Alors que l’interdiction du glyphosate devrait entrer en vigueur fin 2022, la controverse autour de sa génotoxicité continue d’alimenter les débats. La plupart des scientifiques et les industriels ne parviennent pas aux mêmes conclusions. Mais les autorités sanitaires de quatre États, dont la France, ne semblent retenir que les conclusions effectuées par les industriels, juge Générations futures. Pauline Cervon, toxicologue a analysé pour l’ONG ces divergences.

Incessante, complexe… La controverse autour du glyphosate reste un sujet de discorde mondial entre scientifiques et industries. À tel point que même l’Union européenne ignorait quelle position adopter quelques années en arrière. Pourtant, des études scientifiques, telles que Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) et l’Inserm, ont évalué un risque de génotoxicité pour cet herbicide.
De l’autre côté, les industries ne rapportent aucune génotoxicité potentielle. Une conclusion reprise par le rapport de renouvellement du glyphosate (RAR), rédigé par quatre États membres rapporteurs (France, Hongrie, Pays-Bas, Suède). « Les tests de génotoxicité standard conformes aux BPL sur le glyphosate (…) ont donné des résultats systématiquement négatifs », confirme un document du Glyphosate Renewal Group (RAR).
Qu’en est-il vraiment ? Peut-on affirmer que le glyphosate provoque des cancers, alors que le produit reste encore largement répandu au sein de l’Union européenne (UE) ? Au cours d’une conférence de presse organisée par Générations futures, Pauline Cervan, toxicologue, explique pourquoi les avis divergent. Un rapport est également en ligne.
Une demande de réautorisation du glyphosate en cours
En 2017, la Commission européenne a renouvelé l’utilisation du glyphosate au sein de l’UE. Et ce, malgré les alertes soulevées par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). Dès lors, Emmanuel Macron, fraîchement élu, promet une sortie du glyphosate pour 2020. Elle devrait finalement entrer en vigueur le 15 décembre 2022 sur l’ensemble du Vieux continent.
Toutefois, les industries vendant cet herbicide demandent son renouvellement. Le rapport est en cours d’évaluation par deux agences européennes : l’Autorité européenne de sécurité des aliments (ECHA) et l’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA). Pour leur expertise, celles-ci s’appuient sur des normes déterminées par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
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Les études des industriels uniquement prises en compte
En 2015, le CIRC a classé le glyphosate comme « probablement cancérogène pour l’homme ». « Le CIRC a également conclu qu’il y avait des preuves ‘solides’ de génotoxicité, à la fois pour le glyphosate ‘pur’ et pour les formulations de glyphosate. », retrouve-t-on dans un ancien communiqué du CIRC (en anglais). L’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) adopte la même conclusion, notamment via l’expérimentation animale. Mais le RAR, lui, prétend l’inverse.
Selon Pauline Cervan, les agences sanitaires des quatre pays, appelées « autorités », s’appuient « exclusivement sur des études provenant des industriels ». Sur les 21 études universitaires réalisées in vitro, c’est-à-dire en laboratoire, 18 d’entre elles relèvent des effets positifs de génotoxicité. Aucune d’entre elle ne provient d’industriels.

Dix autres études rapportent une absence d’effet, dont cinq provenant de l’industrie. « Ces études de l’industrie sont considérées soit acceptables soit acceptables avec réserves. Elles ont donc un poids important dans la décision finale, contrairement aux 21, études universitaires considérées par le RAR comme juste ‘complémentaires' », rapporte Générations futures.
Des failles ignorées
Pour Pauline Cervan, les études fournies par les industriels ne sont pourtant pas si fiables. « Les autorités ont ignoré les failles des études fournies par les industriels », présente-t-elle lors du point presse. Selon l’évaluation de la qualité scientifique des études concernant les propriétés génotoxiques du glyphosate, effectuée par deux experts de la génotoxicité, la majorité des études ne respecteraient pas les requis émis par l’OCDE.
À titre d’exemple, pour certaines études, « le nombre de cellules analysées est trop faible », souligne la toxicologue. De même, ces tests oublieraient certaines cellules, comme celles présentes dans la moelle osseuse. « L’étude s’écarte substantiellement des lignes directrices de l’OCDE et les résultats ne sont pas fiables », indique l’évaluation pour l’une d’elles. Pourtant, celles-ci revendiquent le respect des normes de l’OCDE et des bonnes pratiques de laboratoire (BPL).
Un seul type de test effectué pour évaluer le risque de génotoxicité
Sur tous les tests possibles pour évaluer les risques de génotoxicité, les études ne réalisent que des tests du micronoyau, méthode reconnue de détection des lésions chromosomiques. Ne permettant pas une « évaluation dynamique » selon l’Agence nationale de la recherche (Anr), ce test ne peut étudier les effets génotoxiques sur un seul type de cellule, celle de la moelle osseuse. « Il est important d’avoir des résultats sur des types différents de cellule, ce que permet le test des comètes [un autre test étudiant les critères de génotoxicité : ndlr] », rapporte Générations futures.
Selon l’ONG, cet autre type de test a montré in vitro des effets positifs de génotoxicité sur différentes cellules sanguines. « Cependant, aucun test des comètes in vivo n’a été fourni par les industriels », signale Générations futures. Au regard de ces contradictions, l’Agence Nationale Sécurité Sanitaire Alimentaire Nationale (Anses), avait suggéré en 2016 que des « éléments complémentaires » soient fournis pour obtenir des résultats plus fiables.
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Des études aux modèles « non standards » rejetées
Les études issues de la recherche académique, notamment celles du CIRC et de l’Inserm, portent sur des modèles dits « non standards », c’est à dire non conformes à la méthodologie scientifique décidée par l’OCDE. Par conséquent, les autorités les ont rejetées.
« Cette approche est plus que contestable compte-tenu des nombreuses publications existantes montrant la pertinence de modèles comme les poissons pour l’évaluation des effets génotoxiques pour l’homme », déplore Générations futures. Si celles-ci sont ignorées, alors le poids des études négatives fournies par les industriels « en est d’autant plus augmenté », constate l’ONG.
Problématique de classification
Enfin, le dernier point soulevé par Pauline Cervan concerne les critères de classification réglementaire. « Pour être classée d’un point de vue réglementaire, les données disponibles doivent être comparées avec les critères de classification erronés dans le règlement CPL (Classification, Etiquetage, Emballage) », explique la toxicologue.

Cependant, le CLP ne se concentre que sur le caractère mutagène au niveau des cellules germinales (patrimoine génétique). L’autre type de cellule étudiée, les cellules somatiques, ne permettent donc pas une classification de substance. Notamment en catégorie 1B, qui considère les substances dont le potentiel cancérigène pour l’être humain est « supposé ». Il en serait de même pour les tests de génotoxicité in vivo ou in vitro. « Cet exemple montre le reflet de l’écart entre science académiques et science réglementaire », conclut Pauline Cervan.
Pourtant, si les études germinales s’avèrent primordiales pour une classification, ce ne sont pas les autorités qui ont commandée leur réalisation, selon Générations futures. C’est pourquoi l’Anses a demandé leur révision lors d’une consultation publique. « L’objectif est de permettre la classification en catégorie 1B », affirme l’ONG.
Les ventes de glyphosate en légère hausse en dix ans
Lundi 2 mai, l’outil statistique de la Commission européenne, Eurostat, a indiqué que les ventes de pesticides au sein de l’Union européenne (UE) restaient « relativement stables » entre 2011 et 2020. Le volume total annuel aurait même augmenté de 6%, « autour du niveau de 350 000 » tonnes.

En 2020, un peu moins de 346 000 tonnes de pesticides auraient été vendues en Europe. La France, l’un des plus importants producteurs agricoles de l’UE, aurait enregistré les plus gros volumes vendus dans la plupart des grands groupes. L’interdiction du glyphosate entre normalement en vigueur le 15 décembre 2022. Avant cette date, l’ECNA évaluera le rapport de renouvellement rédigé par les États rapporteurs. L’organisme donnera également son avis sur la classification du glyphosate au cours des prochaines semaines.