Touchés par des dégradations et de la déforestation, les “poumons de la planète” jouent de moins en moins leur rôle de puits de carbone qui freine la hausse des concentrations atmosphériques de gaz à effet de serre. Certaines forêts émettent désormais davantage de gaz à effet de serre qu’elles ne parviennent à en absorber. On vous explique pourquoi et comment inverser la tendance.
Ce n’est un secret pour personne, les forêts sont indispensables à la régulation du climat. Recouvrant aujourd’hui 31% de la surface des terres émergées, elles constituent le deuxième plus grand puits de carbone de la planète, après les océans. Pourtant, bien qu’elles permettent l’absorption du dioxyde de carbone, elles en relâchent également. À tel point que certaines émettent aujourd’hui plus de CO2 qu’elles n’en séquestrent. C’est le cas notamment de l’Amazonie brésilienne. Entre 2010 et 2019, cette forêt a ainsi émis 18% de dioxyde de carbone en plus. Soit une quantité supérieure à celle absorbée, selon une étude publiée dans la revue Nature Climate Change.
Un rapport publié par l’Unesco et l’Union internationale de Conservation de la Nature (UICN) a également révélé que dix aires forestières à travers le monde émettent davantage de CO2 qu’elles n’en capturent. Parmi elles, trois se trouvent aux États-Unis : le Parc national de Yosemite, celui du Grand Canyon et celui des Lacs-Waterton. On en trouve aussi en Australie, en Afrique du Sud, en Russie ou encore en Indonésie. Ce phénomène apparaît lorsque les forêts sont dégradées. “À cause des incendies et de la déforestation, les arbres relâchent tout le carbone qu’ils ont séquestré via la photosynthèse et le rejettent dans l’atmosphère”, explique Amandine Hersant, directrice générale de Planète Urgence. L’association agit depuis 20 ans pour préserver les forêts tropicales et la biodiversité. Elle mène pour cela des projets auprès de centaines d’organisations communautaires.
Comment mieux préserver nos forêts ?
Alors, que faut-il faire ? Est-il possible d’inverser la tendance ? Oui, selon Amandine Hersant. “Il faut agir et instaurer des politiques visant à limiter et prévenir les incendies et la déforestation. 90% de la déforestation est liée à l’agriculture et donc à notre alimentation. Il est par exemple indispensable d’instaurer des réglementations mondiales, comme celles européennes, qui limitent l’autorisation de la vente des produits alimentaires issus de la déforestation« . En effet, en décembre dernier, Parlement, Commission et Conseil ont abouti à un accord, faisant de l’Europe la première économie mondiale à se doter d’une réglementation contre la déforestation importée. Cet accord fut salué par les ONG, mais celles-ci regrettent des manques concernant la protection des peuples autochtones. Pourtant, selon la directrice générale de Planète Urgence, « Il est aussi indispensable de travailler à l’échelle locale avec les communautés pour leur permettre de renforcer leur lien avec la forêt et donc sa préservation.”
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Des propos confirmés par Marine Gauthier, experte du PNUD sur les questions de forêts tropicales et de changement climatique, chercheuse-doctorante au sein de l’Institut des Hautes Études Internationales et de Développement à Genève. “Les communautés locales ont des méthodes traditionnelles de conservation des forêts qui leur permettent plus de capture carbone, explique la chercheuse. Il est indispensable de travailler avec ces communautés afin de ne pas perdre ce savoir-faire. C’est eux qui connaissent le mieux leur territoire, il faut leur donner les moyens de continuer à le préserver”.
Un fonds de 100 millions d’euros pour la protection des forêts
Dans cette volonté, plus de 20 pays représentatifs des grands bassins forestiers se sont retrouvés à Libreville début mars. Il s’agissait du premier “One Forest Summit”, dédié à la recherche de solutions pour protéger les forêts tropicales. Ce rendez-vous a débouché sur l’adoption du “plan de Libreville”. Il s’agit d’un plan conclu entre une vingtaine de pays forestiers, des chefs d’entreprises, six chefs d’États, dont Emmanuel Macron, pour concilier protection des forêts tropicales et développement économique. Entre autres, le plan crée un fonds de 100 millions d’euros pour récompenser les États exemplaires.
À ce sujet, Marine Gauthier reste sceptique. « Ce n’est pas ce fonds seul qui pourra protéger les forêts, exprime-t-elle. Ce qui est important, c’est de regarder comment cet argent va être dépensé. Il faut des investissements efficaces qui intègrent une approche globale s’intéressant au carbone, à la biodiversité et aux droits humains : aucun des trois ne peut fonctionner sans les autres« .
Un avis que partage Amandine Hersant. « Les 100 millions d’euros sont loin d’être suffisants pour l’instant. Par exemple ça permettrait de restaurer seulement 15.000 hectares environ dans le bassin du Congo – en faisant un projet de qualité, engageant les populations locales – alors que ce seul pays en a perdu 491.000 en 2020 ! Il est donc nécessaire de trouver des fonds beaucoup plus conséquents pour les forêts sans pour autant en faire un pur produit financier. La forêt a une valeur inestimable à laquelle nous ne pouvons pas coller un prix de marché. Il faut l’appréhender dans sa complexité, prendre en compte son lien aux humains qui y vivent, son rôle sur le changement climatique et le cycle de l’eau, sa biodiversité… et ne pas uniquement valoriser le carbone« .
La plantation de nouveaux espaces forestiers, une solution ?
Si planter des arbres peut jouer un rôle dans la lutte contre le changement climatique, préserver les forêts déjà existantes demeure la meilleure solution pour maintenir le processus d’absorption et de séquestration du carbone. “La priorité reste de protéger et conserver les espaces forestiers actuels, confirme Amandine Hersant. Nous n’arriverons jamais à reconstituer les forêts primaires. Lorsqu’elles sont abîmées, c’est une biodiversité perdue qui ne reviendra pas”.
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Des propos soutenus par Nancy Harris et David Gibbs, chercheurs pour le Global Forest Watch et co-auteurs de l’étude publiée dans la revue Nature Climate Change. Les scientifiques expliquent dans un communiqué que “les données montrent que les forêts qui ont poussé au cours des 19 dernières années représentent moins de 5% du puits de carbone des forêts mondiales actuelles« . À l’inverse, leurs observations confirment que les aires protégées aident à préserver le pouvoir de séquestration des forêts.