Des scientifiques de l’INRAE et du CNRS modélisent pour la première fois la teneur en eau des plantes en période de sécheresse et lors des vagues de chaleur. Ces résultats devraient permettre de développer des modèles de prévision des risques d’incendie bien plus précis que les actuels. Nicolas Martin, chargé de recherche à l’unité sur les forêts méditerranéennes de l’INRAE, nous en dit plus sur cette avancée.

Partout dans le monde, des incendies dévastateurs balayent des centaines d’hectares de végétation. Depuis le début de l’année 2022, les flammes ont détruit plus de 62 000 hectares en France, selon le service européen Copernicus. Le changement climatique favorise ces catastrophes climatiques en provoquant des épisodes de sécheresse et des températures anormalement élevées. Peu étudié jusqu’à présent, le dessèchement des arbres est un facteur clé dans la propagation des feux de forêt.
Face à ce constat, des spécialistes du fonctionnement hydrique des plantes et des spécialistes des feux de forêt se sont associés pour développer un premier modèle de prédiction de la teneur en eau des végétaux. Leurs résultats, publiés dans la revue New Phytologist, pourraient permettre de développer des modèles de prévision des risques d’incendie intégrant le fonctionnement de la végétation. La création d’un indice plus fiable permettrait de mieux indiquer les risques.
Natura Sciences : Sur quoi s’appuient actuellement les services de lutte contre les incendies pour réaliser leurs prévisions d’incendies ?
Nicolas Martin : Jusqu’à présent, les services de lutte contre les incendies utilisaient l’indice forêt météo, un indice météorologique qui tient compte de la sécheresse de façon empirique. Cet indice tient compte de la pluie, de la température, du soleil, etc. Il n’est pas fiable, car il ne prend pas en compte les spécificités de la végétation présente. Or, le contenu en eau des feuilles des arbres est un facteur clé dans la propagation des incendies. Ce lien entre la réponse de la végétation à la sécheresse et le risque incendie était jusqu’à présent peu étudié.
Le réchauffement climatique entraîne une augmentation de la zone en danger d’incendie en France. Elle était relativement contenue à la Méditerranée jusqu’à présent. Mais ces dernières années, on s’aperçoit qu’il y a de plus en plus d’incendies dans d’autres zones. Il est donc nécessaire aujourd’hui de développer des indices plus performants.
En quoi la prise en compte du fonctionnement de la végétation permet-elle une meilleure prévision des incendies ?
Cela est important, car c’est la végétation qui brûle lors des feux de forêt. La facilité d’un tissu à brûler est directement dépendante de sa teneur en eau. Une plante en bonne condition contient énormément d’eau. Tant qu’il n’y a pas de sécheresse, il y a beaucoup plus d’eau que de matière sèche dans les tissus végétaux. À ce moment-là, il est quasiment impossible de déclencher un incendie. Dès que le taux d’eau dans les plantes commence à baisser, l’inflammabilité d’une zone devient plus grande.
Concrètement, sur quels principes se base ce premier modèle ?
L’idée de ce modèle est de se baser sur la physiologie de l’eau dans les plantes. Ce qui compte c’est de comprendre pourquoi les plantes entrent en stress hydrique et pourquoi leur teneur en eau diminue. Les plantes consomment l’eau du sol en permanence. On peut comparer cela à de la transpiration. Quand il fait très chaud et sec, l’eau du sol se vide parce que les plantes la consomment. Lorsqu’il fait très chaud et qu’il n’y a pas de pluie, les plantes entrent dans un autre régime. Au lieu de consommer l’eau du sol qui est insuffisante, elles consomment alors leur propre eau et se dessèchent.
Selon les variétés de plantes, la vitesse de consommation de l’eau présente dans le sol et de l’eau qu’elles contiennent diffèrent. Cela va conduire à des différences de dessèchement des forêts selon les écosystèmes. Par exemple, un arbre de vingt centimètres de diamètre consomme plusieurs dizaines de litres par jour. Mais la consommation peut atteindre jusqu’à des milliers de litres par jour pour de très gros arbres tropicaux. Les plantes n’ont pas toutes les mêmes besoins d’eau, et donc les écosystèmes vont tous réagir différemment face à la sécheresse de leurs sols.
Comment ce modèle fonctionne-t-il ?
Il s’agit en fait d’un code informatique qui contient des suites d’équations. On lui fournit le climat d’une zone toutes les heures. Ensuite on va lui indiquer quelle est la végétation en place ainsi que d’autres caractéristiques de physiologie végétale. Par exemple, à quelle vitesse les plantes présentes transpirent, à quel point elles ont un enracinement profond, combien elles ont de feuilles pour avoir leur taux de transpiration ou encore à quel point elles retiennent l’eau dans leurs tissus.
À partir de toutes ces données, le modèle calcule chaque jour la quantité d’eau transpirée depuis le sol et depuis l’intérieur de la plante. Ainsi, nous pouvons savoir combien il reste d’eau dans la plante et dans le sol. C’est vraiment ça l’idée de ce modèle. Utiliser la physiologie des plantes pour comprendre comment varie l’eau à l’intérieur des tissus. Ça n’avait jamais été utilisé antérieurement dans la prévention des incendies.
Ce modèle est-il prêt à être utilisé à grande échelle ?
C’est un modèle expérimental : il n’a été testé pour l’instant que sur un seul site. Il s’agit du site expérimental de Puéchabon, une forêt méditerranéenne située à une quarantaine de kilomètres au nord de Montpellier. C’est un site historique du CNRS, qui est très très bien renseigné. Il existe depuis 1984, c’est un des plus vieux lieu de suivi des écosystèmes méditerranéens en Europe et en France.
Nous avons mis en place dans cette forêt un suivi systématique de la teneur en eau des feuilles depuis trois ans. Cela en faisait le site idéal pour tester le modèle puisque toutes les données y sont déjà collectées régulièrement. Par ailleurs, comme le site est suivi depuis longtemps, nous avions toutes les informations dont nous avions besoin : météo, description des arbres et des sols… Ainsi, nous avons pu tester le modèle dans tous ses détails et être sûrs qu’il fonctionne bien.
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Quand pourra-t-il être utilisé officiellement ?
Ce modèle est encore en développement, mais il devrait pouvoir être utilisable partout dans un futur proche. Il nous faut encore le tester sur d’autres sites dont on suit la végétation pour voir s’il peut s’appliquer à tout type d’écosystème. Notre ambition est qu’il puisse marcher pour n’importe quel type de végétation, partout dans le monde.
Le problème qui se présente à nous actuellement c’est que pour que ce modèle soit appliqué à grande échelle et devienne exhaustif, il nous faut des données – type de végétation, de sols etc – qui ne sont pas forcément disponibles facilement. Nous travaillons donc aujourd’hui pour utiliser à cet effet des données satellites. L’idée est de refaire le travail qu’on a fait à Puéchabon. Nous avions pour cela utilisé des données très détaillées collectées sur ce terrain. Là, nous remplacerions ces données par des données obtenues par satellites, pour voir si nous arrivons à retrouver des résultats aussi précis. Si cela fonctionne, ça voudrait dire que nous pouvons utiliser directement les informations satellitaires spatialisées pour faire les calculs. De là, le modèle pourrait être vraiment déployé à grande échelle et couvrir intégralement la planète.