Jeudi 26 janvier, France 2 a diffusé un nouvel épisode de Cash Investigation consacré au greenwashing “Superprofits : les multinationales s’habillent en vert”. Parmi les entreprises pointées du doigt : TotalEnergies. Suite à la diffusion du programme, le fournisseur d’énergies a tenté de se défendre sur Twitter, affirmant “déplorer les accusations infondées de greenwashing”. Pour ce faire, le géant du fossile n’a pas hésité à user de mauvaise foi.
TotalEnergies, à la fois champion des énergies fossiles et du bobard bien vert? C’est en tout cas ce que laissait entendre le dernier Cash Investigation, diffusé le 26 janvier sur France 2. Dans ce numéro, intitulé “Superprofits : les multinationales s’habillent en vert”, l’équipe d’Elise Lucet a mis en lumière le greenwashing de multinationales françaises. Parmi elles figurait TotalEnergies. L’émission a notamment pu montrer comment l’entreprise se mettait en scène pour verdir l’image du projet Eacop.
Sur Twitter, de nombreux tweets d’indignation ou de raillerie ont visé TotalEnergies durant la diffusion de l’émission. Pour se défendre, la firme a répliqué à coup de tweets et d’arguments louant ses efforts sur le terrain environnemental. Pour l’occasion, les chargés de communication du géant pétrolier n’ont pas hésité à se servir d’arguments empreints de mauvaise foi. Natura Sciences revient sur quelques-uns d’entre eux.
Les scientifiques ne préconiseraient-ils pas l’arrêt des nouveaux projets d’exploration pétrolières ou gazières ?
Total affirme qu’au sein des différents volets du rapport du GIEC de 2022, les experts ne “disent pas qu’il ne faut plus développer de nouveau champs de pétrole ou de gaz”. Pour rappel, ce n’est pas le rôle du GIEC de faire des recommandations. L’organe scientifique a pour but de donner des trajectoires. Christophe Cassou, principal auteur du 6e rapport du GIEC, le confirme dans un tweet en réponse à TotalEnergies : « Le GIEC fournit une évaluation objective et ne dit pas ce qu’il « faut » ou pas faire ». Toutefois, comme celui-ci le précise, les experts ont écrit clairement dans l’évaluation B.7 du résumé aux décideurs que « les émissions cumulées de CO2 projetées pour la durée de vie des infrastructures d’énergies fossiles existantes et planifiées, dépassent les émissions cumulées nettes de CO2 dans les trajectoires qui limitent le réchauffement à 1,5°C ».
De plus, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) s’est positionnée à ce sujet. L’organisation a livré en 2021 une feuille de route mondiale pour décarboner le secteur de l’énergie d’ici à 2050. Cela permettrait ainsi de limiter le réchauffement climatique conformément à l’accord de Paris. La mesure forte de cette feuille de route ? Renoncer dès à présent à tout nouveau projet d’exploration pétrolière ou gazière.
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L’AIE écrit à ce sujet que « aucun nouveau gisement de pétrole et de gaz n’est approuvé dans notre trajectoire, et aucune nouvelle mine de charbon ou extension de mine n’est nécessaire ». Elle souligne que sa trajectoire à 1,5 °C « entraîne une forte baisse de la demande d’énergies fossiles. Cela signifie que les producteurs de pétrole et de gaz doivent se concentrer entièrement sur la réduction de la production ». En effet, selon l’organisation internationale Greenpeace, ces projets sont responsables de 81% à 91% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde.
EACOP et Tilenga, des projets qui respectent la biodiversité ?
À la suite de l’émission Cash Investigation, TotalEnergies a assuré sur Twitter que 80% du tracé du pipeline du projet EACOP sera, après construction, « rendu à son état naturel ». En clair, l’entreprise veut dire qu’après l’installation du projet, l’écosystème sera entièrement rétabli pour retrouver son aspect d’origine. Pourtant, dans un communiqué, la compagnie affirme que “le tracé du pipeline est conçu pour minimiser l’impact sur le paysage et la biodiversité ». Or, minimiser n’est pas retrouver son état naturel.
TotalEnergies précise également « éviter [lors du tracé du pipeline] toute zone UICN”. Il s’agit des zones protégées par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature et des ses ressources. Pourtant, selon l’association Les Amis de la Terre, « Total va forer plus de 400 puits – dont 132 dans une aire protégée”. L’ONG accuse notamment TotalEnergies de mener ce projet au mépris des droits humains et de l’environnement. Des arguments confirmés par une étude d’impact menée par TotalEnergies.
Ce document démontre que le pipeline traversera au moins 16 cours d’eau. Il traversera également à deux reprises le Nil Victoria (au sud de l’Ouganda). Il s’agit d’une zone humide protégée classée site Ramsar, qui est la désignation d’une « zone humide d’importance internationale ». Cette classification prône la conservation et l’utilisation rationnelle de ces espaces. Le pipeline traversera également plusieurs réserves naturelles, comme le parc naturel des Murchison Falls. Selon une étude E-Tech Esia Tilenga, plus de 180 km de pipelines seront construits dans ce parc. Pour cette construction, 600 poids lourds y passeront chaque mois. 2.000 véhicules circuleront entre les différents puits lors de la phase d’opération. Au-delà du lieu des installations pétrolières, le bruit, le transport et la poussière affecteront la faune. Et ce, à des kilomètres alentours, d’après la même étude.
TotalEnergies investit dans les énergies renouvelables, mais encore bien plus dans les énergies fossiles
En réponse à l’émission présentée par Élise Lucet, TotalEnergies met en avant le fait d’être le premier investisseur privé français dans le domaine des énergies renouvelables. L’entreprise explique y avoir investi 4 milliards de dollars en 2022. Néanmoins, leurs investissements dans les énergies fossiles demeurent beaucoup plus élevés, selon le document “Sustainability & Climate 2022 Progress Report” mis à disposition par TotalEnergies même. En effet, Total n’a prévu de dédier que 22% de ses investissements aux énergies renouvelables entre 2022 et 2025. Les énergies fossiles, elles, représentent 70% de leurs investissements, dont 50% seulement pour le pétrole. En clair, encore aujourd’hui et malgré ces allégations, TotalEnergies alloue plus de deux fois plus de fonds au pétrole qu’aux énergies renouvelables.
TotalEnergies souhaite réduire ses émissions de GES grâce à la capture et au stockage de ses émissions ?
En réponse à Cash Investigation, le fournisseur d’énergies affirme avoir pour priorité d’éviter puis de réduire ses émissions au minimum. TotalEnergies met pour cela en avant les technologies de CCUS (Carbon Capture, Utilization and Storage) qui “complètent ces actions en permettant de capturer et stocker les émissions résiduelles de la compagnie et de ses clients”. Il s’agit selon TotalEnergies d’une « solution qui évite les émissions de CO2 par son recyclage dans l’industrie (plastique, biocarbure, lubrifiants ou ciment) et en le stockant sous terre de manière permanente« .
Ces outils font l’objet d’un intérêt croissant parmi les industriels qui veulent décarboner leurs activités. Or, plusieurs études scientifiques affirment que ces technologies ne sont pas encore déployables à large échelle. De plus, elles coûtent cher et ont un potentiel limité et pourraient même retarder l’action en faveur du climat. L’ADEME, notamment, conclut dans un avis de 2020, que les technologies de CCUS n’ont qu’un “potentiel limité” qui ne permettraient de stocker que 5% des émissions nationales de gaz à effet de serre.