En France, la moitié des traitements pesticides visent les céréales. Une nouvelle étude de Foodwatch a retrouvé des traces de pesticides dans près de 90% des pains à base de farine de blé. L’association lance une campagne à destination des distributeurs pour leur demander de bannir ces produits.

Alors que le vote sur le renouvellement de l’autorisation du glyphosate en Europe doit se tenir à la fin de la semaine, Foodwatch lance sa nouvelle campagne contre l’utilisation des pesticides dans les céréales. Selon les chiffres de Foodwatch, la culture des céréales utilise entre quatre et six traitements phytosanitaires par an. L’association a donc voulu évaluer la présence de pesticides dans les produits céréaliers proposés aux consommateurs. Pour cela, elle a analysé la base de données publique de tests de résidus de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa). Résultat : sur 2.234 échantillons de céréales et produits à base de céréales issus de l’agriculture conventionnelle testés, 37% contenaient des traces d’un ou plusieurs pesticides. La contamination est très variable. Des résidus de pesticides se trouvent dans moins de 10 % des échantillons de grain d’épeautre et de seigle. Néanmoins, près de 90 % des pains et petits pains de blé évalués en contiennent.
Si très peu d’échantillons dépassent les limites maximales de résidus (LMR) définies par la réglementation, le « cocktail chimique » de traces de pesticides inquiète particulièrement l’association. “Compte tenu de la présence importante de cocktails chimiques dans notre vie quotidienne, il est impératif de privilégier la réduction de l’utilisation de produits chimiques dès que possible. L’utilisation de pesticides peut être évitée, et devrait donc être une priorité absolue”, alerte le rapport de Foodwatch.
Les pesticides : un danger global
La culture des céréales occupe 52 millions d’hectares en Europe, soit près de la moitié des terres agricoles existantes. L’Europe est ainsi le deuxième producteur de céréales au monde. Selon Foodwatch, ces deux caractéristiques placent les céréales parmi les plus grands consommateurs de pesticides européens. Ainsi, l’usage des pesticides pose des risques “pour la santé humaine” et menace certains “insectes et plantes sauvages d’extinction”. Jörg Rohwedder, directeur exécutif de Foodwatch international détaille: “Commençons par l’évidence, les pesticides sont toxiques. Ils sont créés pour tuer, que ce soit des plantes, des insectes ou des champignons. Cependant, ils ont de nombreux effets secondaires dû à leur toxicité, et ce notamment sur la santé humaine.”
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La Commission Européenne met ce problème en lumière dans un document de travail de ses services. “Le modèle actuel d’agriculture intensive à haut niveau d’intrants, fondé sur les pesticides chimiques, est susceptible de menacer la sécurité alimentaire à moyen terme en raison d’une perte de biodiversité, d’une probable augmentation des parasites, de la dégradation des sols et de la perte de biodiversité” détaille-t-elle.
Un problème qui concerne les distributeurs
Dans son rapport, Foodwatch s’est penché sur le rôle les méthodes de communication en matière de respect de l’environnement et de stratégies de développement durable des distributeurs. En France, Foodwatch a contacté les magasins Carrefour, Leclerc, Casino, Monoprix, Système U, Intermarché et Lidl. Tous ont accepté de répondre à l’enquête. “En général, ils reconnaissent leurs responsabilités et déploient procédures et ressources pour proposer des produits fabriqués avec moins de pesticides et vendus avec le minimum de résidus. Toutefois, leurs efforts se limitent souvent pour l’heure aux fruits et légumes” détaille le rapport. De plus, aucun des distributeurs ne semble pouvoir donner “une cible claire et quantifiée quant à la réduction des pesticides” précise Foodwatch.
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En amont et en aval des distributeurs se trouvent les fermiers et les consommateurs. Selon Jörg Rohwedder ce sont les plus affectés par les effets des produits phytosanitaires. Ils sont également les plus motivés à se débarrasser de ces pesticides. “Mais, soyons honnête, ils sont également les deux acteurs ayant le moins de possibilités d’actions” ajoute-t-il. D’après le directeur exécutif, ce sont bien les distributeurs qui peuvent permettre un changement en profondeur de la filière. “Les distributeurs ont la responsabilité de nous présenter des produits sûrs et sains. C’est la raison pour laquelle nous faisons appel à ceux [dans cette campagne]”, prévient Jörg Rohwedder.
Des objectifs clairs pour les distributeurs
Dans cette campagne, Foodwatch demande aux distributeurs un engagement fort : éliminer les pesticides de toute la gamme des produits céréaliers d’ici 2025. Ensuite, il s’agira de déployer une politique d’approvisionnement en produits céréaliers sans pesticides. Enfin, Foodwatch demande plus de transparence tout au long du processus. En particulier, elle demande la publication de données annuelles sur les marchandises produites sans pesticides et celles produites avec. D’ici à 2035, Foodwatch souhaite voir se développer beaucoup d’autres filières sans pesticides. Le rapport cite par exemple les filières du maïs, du colza, des pommes de terre ou encore du raisin.
Tout au long de cette campagne, Foodwatch souhaite garder la position d’observateur indépendant. “Nous rendrons compte de toutes les réussites ainsi que de tous les distributeurs [proposant des céréales produites sans pesticides]. Cependant, nous ne collaborerons pas directement avec les distributeurs, ce n’est pas une position que nous souhaitons prendre. Nous souhaitons rester indépendants, observer de l’extérieur, garder une esprit critique et être dans le dialogue” détaille Jörg Rohwedder.
En France, un plan de solutions sans pesticides existe déjà
Le plan Écophyto II+, mis en place en janvier 2020, vise à réduire l’utilisation des produits phytosanitaires et à accroître la protection des populations tout en maintenant une agriculture économiquement performante. Soutenu par le Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, ce plan appuie sur la transparence des données et la mobilisation de l’expertise scientifique. Il propose par exemple l’utilisation de couverts végétaux, de pâturage ou de fumiers comme alternative aux produits phytosanitaires. Comme le rappelle Camille Dorioz, responsable campagnes chez Foodwatch France, “les solutions, nous les avons déjà, la question se pose sur le passage à l’étape supérieur, c’est-à-dire sur la prise en mains, la mise en place et l’acceptation de ces solutions par les agriculteurs”.
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Ces méthodes font partie d’une agriculture dite “de conservation des sols”. Celle-ci se présente comme une alternative plus saine tout en restant viable pour les agriculteurs. Selon Fabrice Trottier, éleveur et polyculteur interrogé dans le cadre du plan Écophyto, même si sa production a changé depuis son passage à ces nouvelles méthodes agricoles, sa marge quant à elle n’a pas été modifiée. Jean Bernard, un agriculteur français cité dans le rapport de Foodwatch partage ce sentiment. “J’ai travaillé avec un groupe d’agriculteurs pendant des décennies pour réduire l’usage des pesticides. J’ai réduit mon propre usage de 80% depuis trois ans maintenant. Le rendement a réduit d’environ 10%, mais sans affecter la rentabilité économique”, témoigne-t-il.