Basée au Havre, l’entreprise Towt veut contribuer à la transition énergétique du transport de marchandises. Bientôt, Towt aura ses propres cargo à voile, en cours de construction. Natura Sciences a interrogé Guillaume Le Grand, cofondateur et président de l’entreprise, sur le futur du transport à la voile.
Le vent pourrait-il devenir le nouvel allié du transport maritime? L’entreprise bretonne Towt en est persuadée pour remplacer les giga porte-conteneurs qui carburent principalement aux énergies fossiles. Depuis 2011, la société lancée par Guillaume Le Grand et Diana Mesa fait le pari de réhabiliter la voile pour le transport de marchandises. Et la solution séduit. Fabricants de vin, de café ou encore de cacao font appel à Towt, qui met à contribution le vent en affrétant de vieux gréements.
En une dizaine d’années, les Bretons comptabilisent près de 2.000 tonnes de marchandises envoyées par les mers. Et ils ne comptent pas s’arrêter là. Guillaume Le Grand a reçu Natura Sciences dans leurs tous nouveaux locaux, situés à proximité du port du Havre pour nous aider à comprendre comment le transport à voile peut se faire une place dans le paysage maritime international.
Natura Sciences : Comment l’aventure Towt a-t-elle commencé ?
Guillaume Le Grand : Nous sommes partis du constat que de vieux gréements naviguent chaque jour autour du globe, notamment pour le loisir. Alors, nous avons pris contact avec certains d’entre eux pour voir s’ils avaient la possibilité de charger des marchandises pour nous sur leur route, entre Nantes, Bordeaux et Douarnenez. Au fur et à mesure du temps, nous nous sommes développés. De plus en plus d’entreprises soucieuses de réduire leur empreinte carbone nous contactaient afin de savoir s’il était possible que nous leur trouvions des navires disponibles pour transporter leurs marchandises. Lorsque cela a pris de l’ampleur, nous avons commencé les voyages transatlantiques. Nous avons ouvert plusieurs routes maritimes vers l’Amérique, mais aussi vers l’Afrique et l’Asie.
Et ensuite ?
Jusqu’à 2018, nous étions focalisés sur le vieux gréement. Puis nous sommes passés à la vitesse supérieure et avons cherché à changer d’échelle. Nous avons lancé un programme pour construire notre propre flotte de navires. Actuellement nos deux premiers voiliers-cargos sont en construction. Le premier sera mis à l’eau fin 2023. Auparavant, le plus gros navire avec lequel nous avions travaillé mesurait 44 mètres de long et avait une capacité de chargement de 100 tonnes. En comparaison, celui que nous sommes en train de construire fera 80 mètres de long, avec une capacité de 1.000 tonnes de marchandises.
Ces quantités sont faibles par rapport à celles des porte-conteneurs [le plus gros porte-conteneur français, le CMA CGM Antoine de Saint-Exupéry, peut transporter jusqu’à 200.000 tonnes de marchandises, NDLR]. Mais même un kilo sur mille transporté à la voile, c’est déjà une petite victoire. Nous pensons qu’en nous développant, nous sommes capables de remplacer un paquet de portes-conteneurs.
Comment peut-on savoir qu’un produit à été acheminé par voilier ?
Par définition, tout café, tout chocolat que vous consommez vient de loin. Tout cognac, que notre beau pays produit, s’exporte loin. C’est le cas de 90% des marchandises autour de nous. Aujourd’hui, cela représente 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, En 2050, ce sera 17%.
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Pour pouvoir différencier les produits issus de ce mode de transport, nous avons créé le label Anemos. Notre but est que d’ici cinq ou dix ans, il ait autant d’impact qu’un label bio équitable. Concrètement, chaque produit a un “code de voyage”. Lorsque le consommateur flash ce code, il accède au journal de bord de son produit, lui attestant son transport par voilier. Il pourra voir entre autres des photos du voyage, des vidéos de l’équipage, la trace GPS du produit, une évaluation du carbone économisé. Nous pensons que c’est une façon assez nouvelle de faire du commerce.
Et quelle est la conséquence de ce type de transport sur le prix des produits et sur son temps de livraison ?
Le transport par voilier est un peu plus cher que le transport classique. Mais notons que nous sommes quasiment aussi rapides qu’un porte-conteneur classique. Typiquement, nous faisons Le Havre New-York en une quinzaine de jours. Pour ce même trajet, il faut compter normalement entre dix et douze jours avec un cargo classique.
Enfin, le transport de marchandises à la voile a-t-il un impact sur la qualité du produit à sa livraison ?
Déjà, le produit ne va pas passer plusieurs jours dans un conteneur sombre où il fait 20°C la nuit et 70°C le jour lorsque le soleil tape. Il n’y aura ainsi pas de bouchon de vin qui saute par exemple. Nous avons des cales qu’il est possible d’aérer. Dans les conteneurs, il y a beaucoup de contamination due à l’humidité. Les cafés, les cacaos pourrissent, des germes et des spores de champignons se baladent, amenant au final à de grosses grosses pertes de qualité.
Il y a aussi la contamination par les drogues. Dans les millions de conteneurs qui arrivent, planqués ici et là, il y a de la cocaïne qui vient de Colombie. Nous pensons être plus sûrs en termes d’intégrité par rapport à ce type de contamination. Donc, d’un point de vue maritime et nautique, d’un point de vue qualitatif, qualité de l’air et même d’un point de vue narcotrafic, on pense être plus sécurisés. Je pense que c’est ce que les clients achètent. Un modèle où l’on sait où est le bateau en permanence et ce qu’il s’y passe.