Du 22 au 28 août, le collectif Le Bruit qui court organise son camp-festival, en marge du festival Agir pour le vivant. L’occasion d’un lancement officiel pour ce mouvement qui entend allier militantisme écolo et pratique artistique. Entretien avec une de ses fondatrices, Julie Pasquet.

À la fin du XIXème siècle, l’intellectuelle anarchiste et féministe Emma Goldman scandait : « Si je ne peux pas danser à la révolution, je n’irai pas à la révolution ». Une déclaration que semblent reprendre à leur compte les militants et militantes du Bruit qui court. Ce collectif, imaginé depuis plus d’un an se lance officiellement à l’occasion d’un camp-festival, organisé en marge du festival Agir pour le vivant, jusqu’au 28 août à Arles. Pendant six jours, il va ainsi se consolider autour d’ateliers de création et d‘animation dans la ville.
Ses 150 artistes militants entendent allier pratiques artistiques et luttes climatiques et sociales. Leur but : imaginer de nouveaux imaginaires plus désirables tout en pratiquant un militantisme joyeux, bien que dénué d’angélisme. Julie Pasquet, militante pour la justice sociale et climatique, cofondatrice de ce collectif, nous en dit plus.
Natura Sciences : Comment est né Le Bruit qui court ?
Julie Pasquet : Il y a plus d’un an, nous avons été sept amis à réfléchir autour de notre militantisme et notre lien à l’art. Certains d’entre nous avaient alors érigé des barrières entre ces deux univers. Or, nous sommes persuadés que de nouveaux récits, de nouveaux imaginaires ont le pouvoir de changer profondément notre société pour la rendre plus désirable. L’art est un levier extrêmement puissant en ce sens.
À l’été 2021, nous avons organisé une résidence d’artistes lors de la seconde édition du festival Agir pour le vivant, organisé à Arles. 25 jeunes artistes, militants et militantes ont alors imaginé des créations artistiques, ont tissé du lien et posé collectivement les briques de notre collectif. Un an plus tard, après plusieurs mois de résidence à Arles, nous allons officiellement lancer Le Bruit qui court.
Qui se cache derrière ce collectif ?
Nous étions une quarantaine, mais nous serons 150 lors du festival Agir pour le vivant. Il s’agit d’un mouvement de jeunes qui ont pour intention de faire jaillir, grâce à l’expérience artistique, un engagement profond et à la hauteur des urgences écologiques et sociales. Nous n’avons pas de limite d’âge. Simplement, ce mouvement a été créé et pensé par des jeunes qui ont travaillé pendant longtemps dans les mouvements de jeunesse pour le climat ou sur la question de justice sociale. C’est donc une cible et un univers que nous connaissons. Nous sommes aussi persuadés que c’est une génération qui peut faire bouger les choses.
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Le but est d’aller chercher à la fois des jeunes artistes engagés, qui ont déjà une sensibilité artistique liée à la question du climat ou de la justice sociale. On retrouve des artistes de théâtre, de danse, des arts graphiques, du chant, du slam… Et d’un autre côté, il y a de jeunes militants et militantes qui ont une fibre artistique et veulent se replonger dans leur art tout en restant engagés.
Quelles sont vos revendications et vos moyens d’action ?
Le Bruit qui court est un projet à deux jambes. La première c’est la création. Comment créer des œuvres artistiques, des pièces de théâtre, des romans qui permettent de penser un futur souhaitable ?
La seconde jambe c’est l’action. Nous sommes persuadés qu’il faut mettre ces récits en action, en image, en vie pour prouver qu’ils sont réalisables. Nous organisons de la désobéissance artistique. L’idée est de critiquer les institutions, culturelles ou non, qui ne sont pas à la hauteur des enjeux climatiques et sociaux. C’est aussi donner à voir le monde que l’on souhaite. Cette année, nous avons notamment organisé une action au sein de la collection Pinault à Paris. C’est le symbole de la financiarisation et de la privatisation du marché de l’art. Au lieu de prendre nos pancartes, de faire une manifestation, nous nous sommes infiltrés et avons organisé une chorale géante dans la collection afin de déclamer nos revendications.
Comment l’art vous permet-il de militer autrement ?
Une partie de nous est rationnelle, nous voyons les chiffres, nous entendons les alertes des scientifiques, nous regardons des documentaires. Nous essayons de comprendre, apprendre, analyser les faits qui touchent notre cerveau. Les faits sont là, sont accessibles. Mais ça ne fonctionne pas, nous ne nous dirigeons pas vers un monde avec des personnes de plus en plus engagées.
Au-delà de tout ça, il nous faut toucher les cœurs, les émotions, les tripes des gens. L’art a le pouvoir de déclencher cette bascule émotionnelle dont nous avons besoin. L’art a la puissance de véhiculer nos messages et montrer que nos récits et ces histoires sont plus désirables que le monde qu’on nous vend aujourd’hui. Quand on voit l’influence du cinéma, de la pub, de la musique et ses codes, on se dit que si ils faisaient passer d’autres messages, plus engagés, le monde n’aurait pas la même allure.
Par ailleurs, l’art est un moyen de faire passer nos messages mais aussi une fin en soi. Individuellement c’est un moyen d’extérioriser. Un des piliers du Bruit qui court, au-delà de l’art comme médium ou de la force du collectif, c’est la joie. Nous n’y arriverons pas sans joie militante. Ça ne veut pas dire prôner un optimisme irréaliste, mais se dire que ce collectif apporte de la joie, nous permet de trouver notre place, des pairs. C’est en véhiculant cette joie militante que nous allons réussir à engager un maximum de gens.