Le forum mondial Zéro Exclusion Carbone Pauvreté s’est déroulé les 5 et 6 septembre à Paris. A cette occasion, l’association Stop Exclusion Energétique a livré à Natura Sciences ses actions pour aider les 500.000 ménages les plus précaires à rénover entièrement leur habitation. Mais la hausse des prix de l’électricité perturbent les projets en cours, et s’accompagne parfois d’un manque de main d’œuvre. Entretien avec Gilles Berhault, délégué général de l’association.

Quelles initiatives écologiques et sociales pour tenir les objectifs de développement durable ? Les experts se sont penchés sur les défis sociaux et environnementaux les 5 et 6 septembre à Paris lors du Forum Mondial 3Zéro – Zéro Exclusion, Zéro Carbone, Zéro Pauvreté. Lors d’une table ronde présidée par Gilles Berhault, délégué général de l’association Stop Exclusion Énergétique, la question de la priorité énergétique a animé les échanges. Les partenaires de l’association ont relevé les principales nécessités pour accompagner les 500.000 ménages français les plus précaires dans leur rénovation thermique . Mais le manque d’artisans et la hausse des prix de l’électricité perturbent les projets. Pour autant, cela n’empêche pas Gilles Berhault de rester optimiste pour 2030. Entretien.
Natura Sciences : Vous avez annoncé lors de cette table ronde un nombre significatif : la France compte 12 millions de personnes en précarité énergétique. Comment la situation a-t-elle évolué ces dernières années ?
Gilles Berhault : Ce nombre est plutôt en augmentation. On avait de bons espoirs sur sa diminution mais le contexte actuel a entraîné une hausse du coût de l’énergie. Sur les 12 millions d’individus en précarité énergétique, nous nous intéressons aux 2 millions les plus pauvres. Notamment les 500.000 propriétaires vivant dans des passoires thermiques, et en dessous du seuil de pauvreté. On croit parfois à tort que les pauvres ne sont pas forcément propriétaires. Ce n’est pas une réalité. Et bien qu’il y ait une prise de conscience écologique aujourd’hui, on ne parle pas uniquement de baisser la température en jouant avec les thermomètres. On parle de rénovation globale chez des individus en très grande difficulté, qui vivent avec moins de dix euros par jour et par personne.
Ces ménages en grande précarité, comment les identifiez-vous ?
Il existe des données provenant des vendeurs d’énergie, comme EDF, Direct Energies, Engie… Elles permettent de remonter à la situation géographique des foyers en précarité énergétique. Mais il faut notamment pouvoir demander aux gens de se manifester. Il y a évidemment des pistes via la branche de l’énergie ou les services sociaux. Mais aussi via toutes les associations de solidarité, telles que la fondation Abbé Pierre, le Secours Catholique, les Resto du cœur, et tous ceux qui peuvent vous aider à créer le contact.
On a lancé des formations pour les bénévoles généralistes et il faut compléter tout ça. Dans le même temps, on expérimente cela aussi avec des services civiques. On va en former 300 dans un premier temps. Ensuite, on espère pouvoir en mobiliser 1000 par an pour qu’ils puissent s’impliquer avec des acteurs de terrain. L’idée reste vraiment d’instaurer une communication de confiance pour pouvoir entrer chez ces individus, échanger et comprendre leurs besoins.
Cela nécessite, comme vous l’avez évoqué lors du Forum, un accompagnement spécialisé… Comment le mettre en place ?
Effectivement, l’accompagnement est primordial. Il faut des personnes capables de faire de l’accompagnement technique, c’est-à-dire dotées de compétences dans le bâtiment pour mener des travaux et mesurer les impacts. Mais c’est aussi assurer un accompagnement social. Là, cela demande la capacité de travailler avec des familles en très grande difficulté. On a regardé l’année dernière ce qui existait en termes de formation à l’accompagnement social. Il n’y a quasiment rien.
On est en train de créer un métier qui s’appelle « ensemblier solidaire ». Ce sont des personnes capables de faire tout l’accompagnement social et technique, y compris l’ingénierie financière. La première promotion comprenait dix personnes sur 25 chantiers. L’objectif est pour nous de définir un référentiel de formation qui va être travaillé par l’ARFA. On sait qu’on va avoir probablement besoin de 11.000 ensembliers solidaires en France si on veut régler totalement l’exclusion énergétique en France. On pense qu’il est possible d’y mettre fin d’ici 2030.
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Il faut beaucoup de monde pour réaliser ces rénovations. La main d’œuvre est-elle suffisante ?
Il faut en trouver, on n’a pas le choix. Mais l’artisanat reste problématique. On manque d’artisans en France et on manque encore plus d’artisans capables de travailler chez les grands précaires pour réaliser une rénovation globale. Ce sont deux sujets différents. La rénovation globale et performante demande des champs de compétences qui ne se retrouvent pas forcément dans le milieu artisan. Il faut former et surtout cela demande des vrais collaborations avec les artisans. Par exemple, il faut que le plaquiste travaille bien avec l’électricien.
En plus de les former, il faut casser l’idée que les grands précaires ne seraient pas capables de payer. En réalité, quand on démarre des chantiers, on sait qu’on va avoir des financements. Ils sont même sécurisés dans des caisses d’avance travaux pour payer les artisans. Je crois aussi beaucoup à cette question d’utilité sociale. Pour moi c’est le premier sujet où vraiment, quand on agit pour le bien d’autrui, on agit pour le climat, pour le bien local, tout en améliorant les conditions sanitaires. On gagne sur tous les plans.
Lorsque les plus précaires acceptent vos services, combien de temps faut-il compter pour une rénovation complète ?
Avant de lancer les travaux, il faut d’abord définir les besoins, faire le projet avec la famille et trouver les financements. Puis, il faut trouver les artisans capables de travailler avec des ménages en situation de grande précarité.
La démarche dure souvent entre 2 ans et 2 ans et demi. On essaie de réduire ce temps en ce moment : grâce à tout ce que l’on met en œuvre, on espère abaisser ce délai à 18 mois. Et sur 18 mois, le chantier durerait entre sept et huit semaines. Le reste du temps comprend l’ingénierie, l’accompagnement et la préparation.
Enfin, les personnes en situation de précarité énergétique sont des gens aussi qui sont assez peu socialisés, et pour qui déménager le temps des travaux s’avère compliqué.
Dans ce cas, comment faites-vous pour les relocaliser le temps du chantier ?
Il n’y a pas de cas général. J’ai espoir de faire du mécénat avec les hôtels, parce qu’au final, les gens ne sont pas obligés de partir très longtemps. Si on s’organise intelligemment, la relocalisation ne demande parfois qu’une à deux semaines. Et dans ce cas, les occupants peuvent être hébergés chez des proches, mais ce n’est pas possible pour le monde. Cela reste sur-mesure. J’espère que l’on va pouvoir trouver des solutions et en inventer de nouvelles.
Aujourd’hui, des propriétaires de tiny houses accueillent des familles en précarité pendant l’été, des hôtels restent vides à des périodes de l’année… On peut imaginer beaucoup de solutions, notamment dans les villes où énormément d’appartements servent seulement quelques semaines par an pour la plateforme Airbnb.
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Et financièrement, comment cela se passe-t-il ?
Une rénovation thermique demande de plus en plus d’argent. Il y a deux ans, un chantier coûtait entre 50.000 et 60 000 euros. Aujourd’hui cela demande entre 70.000 et 80.000 euros. On commence même en région parisienne à avoir de plus en plus de dossiers exigeant 100.000 euros pour faire une rénovation alors que l’Agence nationale de l’habitat (Anah) ne peut pas financer au-delà de 50.000 euros. Je pense que ces aides vont évoluer comme tout le monde en raison de l’augmentation du coût de la vie.
Mais il ne faut pas oublier que dans le bâtiment, il y a un coût énergie partout, ne serait-ce que sur les transports. Tout s’électrifie aujourd’hui. C’est pourquoi les prix des matériaux ont déjà beaucoup augmenté et vont poursuivre cette tendance. Cela constitue un premier frein à ce financement. Il faut aussi régler le problème de pénurie de matériaux. Un de nos chantiers a été arrêté trois mois pour cette raison.
Mais en réalité, on ne couvre pas 100% du budget. On laisse toujours des sommes toutes petites, mêmes symboliques à l’occupant. C’est une question de dignité des individus pour pouvoir participer à la rénovation du logement. C’est ce que l’on appelle l’auto-réhabilitation accompagnée, la spécialité des compagnons bâtisseurs où les animateurs artisans accompagnent les familles pour les finitions notamment.
Aujourd’hui, plusieurs d’entreprises s’engagent contre la précarité énergétique. Aujourd’hui, une entreprise qui n’agit pas sur cette question-là est-elle une « mauvaise » entreprise ?
Je pense qu’aujourd’hui c’est le sens de l’histoire qu’une entreprise s’inscrive dans son environnement. Dans la loi PAC, il y a eu le volet de la raison d’être pour qu’une entreprise prenne en compte des enjeux sociaux et environnementaux dans les émissions. Je pense qu’aujourd’hui la raison d’être d’une entreprise réside aussi dans ses capacités à s’inscrire dans son territoire, à amener des opérations de solidarité et à participer à la vie de la cité.
C’est d’autant plus important que plus en plus de jeunes y tiennent. Je ne vois pas comment une entreprise qui n’est pas capable d’attirer des talents jeunes peut continuer à fonctionner. Aujourd’hui, si une entreprise veut attirer des talents, c’est aussi parce qu’elle est responsable et qu’elle prend en compte ses impacts environnementaux. Même si aujourd’hui ce n’est pas encore à une échelle suffisante.
La précarité énergétique concerne même parfois des salariés. L’entreprise peut aussi se montrer source de solutions pour aider ses propres salariés à lutter contre cette problématique. Moi je crois vraiment aussi que c’est une question de survie de l’entreprise que d’agir complètement. Dans ce domaine, les actions de greenwashing sont faciles à repérer.
Le Gouvernement a annoncé avoir atteint son objectif l’année dernière en rénovant 700 000 logements précaires. Est-on sur la bonne voie ?
Sur les 700 000, on parle assez peu d’une rénovation globale et performante. Il y a eu plutôt 700 000 actes de rénovation énergétique. Souvent, c’est juste changer la chaudière. Quand vous pouvez accompagner une famille d’une grande précarité, vous n’allez pas changer la chaudière, revenir pour l’isolation… C’est tellement compliqué de monter un dossier.
Je crois qu’il n’y a jamais eu autant d’argent, et tant mieux, mais il en manque encore. Les ménages qui bénéficient actuellement d’un financement à 50% du plafond Anah sont en situation de pauvreté. Nous, on revendique le fait que les 50% de financements Anah passent à 70% pour lutter contre la précarité énergétique.