Au sommet sur l’océan à Nice, Emmanuel Macron a annoncé vouloir déployer des « zones de protection forte » pour limiter le chalutage de fond. Un statut qui ne change en réalité presque rien, dénoncent de nombreux scientifiques et les associations de protection de l’environnement.

C’est le chiffre à retenir des annonces d’Emmanuel Macron lors du sommet sur l’océan à Nice (Unoc3). Pour lutter contre l’effondrement de la biodiversité marine, le gouvernement veut placer 4% des aires marines françaises hexagonales en « zone de protection forte » d’ici fin 2026, alors qu’aujourd’hui, ce chiffre s’élève à 0,1%. En ajoutant les aires marines françaises d’outre-mer, le chiffre grimpe à 14,8% des eaux françaises, contre 4,8% aujourd’hui. Emmanuel Macron déclare ainsi dépasser l’objectif de 10% en « zone de protection forte » d’ici 2030, chiffre inscrit dans la Stratégie nationale pour les aires protégées.
Le chef de l’État a déclaré vouloir limiter ainsi le chalutage de fond, méthode de pêche destructrice des habitats marins en laissant traîner un filet sur le fond des mers. « Il y a des endroits où il faut limiter cette activité », annonçait-il dans un entretien pour la presse régionale paru deux jours avant le début du sommet. Le ministère de la Transition écologique a ensuite publié des cartes pour détailler l’emplacement des « zones de protection forte ».
« Une escroquerie » pour Bloom
Les organisations de défense de l’environnement ont immédiatement critiqué des effets d’annonce « insuffisants » et « décevants » au regard de l’ambition affichée par ce sommet international. « Fomenter une telle escroquerie et oser la publier au sommet mondial de l’ONU sur l’océan relève à la fois de la malhonnêteté et de l’arrogance », accuse l’association Bloom dans un communiqué.
L’ONG qui œuvre pour la conservation des écosystèmes marins dénonce un tour de passe-passe. La quasi-totalité des espaces concernés par le déploiement des « zones de protection forte » ne voient déjà plus aucun chalut de fond depuis plusieurs années. Pour cause : ce sont des espaces maritimes avec plus de 800 mètres de profondeur. Or en France, depuis 2017, le règlement qui encadre la pêche profonde interdit le chalutage de fond sur ces endroits. En clair, on interdit le chalut de fond dans des endroits où il est déjà interdit.
D’autres méthodes de pêche destructrices toujours autorisées
Et quand bien même les zones de protection forte interdiraient ce type de pêche dévastateur dans certains espaces, d’autres pratiques dévastatrices pour la biodiversité resteraient autorisées, rappellent des scientifiques. « Le chalut pélagique, qui vise des espèces à profondeur moyenne, et la senne démersale sont des techniques de pêche industrielle qui participent à la surpêche et à l’effondrement des populations d’animaux marins. Pourtant le statut de « protection forte » ne les interdit pas », explique Charles Loiseau, chercheur au CNRS.
Comment expliquer qu’une « zone de protection forte » ne protège pas réellement la biodiversité ? « En fait, c’est une classification très floue, qui en soi n’interdit pas grand chose », explique Pascale Ricard, juriste en droit international de la mer et chercheuse au CNRS. Ce statut, créé par la Stratégie nationale pour les aires marines protégées, n’a presque aucun effet normatif. « C’est avant tout un label sans effet concret. Ici, le gouvernement s’en sert pour annoncer protéger une zone du chalut de fond alors qu’il est déjà interdit. On peut dire que c’est un peu du vent. »
« Zone de protection forte », un statut qui veut tout et rien dire
Ce statut est pourtant censé transcrire dans la loi française la notion de « protection stricte » inscrite dans la Stratégie de l’Europe sur la biodiversité. Cette dernière prévoit d’interdire toute forme d’activité extractive, et notamment la pêche, dans 10 % des surfaces maritimes de chaque pays de l’Union européenne. Mais dans le droit français, la « protection forte » ne reprend pas l’idée d’une classification contraignante qui interdise totalement la pêche. Depuis plusieurs années, des associations de protection de l’environnement comme Bloom ou la Ligue de protection des oiseaux dénoncent l’abandon de l’idée initiale de « protection stricte ».
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Confronté à ces critiques sur France 2 lors d’une émission menée par les journalistes Léa Salamé et Hugo Clément, Emmanuel Macron n’a d’ailleurs pas voulu répondre à l’idée d’interdire le chalut de fond sur toutes les « zones de protection forte ». « Moi j’écoute les pêcheurs. /…/ La France est bonne élève car elle a beaucoup moins de chalut de fond que les copains », a-t-il ajouté, rejetant la faute sur les autres pays de l’Union européenne.
Revenir à la notion de « protection stricte » dans les aires marines ?
Le Président de la République dit avoir consulté des scientifiques pour établir sa stratégie de protection des aires maritimes. Quand on pose la question à des chercheurs, on entend un tout autre discours. « On a l’impression que les cartes des zones de protection forte du ministère sortent un peu de nulle part. Et cela fait des années qu’on veut une clarification sur ce que veut vraiment dire une zone de protection forte », explique Charles Loiseau, scientifique du CNRS. Selon lui, l’objectif de 4 % de protection des zones maritimes de France hexagonale est en lui-même insuffisant pour protéger efficacement la biodiversité.
« La convention de Nagoya sur la diversité biologique prévoit une notion de représentativité des écosystèmes. C’est-à-dire protéger de la même manière chaque façade maritime. » Or, pour atteindre l’objectif de 10% de « zone de protection forte », le gouvernement compte protéger 4 % des aires marines hexagonales, et 15 % des aires marines d’outre-mer. « Si on veut, on peut protéger un million de kilomètres carrés en Polynésie française. On accomplira nos objectifs sur le papier, mais ça ne résoudra pas la question de l’effondrement de la biodiversité dans la Manche, dans la Méditerranée et dans la mer du Nord qui met en danger la pêche artisanale », détaille Charles Loiseau.
En avril 2025, avec un autre chercheur du CNRS, Joachim Claudet, et l’ONG Greenpeace, il publiait une proposition de cartographie pour protéger de manière cohérente 10 % de chaque façade maritime française. En utilisant cette fois-ci la notion de « protection stricte », qui interdit quasi-totalement les activités sur une aire marine. « Quand on interdit complètement la pêche dans une zone, on permet aux populations de poissons de se renouveler, ce qui garantit la pérennité de la pêche sur les zones qui entourent les espaces protégés », détaille-t-il.