix plus gros pollueurs d’Europe, d’après des chiffres rapportés par Reuters. Il a émis environ 10,72 millions de tonnes de dioxyde de carbone en 2019 et ne compte pas s’arrêter là. Son deuxième navire au GNL sera livré en 2023, tandis que le troisième est en construction. “Ça va être de pire en pire, dénonce l’ancien commandant de ferries. Tant qu’il y aura de plus en plus de navires, les croisières ne pourront pas devenir durables. Un paquebot, c’est quand même des dizaines de milliers de tonnes de ferraille, de matières plastiques et de câbles de cuivre”.
Si malgré tout, vous souhaitez vous essayer à la croisière, myclimate permet de calculer l’empreinte CO2 de vos vacances. Un voyage de 8 jours à bord d’un navire de croisière par exemple, dans une suite standard pour deux personnes avec 4 journées à quai, représente une empreinte carbone de 4,4 tonnes d’équivalent CO2. Pour respecter l’accord de Paris, cette empreinte carbone ne devrait pourtant pas excéder les 2 tonnes d’équivalent CO2 par personne et par an. Un seul trajet en croisière excède donc plus de deux fois le bilan carbone annuel dont nous disposons.