Le dimanche 23 octobre, la Bergerie des Malassis fermera définitivement ses portes. La ferme écologique, sociale et culturelle de Bagnolet laissera bientôt place à une nouvelle école, un centre de loisirs et une crèche. Cette nouvelle provoque le désarroi des riverains.
À Bagnolet, en Seine-Saint-Denis, au 9 rue Raymond Lefebvre, des bruits de scies et de ponceuses tranchent avec le calme des rues. Campé entre de hautes barres d’immeubles, un tas de gravats apparaît derrière une grande grille. Sur son fronton, l’inscription « La Bergerie des Malassis » commence à s’estomper. Dur d’imaginer qu’ici a régné pendant plus de 10 ans le « pays des enfants », comme le berger Gilles Amar aime l’appeler avec un air morose.
La bergerie des Malassis, c’était son bébé. En 2008, avec des Bagnoletais en quête de ruralité, Gilles Amar crée l’association Sors de Terre. Le but : créer des jardins collectifs, animer des ateliers pédagogiques, et d’insertion sociale et professionnelle par le jardinage. C’est avec eux qu’en 2011 Gilles Amar a fondé la bergerie des Malassis. Pour le quadragénaire, ce coin de verdure en pleine ville était un « lieu emblématique du quartier ». Mais désormais, tout ceci est terminé.
Les habitants unis pour le maintien de la bergerie
La mairie de Bagnolet a sonné le glas pour la bergerie. « Dimanche prochain, on doit être parti », regrette Gilles. Les habitants du quartier ont pourtant essayé de s’opposer au projet de la ville. Mais c’est décidé, Les 2.500 m2 de la parcelle qu’occupait la bergerie accueilleront les nouveaux locaux de l’école voisine (l’École Pêche d’Or) qui doit être agrandie, ainsi qu’une crèche et un centre de loisirs. La mairie a prévu de réinstaller le berger aux abords de cette nouvelle école après la fin du chantier.
Sors de Terre a lancé plusieurs pétitions largement relayées pour défendre la bergerie. Les murs de Bagnolet sont encore couverts de messages de soutien à cet espace unique. « Sauvons l’îlot Pêche d’Or Bergerie », peut-on lire sur un mur avoisinant peint de couleurs vives à côté de photos de chèvres. L’association a même défendu durant plusieurs mois, avec le soutien d’une partie de la population locale, un projet alternatif de « ferme-école » qui ne verra pas le jour.
La tristesse des riverains
Dans la rue, Sylvie, retraitée, s’est arrêtée un instant et regarde avec désolation les hommes qui s’affairent à débarrasser la bergerie de ses derniers vestiges. Planches en bois, vieux tapis, bottes de foins, quelques guirlandes et peluches ici et là. Dur d’imaginer à quoi ressemblait l’endroit il y a quelques semaines. « C’est vraiment triste ce qu’il se passe. Tous les riverains étaient opposés à la destruction », dit Sylvie en soupirant.
Charlotte, une voisine trentenaire en train d’enfourcher son vélo garé à proximité, jette un coup d’œil morose à l’avancée des travaux. « Tout le monde connaît Gilles ici. On le voyait passer ici et là avec ses chèvres qu’il emmenait paître aux alentours, les enfants du quartier suivaient le troupeau, ils étaient heureux… », explique-t-elle, nostalgique.
Un lieu de rencontre et d’échanges
À quelques mètres d’elles, derrière la grille, Gilles Amar les salue, sans interrompre le démantèlement de l’ancienne terrasse. Cette dernière était le lieu de rassemblement du quartier. Ici familles, enfants ou retraités venaient s’y mélanger et partager un moment de convivialité. Désormais, des plantes grimpantes envahissent les ruines de la buvette. « Quand j’ai emménagé dans le quartier, je suis tombée par hasard sur la bergerie au cours d’une promenade, explique Coline*. On m’a invité à boire une bière, et on s’est tellement amusés que j’en suis repartie à 2h !« . Régulièrement à la tombée de la nuit, l’association organisait concerts et fêtes où tous étaient les bienvenus. La journée, la bergerie était accessible librement. Grands comme petits pouvaient y venir câliner les animaux.
Mais dans quelques jours le béton recouvrira ces terres qui font partie du patrimoine agricole d’Île-de-France. En attendant la fin des travaux, Gilles et ses animaux seront sur une parcelle d’à peine 600 m2. « Au moins ils restent dans le coin. Mais dans un tout petit coin… » ironise Alain, mari de la gardienne de l’école voisine, qui a aidé Gilles à s’occuper des chèvres ces onze dernières années. « J’habitais là, au sein même de l’enclos des chèvres. Ma maison, c’était une baraque en bois ». Les travaux l’ont détruite. Depuis, Alain et sa femme habitent près d’une autre école du quartier dont ils sont les gardiens.
Le début d’une nouvelle ère pour la bergerie
En dépit de leur tristesse, les amoureux de la bergerie des Malassis restent liés. Chaque soir jusqu’au grand départ le 23 octobre, voisins, amis et familles se rejoignent autour d’un feu pour profiter des dernières soirées sur ce qu’ils nomment leur « oasis ». Autour d’une petite table en bois où s’empilent les verres vides, ils chantent en cœur et se remémorent les bons moments passés ici.
Une fois la nuit tombée, les travaux s’arrêtent et le calme revient. Derrière les rires, se distinguent alors les bêlements des treize dernières chèvres de Gilles. Leur enclos, séparé des travaux par de hautes barrières, sera bientôt démonté. Il y a quelques semaines, Gilles à dû se séparer de la majeure partie de ses bêtes. « »J’ai vendu et donné 28 chèvres. Elles sont parties en Normandie, elles seront mieux là-bas », explique Gilles avec une pointe d’amertume.
Malgré les événements, le berger garde le sourire. Il informe régulièrement ses nombreux abonnés sur les réseaux sociaux des péripéties de la bergerie et le répète, « Ne soyez pas triste, plein d’autres bon moments arrivent ». Lorsqu’on lui parle de l’avenir, celui-ci reste, tout de même, positif. « On a encore pleins de belles choses à faire. Le fait que l’association existe encore, pour nous c’est déjà une victoire. »
*Le prénom a été changé