L’Etat était sur le banc des accusés pour « inaction face à l’effondrement de la biodiversité » vendredi 6 juin à la cour d’appel du tribunal administratif de Paris. Une action en justice surnommée « Justice pour le vivant », initiée par cinq organisations de défense de l’environnement, qui veulent contraindre l’État à améliorer les protocoles d’évaluation des pesticides en France. Les juges rendront leur verdict dans la première quinzaine de juillet.

Silence dans la salle. Après une heure et demi d’audience, c’est à l’État de prendre la parole pour se défendre en plein cœur de la cour d’appel du tribunal administratif de Paris. Accusé par plusieurs ONG de manquer à ses obligations pour protéger la biodiversité, il se contente ce vendredi 6 juin de n’envoyer qu’une seule représentante du ministère de l’Agriculture. Mutique pendant toute la séance, elle se lèvera uniquement pour dire “Le ministère ne désire pas intervenir”.
“C’est déjà une progression par rapport au premier procès, s’amuse Justine Ripoll, responsable de campagnes pour Notre affaire à tous, une des organisations qui poursuit l’État en justice. À l’époque personne ne représentait l’Etat, et le juge avait dressé une liste des ministères concernés absents. Cela avait sûrement joué dans la décision.”
Une première condamnation de l’État en 2023
Le 29 juin 2023, le tribunal administratif de Paris condamnait en première instance l’État français pour son inaction face à l’effondrement de la biodiversité et pour sa responsabilité dans la contamination généralisée des eaux et des sols aux pesticides. Le procès en appel se dirige sûrement vers les mêmes conclusions, puisque la rapporteuse publique, dont l’avis est souvent suivi par les juges, a reconnu que l’action du gouvernement “ne peut pas être considérée comme une mise en œuvre satisfaisante des exigences européennes au regard du principe de précaution.” A ce motif, elle appelle à condamner l’État une nouvelle fois.
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Comment expliquer cette responsabilité de la France ? Au cœur du procès se pose la question de la robustesse des protocoles d’évaluation des pesticides par l’Anses. Pour les ONG de défense de l’environnement, l’État ne prend pas assez en compte les connaissances scientifiques actuelles pour estimer la dangerosité des substances phytosanitaires sur la biodiversité. Cela contribuerait à retarder l’atteinte des objectifs de réduction des pesticides. Selon le plan Ecophyto, la France devrait réduire de moitié son utilisation de pesticides d’ici 2030. Un objectif souvent repoussé qui aurait dû être atteint depuis 2018.
Les espèces « non-cibles » dans le viseur
Par exemple, les protocoles évaluent trop peu l’impact des pesticides sur les espèces non-cibles, c’est-à-dire celles qu’ils ne visent pas directement, mais affectent tout de même. “On fait aussi des études sur des espèces qui ne sont pas représentatives. Par exemple, on sait que les abeilles sauvages sont particulièrement en danger, mais elles sont absentes des protocoles”, explique Barbara Berardi, directrice de recherche pour Pollinis.
Là encore, la rapporteuse publique a suivi l’avis des ONG de protection de l’environnement. Elle recommande aux juges “qu’il soit enjoint à l’Etat de mettre en œuvre une évaluation des risques sur les espèces non-cibles dans le cadre de la procédure d’autorisation de mise sur le marché” des pesticides. Elle s’appuie notamment sur un rapport de l’Ifremer et de l’Inrae paru en 2022 qui met en avant “une inadéquation des procédures avec la réalité du terrain.” En revanche, au contraire des ONG, la rapporteuse publique estime “que ce n’est pas en soi une faute” si l’État n’a pas respecté son objectif de réduction des pesticides, le plan Ecophyto n’ayant rien de contraignant.
Une défense de l’État par les lobbys des pesticides
En l’absence d’avocat pour défendre l’État, une étrange scène a eu lieu. Le lobby des entreprises qui commercialisent des produits phytosanitaires en France, Phyteis, était présent en tant « qu’intervenant ». La plaidoirie de son avocat Eric Nigri a rapidement sonné comme une défense par intérim de l’État. « Nous ne comprenons pas. Il n’y a pas de faute de l’État dans la méthodologie (d’évaluation des pesticides) car c’est au niveau de l’Europe qu’il faut décider. » L’avocat s’est ensuite attelé à remettre en question le lien de causalité entre les pesticides et l’effondrement de la biodiversité. « C’est un phénomène multicausal, dont la première raison est le changement d’usage des sols, non les pesticides. » Des arguments balayés par la rapporteuse publique, qui a rappelé la très grande littérature scientifique sur l’impact immense des pesticides sur la santé et les écosystèmes.
« C’est rassurant que la justice aille dans notre sens, confie Dorian Guinard, chercheur en droit public et membre de l’association Biodiversité sous nos pieds. Mais on voit bien que c’est très lent. Nous avons attendu deux ans pour le procès en appel, et même si les juges condamnent une nouvelle fois l’État, il ira en cassation. Rien ne vaut la rapidité de la volonté politique, et elle manque cruellement en ce moment. » Après cette audience, les ONG et l’État ont de nouveau rendez-vous avec la justice pendant la première quinzaine de juillet, où tombera le verdict du procès en appel.