Le mois dernier, l’Agence internationale de l’énergie publiait son rapport annuel sur l’efficacité énergétique. L’AIE y dresse un état des lieux et propose des axes d’amélioration pour atteindre les objectifs climatiques internationaux. Entretien avec Nicholas Howarth, analyste des politiques énergétiques à l’AIE.

Dans son rapport annuel publié mi-novembre, l’Agence internationale de l’énergie relève des progrès “pas assez rapides pour atteindre les objectifs climatiques internationaux.” Selon l’AIE, les investissements dans l’efficacité énergétique devraient augmenter de 10% cette année pour atteindre près de 300 milliards de dollars, majoritairement dans le secteur du bâtiment. Mais pour atteindre les objectifs climatiques, « il faut tripler ces investissements d’ici 2030« , prévient Nicholas Howarth, analyste des politiques énergétiques à l’AIE, détaille pour Natura Sciences les tenants et aboutissants de l’efficacité énergétique face à l’urgence climatique.
Faire plus avec moins, c’est la promesse de l’efficacité énergétique. Selon Nicholas Howarth, une façon de penser ce concept est de “chercher comment obtenir plus de services tout en consommant moins d’énergie.” En économie, l’efficacité énergétique désigne l’état de fonctionnement d’un système pour lequel la consommation d’énergie est minimisée pour un service rendu identique.
Dans son rapport annuel, l’AIE détaille une série de mesures pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Elles vont de la multiplication des pompes à chaleur à la réduction à 100 km/h de la vitesse sur autoroutes en passant par une collecte des plastiques en hausse. Ou encore le recours aux trains plutôt qu’aux vols régionaux.
Natura Sciences : Quels sont les progrès que l’AIE souligne ?
Nicholas Howarth : L’une des bonnes nouvelles du rapport est que les investissements dans l’efficacité énergétique (bâtiments, voitures, industries) ont augmenté de 10% en 2021 pour atteindre près de 300 milliards de dollars dans le monde. C’est en partie dû aux politiques gouvernementales visant à soutenir l’économie grâce à des programmes de récupération d’énergie renouvelable. L’une des réussites principale vient d’Europe, dans le secteur du bâtiment. Même s’il y a plus de monde et d’activité, la consommation énergétique n’augmente pas comme on pourrait s’y attendre car nous devenons plus efficaces.
Pourquoi l’AIE juge-t-elle que le développement de l’efficacité énergétique reste insuffisant pour atteindre les objectifs climatiques ?
Mauvaise nouvelle : le niveau d’intensité énergétique n’est encore qu’à la moitié de ce qu’il faudrait pour atteindre l’objectif zéro émission. L’AIE dispose d’un modèle de système énergétique qui détaille ce qui doit être fait pour atteindre l’objectif de zéro émission nette d’ici 2050. De toute évidence, la décarbonation de l’énergie à partir des combustibles fossiles est l’enjeu majeur. Mais il y a aussi l’efficacité énergétique. Car si on peut faire plus avec moins d’énergie, les énergies renouvelables pourraient remplacer plus rapidement le charbon, le gaz et le pétrole. Pour le comprendre, l’indicateur d’intensité énergétique mondiale est intéressant. Grâce à lui, on constate que d’ici 2030, l’intensité énergétique de l’économie, soit le montant du PIB créé par unité d’énergie, peut baisser de 34%.
Qu’est-ce que l’intensité énergétique mondiale ?
L’intensité énergétique mondiale est l’un des indicateurs utilisés par l’AIE. Toute l’énergie produite et consommée dans le monde est liée à la quantité d’activité économique, mesurée par le PIB. Ainsi, l’intensité énergétique mondiale est un indicateur du PIB. L’intensité ne dit pas à quel point un refroidissement est efficace, mais elle indique à quel point l’économie est efficace dans l’utilisation de l’énergie. L’agence se concentre grandement sur les données qui sous-tendent la quantité et le type d’énergie que l’économie utilise.
Pourquoi mesurer l’efficacité énergétique ?
Partout dans le monde, les gens veulent vivre mieux. Ce qui signifie être à l’aise dans leur maison, voyager, utiliser des produits qui nécessitent de l’énergie. L’efficacité énergétique permet de répondre à ces aspirations sans utiliser trop de ressources qui peuvent être néfastes pour l’environnement. Nous devons réduire notre impact environnemental. Or beaucoup de combustibles fossiles sont encore utilisés dans notre réseau énergétique.
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D’où viennent les données de ce rapport annuel ?
Chaque année, l’AIE dresse un état des lieux de ce qui se passe dans le monde en termes d’efficacité énergétique. Nous avons de nombreux partenariats avec des gouvernements qui nous renseignent sur les politiques en place. Notre travail s’intéresse aussi aux industries pour en savoir plus sur les technologies récentes qui pourraient changer notre quotidien.
Nous recueillons des données économiques sur la consommation d’énergie afin d’évaluer l’impact des politiques et technologies. Nous suivons ces progrès, puis nous fournissons des commentaires. En somme, nous essayons de répondre à la question « qu’est-ce qui fonctionne ou non, que peut-on améliorer, quelles leçons peut-on en tirer ?« .
Comment l’amélioration de l’efficacité énergétique peut-elle créer des millions d’emplois de qualité, comme l’affirme l’AIE ?
Les deux tiers des dépenses publiques consacrées à l’énergie propre et à la récupération durable sont consacrées à l’efficacité énergétique. Cela, car elle soutient le secteur de la construction, les personnes travaillant dans les bâtiments, les projets de rénovation et d’urbanisme et les infrastructures. La mise à l’échelle de ces projets mobilise un important bassin de main-d’œuvre et crée des emplois à la fois locaux et durables. Il est très populaire auprès des gouvernements d’insister sur les besoins de ces mesures dans leurs dépenses de relance. Si les investissements dans l’efficacité sont triplés d’ici 2030, nous estimons qu’environ quatre millions d’emplois supplémentaires dans les infrastructures et la construction pourraient être créés.
Et comment peut-elle réduire les factures d’énergie ?
Le rapport examine les preuves récoltées ces vingt dernières années concernant l’impact des normes d’efficacité pour les nouveaux appareils et véhicules sur les factures d’énergie et le coût des appareils. Pour les pays avec les plus longs programmes d’efficacité, les résultats sont notables. Un appareil électroménager – réfrigérateur, climatiseur ou télévision – consomme en moyenne 50% moins d’énergie qu’il y a vingt ans. Et comme moins d’énergie est consommée, la facture est réduite de moitié. Le rapport souligne qu’aux États-Unis, chaque ménage épargne 320 dollars par an grâce à l’efficacité.
Ce qui est aussi intéressant, c’est que ces appareils, bien plus performants, sont aussi bien moins chers qu’il y a cinq, dix et vingt ans. Leur prix moyen a baissé de 2 à 3% par an. Les nouveaux appareils sont moins chers et les factures d’énergie des consommateurs sont moins élevées. C’est un résultat positif car il y a idée reçue selon laquelle il pourrait être plus coûteux d’acheter des appareils écologiques. L’efficacité fait également émerger l’innovation dans de nombreux cas.
Quelles sont les améliorations globales que propose l’AIE ?
Pour plus d’efficacité, le rapport contient plus de quarante actions et technologies spécifiques. Selon moi, la feuille de route Net zéro d’ici 2050 est le rapport le plus important que l’AIE ait jamais produit. Nous examinons notamment de très près le rôle de l’efficacité dans trois domaines : bâtiments, transports et industries.
Dans les transports par exemple, il est très important que les améliorations d’efficacité se poursuivent pour les voitures conventionnelles. Car dans le meilleur des cas, en matière d’électrification, environ 80% de toutes les voitures en circulation en 2030 utiliseront encore le pétrole comme carburant principal. Les véhicules électriques sont plus efficaces, mais nous ne pouvons pas oublier les normes d’efficacité pour les voitures que nous avons déjà.
Devenir plus efficace, ce n’est pas seulement changer les équipements que nous utilisons. C’est aussi réfléchir à comment la société et les individus peuvent utiliser au mieux les ressources dont nous disposons.
Jeanne Guarato