TotalEnergies a dégagé un bénéfice net de 19,5 milliards d’euros en 2022, soit une hausse de 28% par rapport à 2021. C’est dans ce contexte que son PDG, Patrick Pouyanné a répondu aux critiques des ONG dans une interview au vitriol donnée au Parisien. À leur tour, elles lui répondent.

19,5 milliards d’euros de bénéfice net générés en 2022. Ce chiffre, le groupe pétrogazier français, TotalEnergies, le doit surtout à la hausse du prix des hydrocarbures au niveau mondial, notamment du gaz, suite à la guerre en Ukraine. De nombreuses ONG qualifient ces bénéfices de superprofits. Le collectif #StopTotal, 350.org, les Amis de la Terre France, Alternatiba Paris, Bloom, GreenFaith et le Mouvement Laudato Si’, appellent collectivement à renforcer la mobilisation contre TotalEnergies.
C’est dans ce contexte que nos confrères du Parisien ont publié une longue interview du PDG de l’entreprise, Patrick Pouyanné. Ils évoquent notamment avec lui l’enquête préliminaire ouverte par le Parquet national financier pour pratiques commerciales trompeuses à la suite de plaintes déposées par des associations environnementales qui accusent l’entreprise de greenwashing.
TotalEnergies, expert du greenwashing ?
À cette accusation, le PDG du groupe pétrogazier répond avec fermeté. « Produire l’équivalent en énergie renouvelable de 6 à 7 réacteurs nucléaires, vous appelez ça du greenwashing? », se défend-t-il. « Oui », rétorque Alternatiba Paris, par l’intermédiaire de sa porte-parole Clem Converset-Doré. Selon la militante, TotalEnergies est « l’expert en matière de greenwashing ». Elle ajoute : « n’oublions pas que nous savons maintenant que dans les années 1970, ce groupe avait déjà conscience de l’impact de ses activités et qu’il l’a camouflé. »
En 2023, les investissements de TotalEnergies « seront dédiés à 70% aux énergies fossiles », rappelle Clémence Dubois, responsable des campagnes France chez 350.org. « Le calcul est assez simple, la position de leader dans les énergies renouvelables de TotalEnergies ne tient pas la route et n’existe qu’à leur yeux ». Dans une tribune publiée sur Franceinfo, 12 scientifiques du GIEC ont dénoncé ce mercredi l’instrumentalisation de leur rapport par TotalEnergies. Selon eux, le pétrolier s’en sert pour justifier des investissements dans les énergies fossiles.
Lire aussi : TotalEnergies se défend du greenwashing en toute mauvaise foi
Par ailleurs, en 2021, l’Agence internationale de l’énergie (AIE), référence pour des dizaines de pays dans le monde, assurait que l’atteinte de la neutralité carbone en 2050 et la limitation du réchauffement à 1,5°C d’ici la fin du siècle impose immédiatement la fin de tous les nouveaux projets d’exploration d’énergies fossiles. « C’est le cœur des activités de TotalEnergies« , souligne Clem Converset-Doré.
Des accusations pourtant infondées ?
Dans l’interview, Patrick Pouyanné, regrette les accusations colportées à l’encontre de TotalEnergies. « Le débat démocratique est important, tout le monde n’est pas obligé d’être d’accord avec ce que nous faisons. En revanche, il ne faut pas nous accuser de fautes, voire de crimes, sans fondement réel », dit-il. Ici, le PDG fait aussi référence à la plainte qui avait été intentée à son groupe pour « complicité de crime de guerre » en Ukraine. Le Parquet national antiterroriste a classé sans suite la plainte déposée par deux associations, Darwin Climax Coalition et Razom we stand.
Pourtant, le groupe organise et finance encore aujourd’hui des projets d’exploitation des énergies fossiles comme le projet de pipeline chauffé EACOP. La polémique liée à ce projet enfle. Ce mardi 7 février, l’ONG américaine Inclusive Development International (IDI) et dix organisations ougandaises et tanzaniennes, ont annoncé avoir déposé une plainte contre Marsh, l’assureur du projet EACOP auprès de l’OCDE. Elles l’accusent de violation des principes directeurs qui régissent l’action des multinationales en matière de respect des droits humains et de l’environnement notamment.
Une enquête ouverte pour greenwashing
Par ailleurs, le 26 janvier, le parquet de Paris a confirmé une information de Mediapart : le groupe est la cible d’une enquête portée par le pôle économique et financier du parquet de Nanterre pour « pratiques commerciales trompeuses » depuis décembre 2021.
En octobre 2020, les associations Wild Legal, Sea Shepherd France et Darwin Climax Coalitions ont porté plainte au pénal contre Total, l’accusant notamment de pratiques commerciales trompeuses et de dégradation de l’air. Contacté par l’AFP, le géant pétrolier répond n’avoir « aucune information sur la plainte évoquée. Et ni la compagnie ni ses dirigeants n’ont reçu de demande d’audition à ce sujet ».
Derrière les propos de Patrick Pouyanné, « il y a, en plus de ça, une menace à peine dissimulée d’utiliser la voie judiciaire en cas de propos diffamatoire », pour Clémence Dubois. « En France, nous pouvons nous lever contre TotalEnergies sans craindre pour nos vies, ce qui n’est pas le cas dans tous les pays dans lesquels l’entreprise développe sa production », juge-t-elle.
Deux décisions de justice attendues prochainement
En mars 2022, Greenpeace France, les Amis de la Terre France et Notre Affaire à Tous ont, elles aussi, assigné TotalEnergies en justice pour « greenwashing » et « pratiques commerciales trompeuses ». Les ONG visent notamment une campagne publicitaire où la firme se revendique comme étant un « acteur majeur de la transition énergétique » pour « atteindre une société NetZero dès 2050 ». Une décision est attendue le 28 février à Paris, pour savoir s’il y a lieu à enquête.
En janvier 2020 d’autres associations environnementales – Notre affaire à tous, Sherpa, ZEA, les Eco Maires et FNE – ont déposé un recours contre Total concernant le devoir des vigilances des multinationales. Elles souhaitent que la justice ordonne au groupe de « réduire drastiquement ses émissions de gaz à effet de serre », selon un communiqué de presse de Notre affaire à tous. En septembre 2022, Poitiers, Paris, New-York et Amnesty France ont rejoint l’appel. Une nouvelle audience aura lieu le 22 mars prochain au tribunal judiciaire de Paris.
Lire aussi : Justice : que reprochent les ONG au projet EACOP de TotalEnergies ?
5 milliards d’euros dédiés aux énergies bas carbone
TotalEnergies tablerait sur des investissements nets de 16 à 18 milliards d’euros cette année – dont 5 milliards dédiés aux « énergies bas carbone ». Autrement dit, un tiers sera dédié aux énergies renouvelables et les économies d’énergie, les deux tiers soutiendront la croissance du gaz naturel liquéfié et de nouveaux projets pétroliers. Avec 19,5 milliards d’euros de bénéfice sur l’année, cela signifie aussi que ses bénéfices sont quatre fois supérieurs à ses investissements dans les énergies « bas carbone ». « Ils se moquent de nous. Tout l’enjeu aujourd’hui c’est d’arrêter de produire des énergies fossiles et d’amorcer un virage en faveur des énergies renouvelables. Ce n’est pas en faisant un peu d’énergies renouvelables pour beaucoup d’énergies fossiles que nous allons changer quoi que ce soit », regrette Clémence Dubois de 350.org.
En plus, selon le rapport Bilan carbone de TotalEnergies publié par Greenpeace en décembre 2022, l’empreinte carbone de l’entreprise était quatre fois supérieure aux chiffres déclarés par l’entreprise pour ses activités en 2019. « Cette manipulation des chiffres faite par TotalEnergies est la raison qui explique qu’il faut maintenir cette ‘guérilla’ à l’encontre du groupe », insiste Clem Converset-Doré. Ici, la militante fait référence aux mots employés par le PDG du groupe dans son interview publiée dans Le Parisien. « L’énorme violence provoquée par les factures qui explosent, et les évènements climatiques extrêmes, justifie cette fronde menée contre TotalEnergies, aux côtés de la communauté scientifique », conclut Clémence Dubois.