L’Institut pour la recherche et le développement (IRD) a organisé pour ses 80 ans le forum Science4action lundi 7 octobre. Lors des différentes tables rondes, le thème de l’engagement est revenu dans toutes les discussions, avec une question : quel impact un scientifique peut-il avoir dans le débat public ?
Il est 9 h du matin au palais du Pharo, à l’entrée du Vieux-port de Marseille. La salle est encore loin d’être remplie pour le forum international Science4action, organisé par l’Institut pour la recherche et le développement (IRD) à l’occasion de ses 80 ans. Le public écoute mollement les discours d’introduction d’usage, mais l’atmosphère change dès la première table ronde. Le thème proposé : « Comment les sciences peuvent répondre aux défis de l’humanité » ?
Maud Lelièvre, présidente du comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), met les pieds dans le plat. « Les scientifiques ne doivent pas être là juste pour constater que les multinationales détruisent les pays du Sud en les pillant. On doit s’associer aux populations pour avoir leur soutien. »
Nadine Machikou, scientifique camerounaise et vice-présidente de l’Association africaine de science politique, rebondit sur le propos. « La science participe aussi à comment les sociétés se conçoivent. Comment s’organisent-elles dans un contexte de dépossession comme celui du réchauffement climatique ou de l’accaparement des ressources ? La science doit être une science de soin. Il faut la repolitiser, elle peut avoir un programme décolonial. »
Décoloniser la science pour une collaboration mondiale
Parler de décolonialisme à l’IRD peut paraître paradoxal. Lors de sa création en 1944, l’institut avait un autre nom, l’Office de la recherche scientifique coloniale (ORSC). Le but était d’essayer de donner un nouvel élan par la recherche à un empire colonial français ébranlé par la guerre et les inégalités.
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Avec les années, l’institution a changé. L’IRD reste un outil diplomatique de l’Etat français, mais sous une autre forme. Il se concentre sur des recherches autour des objectifs du développement durable comme l’écologie ou les enjeux sanitaires, et deux tiers de ses publications sont co-écrites avec des chercheurs de pays dits « du Sud » .
Cette particularité rend cet institut unique au monde. Car ces pays sont les premiers concernés par les risques liés à ces crises, mais comme le souligne le rapport du GIEC, il y a un manque d’informations criant venant de ces territoires puisque la plupart des scientifiques et des organismes de recherche viennent de pays dits « du Nord ». Pour Nadine Machikou, une science décoloniale et engagée devrait corriger cette inégalité et faire une place à des sujets de recherche propres à chaque pays. « Pour savoir comment on fait société ensemble, même au niveau global. »
Lier science et droit
L’autre grand enjeu des discussions était l’influence des scientifiques sur la fabrique du droit. Un chercheur doit-il s’engager s’il trouve des lois écocidaires ? Devrait-il par exemple prendre position contre l’autorisation éventuelle de l’exploitation minière des fonds marins ? Si les chercheurs à la tribune y semblent plutôt favorables, la question divise toujours la communauté scientifique.
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Lors de la deuxième table ronde, intitulée « Dépasser la vision d’un monde ressource », la paléoclimatologue Valérie Masson-Delmotte a pris la parole en tant que vice-présidente du comité Ethique en commun. « Le comité a interrogé la posture des scientifiques engagés. Dans notre réflexion de scientifique, il faut mettre en premier l’habitabilité de la Terre sur le long terme, et intégrer les questions de ce qu’est qu’une vie bonne. /…/ Nous avons besoin d’une science publique forte et indépendante, et de préserver la liberté de parole des chercheurs. » En avril 2023, la paléoclimatologue s’était elle-même prononcée, au nom de la liberté d’expression, contre la menace de dissolution du mouvement militant des Soulèvements de la terre.
Ces discours plus engagés accompagnent un mouvement de fond dans le monde de la recherche. Les scientifiques n’ont jamais été apolitiques, mais la question de l’urgence climatique et écologique semble avoir été un déclic face au peu de prise en compte de leurs recommandations. « L’IRD a 80 ans, il faut maintenant se projeter 80 ans dans le futur », ouvre Valérie Masson-Delmotte.