Une éclipse traversera l’Europe ce vendredi 20 mars. Si la matinée est fortement ensoleillée, la baisse de production d’électricité d’origine solaire pourrait atteindre 34 GW dans toute l’Europe. Avec le développement des énergies renouvelables d’ici 2030, ce phénomène constitue un avant goût de ce qui pourrait être le quotidien du réseau à l’avenir !
L’éclipse solaire partielle sera visible ce vendredi du Portugal à la Finlande entre 9h et 12h et occultera jusqu’à 80 % du soleil en Europe. L’éclipse traversera la France de 9h10 à 11h50 ; l’obscurité maximale devrait être atteinte vers 10h45.
Cette éclipse solaire partielle est un cas d’école pour le futur parc de production européen qui verra la part de ses énergies renouvelables fortement augmenter. Car d’ici 2030, avec une part de 40 % d’énergies renouvelables prévu dans le mix électrique en France et de 50 % en Allemagne, l’appareil de production devra être fortement flexible pour assurer l’équilibre du réseau lorsque le vent ne souffle pas ou que le soleil ne brille pas.
Quelle baisse de production photovoltaïque attendre?
A la différence de l’éclipse du 11 août 1999, l’éclipse ne sera pas totale pour les pays européens : la surface du soleil sera masquée à hauteur de 25 % à 80 % selon les pays. Pour les régions du centre de l’Europe, dont la France et l’Allemagne, le soleil sera masqué à 70% en moyenne. En France, le pourcentage pourra aller jusqu’à 80%.
Depuis la dernière éclipse similaire, en août 1999, les capacités de production photovoltaïque ont été multipliées par 100, pour atteindre 89 GW en Europe. L’éclipse solaire impactera notamment les pays qui ont une capacité photovoltaïque installée importante : l’Allemagne (40 GW), l’Italie (20 GW), l’Espagne (6,7 GW), la France (5,3 GW) et la Grèce (3,8 GW). Si la matinée du 20 mars est fortement ensoleillée, la baisse de production d’électricité d’origine solaire pourrait atteindre 34 GW en Europe, dont 2 GW en France, 7 GW en Italie et 17 GW en Allemagne.
L’Europe étant la zone électrique la plus vaste au monde, avec 34 états interconnectés, tout déséquilibre entre la production et la consommation dans un pays pourrait avoir des incidences dans les pays voisins. Il faut donc que cette baisse brutale de la production photovoltaïque soit instantanément compensée par d’autres moyens de production.
Le réseau électrique est opéré à une fréquence de 50 Hertz. Les oscillations de fréquence témoignent de la qualité de l’équilibre entre la production et la consommation d’électricité. Si la fréquence passe en dessous de 49,5 Hz (consommation supérieure à la production) ou au-dessus de 50,2 Hz (consommation inférieure à la production), cela entrainerait l’arrêt automatique de nombreuses centrales de production équipées de dispositifs de sécurité destinés à protéger leur mécanisme industriel des variations de fréquence. Cela pourrait alors entraîner des risques de coupures d’électricité.
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Comment faire face à cette baisse de production solaire ?
Les Gestionnaires de Réseaux de Transports ont préparé l’appareil de production pour faire face à cette éclipse. Il devrait donc y avoir assez de moyens de production disponibles pour faire face aux besoins. Le défi pour les opérateurs de réseaux électriques est celui de la brusque variation de la production photovoltaïque, au début et à la fin de l’éclipse, qui pourrait se traduire, à deux reprises, par une rapide dégradation de la fréquence. La baisse de la production en Europe pourra dépasser 400 MW/min, puis remonter de plus 700 MW/min, soit une vitesse 4 à 6 fois plus importante que celle habituellement mesurée en début et fin de journée, lorsque le soleil se lève puis se couche.
Pour relever ce défi, chaque gestionnaire de réseau européen a augmenté les réserves de production quotidiennes destinées habituellement à corriger les écarts de fréquence. En France ces réserves, de l’ordre de 1 GW, seront portées à près 1,7 GW durant la matinée du 20 mars. D’autres moyens de production, essentiellement hydrauliques, seront mobilisés et pourront être activés en moins de 15 minutes. Lorsque la production photovoltaïque diminuera, il faudra mobiliser et coordonner l’utilisation de ces réserves à l’échelle européenne.
RTE et quatre autres gestionnaires de réseaux de transport (REE, Amprion, Swissgrid, TERNA) européens seront en contact permanent pendant la durée de l’éclipse pour coordonner leurs actions. Coreso, le centre de coordination de l’exploitation des réseaux de l’Ouest de l’Europe, installé à Bruxelles, apportera également une assistance aux gestionnaires de réseaux dans les prévisions de production photovoltaïque, ainsi qu’une vision du niveau des échanges électriques aux frontières.
En 2030, le réseau électrique verra l’équivalent d’une éclipse tous les jours !
Les calculs effectués par l’Institut allemand Fraunhofer IWES au nom du think-thank Agora Energiewende montrent qu’en Allemagne, la production en énergies renouvelables pourrait fluctuer dans le même ordre de grandeur que pendant cette éclipse solaire à l’horizon 2030. Ces fluctuations auront lieu tous les jours, en fonction de la météo, de la quantité de lumière et de vent.
Selon ces calculs, il ne sera pas rare d’observer une baisse ou une chute des capacités de 14 GW en Allemagne, en moins d’une heure. « Cela équivaut à lancer ou désactiver 14 grandes centrales électriques. A la fin de l’éclipse actuelle, nous devrons augmenter la production de 15 GW en une heure, soit seulement un peu plus. La situation est donc comparable », explique Patrick Graichen, directeur d’Agora Energiewende.
Adapter le réseau et le parc de production pour une meilleure flexibilité
Les conséquences de l’éclipse peuvent aujourd’hui être maîtrisées, car les producteurs ont signé des contrats pour garantir la régulation de puissance appelée sur le réseau. « Si le système d’alimentation relativement rigide d’aujourd’hui peut faire face à l’éclipse, le système d’alimentation de 2030 fera face à des situations semblables facilement », insiste Patrtick Graichen. Car pour assurer la réussite des transitions énergétiques nationales en Europe, le parc électrique devra devenir beaucoup plus flexible.
Pour plus de flexibilité et assurer au quotidien l’équilibre du réseau européen, il faudra garder des centrales à gaz, mais aussi améliorer les interconnexions entre les pays, de nouveaux réseaux, mieux intégrer les gros consommateurs dans le marché de l’énergie et développer de technologies de stockage flexibles, affirment les auteurs de l’étude.
Mais aujourd’hui, le faible prix du carbone associé à un faible prix du charbon menace la survie des centrales au gaz en Europe. Selon le Panorama 2015 d’IFP Energies Nouvelles, pour que le gaz soit compétitif face au charbon, il faudrait que le prix du charbon atteigne 100 $/tonne (contre 50$/t actuellement). Sinon, il faudrait agir sur le prix du CO2 pour qu’il atteigne 30 €/t, contre 7€/t actuellement au niveau européen, soit une multiplication par 4… La transition énergétique a donc encore de grands défis à relever pour assurer sa pleine réussite !
Auteur : Matthieu Combe, fondateur du webzine Natura-sciences.com