Ce 20 mars, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) publie le rapport de synthèse de son sixième cycle d’évaluation des connaissances sur le climat. À cette occasion, François Gemenne, chercheur et enseignant spécialisé dans les questions de géopolitique de l’environnement et de la migration climatique, auteur du GIEC, explique l’importance de renforcer l’engagement des chercheurs dans le débat public et politique.
La semaine dernière, les scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et des délégations du monde entier étaient réunis en Suisse, à Interlaken. À l’issue de cette semaine, ils ont publié ce lundi 20 mars 2023 la très attendue synthèse des trois volets du sixième rapport d’évaluation du GIEC. Condensé des résultats de milliers d’études scientifiques sur le réchauffement climatique, cette synthèse vient clôturer l’évaluation entamée en 2015.
François Gemenne, chercheur et enseignant spécialisé dans les questions de géopolitique de l’environnement et de la migration climatique, est membre du GIEC depuis 2015. Un an après la parution du dernier des trois volets du 6e rapport en 2022, il revient sur l’impact de la politique dans la protection du climat, ainsi que sur le rôle des scientifiques en politique.
Natura Sciences : Où en sommes-nous aujourd’hui ?
François Gemenne : Les émissions de gaz à effet de serre ont progressé d’environ 1% l’an dernier. Cela veut dire que le pic mondial des émissions n’est toujours pas atteint. La plupart des pays industrialisés ont commencé à baisser leurs émissions et c’est une bonne chose. Le problème c’est qu’on ne réduit pas encore suffisamment, pas assez vite. Cette baisse est compensée par la hausse des émissions, en particulier dans les pays émergents. C’est-à-dire des pays qui ne sont pas encore de gros émetteurs mais qui risquent de le devenir, et c’est là que tout va se jouer. Aussi, les énergies fossiles représentent encore 84% du mix énergétique mondial. Vu l’état des actuel des choses, nous sommes sur une trajectoire qui nous amène vers une hausse des températures comprise entre 3°C et 3,5°C d’ici 2100. Cela représente environ 5°C en France.
Le gouvernement français est-il à la hauteur de la crise climatique ?
Pour le moment l’action reste insuffisante concernant l’atténuation. Le gouvernement a tendance à se cacher derrière le fait que l’électricité française est largement décarbonée dans sa production. Cet argument est toujours utilisé comme prétexte pour ne rien faire dans les autres secteurs. En particulier dans le transport routier, dans le secteur des bâtiments et dans celui de l’agriculture. Ce sont les principaux secteurs d’émissions en France et où trop peu d’actions sont entreprises à l’heure actuelle.
Sur l’adaptation, la France a énormément de retards à compenser. Le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires Christophe Béchu a fait quelques annonces à ce sujet le mois dernier. Ces annonces vont dans le bon sens mais elles restent à concrétiser.
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Je trouve également que la France est insuffisamment mobilisée dans sa diplomatie, malgré quelques efforts comme le Global Forest Summit. Nous restons globalement très préoccupés par la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre. Il faudrait plutôt voir comment la France peut jouer un rôle de leadership au niveau international dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre et notamment des émissions des pays émergents.
Que peut-on retenir de ce qui a été mené en politique depuis la parution des précédentes synthèses du GIEC ?
Les politiques réalisent désormais beaucoup plus l’importance de l’adaptation. Ce sujet qui passait au second plan, parfois considéré comme concurrent de l’atténuation, reçoit aujourd’hui davantage d’attention. Il me semble que le débat public mûrit sur ce sujet et le considère davantage comme complémentaire de l’atténuation.
Comment la politique peut-elle réconcilier les français avec l’écologie ?
Il s’agira de montrer aux gens en quoi l’écologie est dans leur intérêt. Il faut aussi leur montrer en quoi l’écologie peut constituer le socle d’un nouveau consensus social. D’un véritable projet politique, aussi. Pour l’instant tout ce qui touche à l’écologie est présenté aux Français comme un effort à réaliser. Comme une contrainte qui leur tombe dessus. Les Français ont le sentiment justifié que cet effort n’est pas équitablement partagé, que certains s’en affranchissent.
Je pense qu’il y a deux conditions indispensables pour réconcilier les Français avec l’écologie. D’une part que la charge de l’effort soit équitablement partagée et d’autre part qu’on puisse montrer aux gens en quoi c’est dans leur intérêt et comment ça peut constituer le socle d’un projet politique commun, plutôt que d’être systématiquement perçu comme une contrainte.
Et avec quels moyens est-ce réalisable ?
À mon sens, il faut davantage accompagner les efforts demandés par les politiques d’investissement. Par exemple, les efforts demandés par rapport aux restrictions de l’usage de la voiture ne sont pas accompagnés d’investissements suffisants en matière de transports publics. Idem en matière de rénovation des bâtiments. Si nous demandons aux gens d’être plus sobres dans leur consommation d’énergie, il faut aussi supprimer toutes les passoires énergétiques. De plus, un grand nombre de ces passoires énergétiques sont des bâtiments publics, à commencer par le palais de l’Elysée.
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En parlant de politique, pourquoi avoir fait le choix de soutenir Europe Écologie-Les Verts (EELV) lors de la dernière élection présidentielle ?
J’ai choisi de conseiller le candidat Yannick Jadot. Ce n’est pas une adhésion partisane. Le rôle des chercheurs est aussi, au moment où la société doit faire des choix démocratiques sur les grandes orientations politiques futures, de dire quel est le programme qui, au regard de leurs recherches, leur semble le mieux répondre aux besoins et aux nécessités de la lutte contre le changement climatique. Et effectivement il me semblait que c’était Yannick Jadot qui portait le mieux ces enjeux dans le débat public.
Pensez-vous que les chercheurs doivent davantage prendre la parole ?
Oui, je pense que les chercheurs doivent davantage s’engager dans le débat public et dans la politique. Cet engagement évidemment peut prendre des formes tout à fait diversifiées. Certains vont pouvoir conseiller des candidats ou des partis, voire même se présenter aux élections. Des chercheurs sont conseillers municipaux par exemple. D’autres vont pouvoir faire des actions de vulgarisation. Par exemple j’ai des collègues qui travaillent pour les nouveaux bulletins météo sur France Télévisions. C’est aussi une forme d’engagement dans le débat public. Mais je pense qu’il y a globalement un devoir moral à s’engager dans le débat public quand on est chercheur et qu’on travaille sur des problématiques aussi importantes que celle du climat, qui sont aussi déterminantes pour les grands choix de société futures. Nous ne pouvons pas rester derrière nos bureaux et publier simplement ces résultats dans les revues scientifiques.
Maintenant, chacun voit un peu la forme d’action et la forme d’engagement qui lui correspondent le mieux. Là où il est le plus utile. Je déplore simplement que le débat public français ne soit pas encore assez mûr pour entendre ce que les chercheurs peuvent dire dans le cadre de la politique. C’est-à-dire que cet engagement est systématiquement vu comme un engagement partisan. Je n’ai pas soutenu EELV, j’ai accepté de conseiller un candidat qui m’avait sollicité. À un moment donné, je trouve normal que les chercheurs, sur la base de leurs recherches, puissent exprimer quel programme est le plus adapté.