Des militants et scientifiques du mouvement Scientist Rebellion ont mené ce jeudi 10 novembre une action devant le siège social du groupe Dassault Aviation à Paris. Ils demandent l’interdiction des jets privés. Reportage.

Le jeudi 10 novembre, trente militants et scientifiques de Scientist Rebellion étaient réunis devant les grilles du siège social de Dassault Aviation, à Paris. Dans le calme, les scientifiques vêtus de blouses blanches ont alors déployé trois banderoles reprenant leurs revendications. “Dans cette campagne nous exigeons trois choses. La première c’est de bannir l’usage des jets privés. La deuxième c’est de taxer les super voyageurs. La troisième c’est de faire payer les gros pollueurs », énonce, mégaphone à la main, Elie Oriol, doctorant en physique et membre de la branche française du collectif Scientist Rebellion. Il poursuit : « À l’échelle de la planète les 1 % les plus riches polluent plus que les 50 % les plus pauvres. Rien ne peut justifier une telle inégalité. Nous portons ces revendications ici, devant le siège de Dassault Aviation, troisième fabricant mondial de jets privés” .
Les jets privés pris pour cible dans 11 pays par Scientist Rebellion
Il s’agit de la première action du collectif de scientifiques se déroulant en simultané dans plusieurs pays. En effet, dans onze pays, des scientifiques se réunissaient ce jour pour cette première opération de leur nouvelle campagne internationale “Make them pay”. Des propos que le scientifique Elie Oriol explicite : “Dassault Aviation est le constructeur d’une grande partie des jets privés. Comment peut-on justifier l’existence de ces avions privés ultrapolluants au seul bénéfice d’une minorité d’ultrariches ?”
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Le doctorant illustre ensuite cette “aberration que constituent les jets privés” de quelques chiffres. “En moyenne les jets privés sont 10 fois plus polluants que les avions commerciaux, et 200 fois plus polluants que les trains grandes lignes français. Un vol privé de 4h génère autant d’émissions qu’un européen moyen sur 1 an. Encore plus grave : tandis qu’un automobiliste va payer 60 % de taxes sur son carburant, le combustible des jets privés est lui détaxé en France. Enfin, quel est l’usage des jets ? La moitié des villes desservies se trouvent en Provence-Alpes-Côte-d’Azur et on observe une large augmentation du trafic en été. Un usage donc plus de loisirs que de business comme on voudrait nous le faire entendre”.
La désobéissance civile comme seule moyen d’être entendus
Parallèlement à la prise de parole du physicien, les autres participants ont recouvert les grilles dorées abritant le siège du groupe Dassault de reproductions scientifiques traitant de l’impact environnemental de l’aviation. Symboliquement, ils les ont ensuite pliés pour en faire des avions en papier qu’ils ont propulsés dans la cour de l’hôtel particulier. Dans une ambiance sérieuse mais décontractée, ils ont ensuite scandé en coeur “Dassault Falcon, criminel climatique ; État Français complice de l’injustice”.
Malgré le caractère pacifique de leur action, les membres de Scientist Rebellion ont été rapidement encerclés d’une cinquantaine de membres des forces de l’ordre. Ces derniers ont encadré de très près la manifestation non autorisée.

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“On a toutes les données scientifiques qui montrent l’urgence climatique et les gouvernants ne réagissent pas. Au lieu d’avoir un monde qui est fait pour la majorité, on a un monde qui satisfait les intérêts de 0,01 % de la population et c’est intenable ! La seule manière de vivre avec cette prise de conscience, c’est d’agir” souffle Ariane Lambert Mogiliansky, professeure à la Paris School of Economics. Pour agir, Scientist Rebellion a choisi la désobéissance civile. “Aujourd’hui devant l’inertie du gouvernement nous aussi, scientifiques, finissons par nous engager dans la désobéissance civile. Car pour agir ce n’est malheureusement pas de sciences dont nous manquons, il s’agit d’un problème de volonté politique”, explique Elie Oriol.
L’humanité “condamnée à vivre dans des conditions atroces”
Face à cette “inertie du gouvernement”, le groupement de scientifiques en colère se montre pessimiste. Kaïna Privet, chercheuse en écologie, prend la parole pour dépeindre le tableau d’un monde dans lequel l’aviation continuerait de croître. “D’ici 2040 le secteur de l’aviation prévoit de doubler son trafic aérien. Son doublement entraînera une augmentation des gaz à effets de serre et de l’utilisation des ressources fossiles. Si le trafic aérien continue comme à l’heure actuelle nous atteindrons +3,8°C en 2100. Qu’adviendra t-il si on double le trafic aérien ? Ça ne sera pas 3,8°C, ce sera 4,5°C, ça veut dire encore plus d’événements climatiques imprévisibles. Notre société ne s’en remettra pas. Tout ça pour qui ? Pour les ultrariches. Car l’augmentation du trafic aérien ne bénéficiera qu’à 1 % de la population mondiale. Si nos revendications ne sont pas écoutées, les modélisations climatiques sont formelles, l’humanité sera condamnée à vivre dans des conditions atroces”.
« Toutes les formes d’action sont importantes, estime pour sa part Milan Bouchet-Valat, chercheur en sociologie. Les actions en justice, les activités de recherche qui permettent d’avancer sur les connaissances… On fait feu de tout bois » . Au bout d’une heure où se sont enchaînés les discours sur le Rond-Point des Champs-Élysées dans le 8ème arrondissement parisien, sous les regards intéressés des passants curieux, les scientifiques ont subi un contrôle d’identité et ont reçu l’ordre de se disperser en prenant le métro.