Selon le CNRS, les espèces exotiques envahissantes pourraient augmenter avec le dérèglement climatique. La situation est particulièrement alarmante sur les îles subantarctiques comme l’archipel de Crozet. Deux chercheurs du CNRS nous expliquent les conséquences sur la biodiversité.
Frelon asiatique, grenouille taureau, jussie rampante, les espèces exotiques envahissantes sont désormais monnaie courante. Selon un rapport de l’IPBES, en 2023, plus de 37.000 espèces exotiques étaient recensées dans le monde. Toutefois, seulement 3.500 d’entre elles sont invasives. Cela pourrait sembler peu. « Cependant, ces 10 % suffisent à causer des dégâts majeurs à la biodiversité, aux contributions de la nature aux peuples et à la bonne qualité de vie », détaille le Muséum National d’Histoire Naturelle.
Dans la majorité des cas, ces espèces invasives sont introduites dans leurs nouveaux milieux par l’humain. Toutefois, le problème des espèces invasives atteint également des zones du globe ou la présence humaine est rare. L’Institut Polaire Français étudie notamment les invasions biologiques dans les îles subantarctiques comme l’archipel de Crozet. David Renault, enseignant-chercheur à l’Université de Rennes 1 et directeur scientifique au CNRS, s’intéresse plus spécifiquement au cas de l’île de la Possession, île majeure de cet archipel.
Une île isolée, mais remplie d’espèces exotiques envahissantes
Du fait de sa situation géographique, l’île de la Possession, tout comme le reste de l’archipel de Crozet, demeure très isolée. « Nous sommes presque à 3.000 km au sud de l’île de la Réunion », précise David Renault lors d’un colloque consacré aux espèces exotiques envahissantes, organisé en ligne par l’association des journalistes de l’environnement (AJE), le 5 avril dernier. « Le seul moyen possible pour se rendre dans ces régions est le navire-ravitailleur Marion Dufresne II. Il n’y a pas de possibilité aéroportée, les distances sont beaucoup trop importantes », ajoute-t-il.
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La présence humaine sur ces îles est récente, puisque les bases de recherche ne remontent qu’aux années 1950. Malgré cela, en quelques années, les scientifiques constatent des modifications du couvert végétal de certaines zones de l’île. Et cela pose problème. L’île de la Possession abrite « de nombreuses espèces endémiques, donc exclusives des ces régions subantarctiques », explique le directeur scientifique. « Ces espèces forment des communautés végétales uniques et des paysages emblématiques », précise-t-il.
Cependant, cette biodiversité est fortement menacée par les espèces non-natives et les invasions biologiques. D’après David Renault, l’île de la possession compte 25 espèces de plantes natives pour 68 introduites. Toutes ces espèces ne sont pas invasives et ne se répandent pas. Cependant, « ces chiffres sont marquants et particulièrement alarmants », prévient le directeur de recherche.
Des invasions amplifiée par le dérèglement climatique…
« En dépit d’une présence humaine relativement récente, on a des changements qui sont extrêmement rapides et forts en termes de répartition des espèces introduites », affirme David Renault. Ces changements sont suivis par les scientifiques afin d’étudier l’évolution de la répartition de ces espèces exotiques envahissantes et de comprendre leurs mécaniques d’invasions. « L’un des facteurs qui nous intéresse beaucoup, en région polaire, est l’impact du changement climatique », mentionne-t-il. Par exemple, le dérèglement climatique permet au pâturin des prés, une herbacée vivace d’atteindre de nouvelles zones de l’île, du fait de leur réchauffement. « Ainsi, le nombre de sites dans lesquels cette espèce pourrait être présente devrait fortement croître si aucune mesure de gestion ou de remédiation n’est mise en place », explique le chercheur.
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Les chercheurs se servent à la fois de leurs observations sur le terrain et de modèles prédictifs pour étudier « la manière dont le changement climatique est corrélé au succès invasif des espèces », détaille David Renault. Car ce phénomène ne se limite pas aux îles subantarctiques. D’après Franck Courchamp, directeur de recherche au CNRS, au niveau mondial, « le nombre d’espèces exotiques n’a cessé d’augmenter depuis des siècles dans toutes les régions et pour tous les groupes d’espèces ». « L’augmentation des transports internationaux va continuer d’accroître les introductions », explique le directeur de recherche. « Le changement climatique, lui, va augmenter les chances que ces introductions se transforment en invasions », conclut-il.
…avec des conséquences sur la biodiversité et des coûts gigantesques
Sur l’île de la Possession, ces nouvelles conditions climatiques mettent en péril les plantes natives. « Cette menace est forte et se fait par l’exclusion progressive des espèces natives et leur remplacement par les espèces introduites », explique David Renault. C’est par exemple le cas avec le pissenlit. « Lorsqu’on fait des suivis de la végétation, on passe de pourcentages de recouvrement de 5 à 10% d’espèces introduites à, quelques années plus tard, où on bascule sur 95% du couvert végétal occupé par ces espèces », s’alarme le chercheur.
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À l’échelle mondiale, les invasions biologiques sont « une menace majeure pour la biodiversité, même si on n’en parle pas souvent », rappelle Franck Courchamp. En effet, les espèces exotiques envahissantes seraient la cause, seules ou associées à d’autres facteurs, de 60% des extinctions mondiales. « On a déjà documenté, précisément, plus de 1.215 extinctions locales », explique le directeur de recherche. En plus de leur impact sur la biodiversité, les espèces invasives entraînent également de lourds coûts financiers pour les pays. Selon Franck Courchamp, en 2017, ces coûts s’élevaient à 162,7 milliards de dollars en 2017. Cette année-là, cela représentait plus de vingt fois les budgets de l’ONU et de l’OMS réunis. De plus, ces coûts sont largement sous-estimés et augmentent de manière exponentielle. Ainsi, en seulement deux ans, ils avaient presque triplé pour atteindre les 423 milliards de dollars.