De nouvelles études de recherche du Stockholm Resilience Center révèlent que la sixième limite planétaire, le cycle de l’eau douce, a été franchie. Menaçant gravement la santé des écosystèmes et l’accès à l’eau potable, ce phénomène doit pousser les entreprises à adopter des stratégies d’adaptation au changement climatique et reposant sur la nature.

La sixième limite planétaire a été franchie. Des études du centre de recherches Stockholm Resilience Center ont révélé que l’eau douce subit des changements dans l’humidité du sol par rapport aux conditions du milieu de l’Holocène, ère géologique qui représente les 11 000 dernières années et toujours en cours.
Se basant sur la revue Nature Reviews Earth & Environment, le centre de recherche explique ce phénomène par l’intensification de la sécheresse. « Partout, des forêts boréales aux tropiques, des terres agricoles aux forêts, l’humidité du sol change. Les sols anormalement humides et secs s’avèrent de plus en plus courants », précise le centre Stockholm Resilience Center.
Parmi ces zones, l’Amazonie semble particulièrement touchée. « La forêt amazonienne dépend de l’humidité du sol pour sa survie. Mais il y a des preuves que certaines parties de l’Amazonie se dessèchent. La forêt perd de l’humidité du sol en raison du changement climatique et de la déforestation », explique Arne Tobian, deuxième auteur et candidat au doctorat au Stockholm Resilience Centre.
La limite de l’eau verte
Jusqu’ici, les chercheurs ne prenaient en compte que l’eau bleue dans l’évaluation de la limite planétaire du cycle de l’eau douce. Il s’agit ici de la part des précipitations atmosphériques qui se retrouve dans les rivières, les lacs et les eaux souterraines. Pour la première fois, les chercheurs ont inclus le rôle de l’eau verte, part des précipitations absorbée par les végétaux. responsable de l’humidité du sol et essentielle pour le développement des végétaux. « Il s’agit de l’eau puisée dans les sols et la biomasse. Elle est importante pour les questions d’agricultures et agro-alimentaires, notamment la production de matières premières », explique Tatiana Fedotova, responsable des solutions pour l’eau chez Quantis, cabinet de conseil en développement durable.
L’exploitation humaine, notamment la déforestation et la gestion des sols non durables, perturbe le cycle de l’eau verte. Selon Tatiana Fedotova, la hausse des température due au changement climatique entraînerait en plus la disparition massive des zones humides et cela impacte l’eau de plusieurs régions du monde.
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Une pénurie d’eau pour des bassins d’eau douce
Certains pays, comme le Chili, l’Afrique du Sud, l’Ouest des États-Unis mais aussi le Pakistan, abritent de grands bassins faisant déjà face à une pénurie d’eau. Cette problématique touche les écosystèmes et a des effets sur les droits humains. « Près de la moitié de la population mondiale n’a pas accès à l’eau potable », alerte l’experte. Elle souligne également que les espèces aquatiques d’eau douce ont connu la perte « la plus radicale » de leurs populations depuis les années 1970.
Sur la planète, la demande en eau douce dépasserait l’offre de 56% d’ici 2030 si sa consommation et la pollution ne diminuent pas. « Cela signifie que seulement 44% des besoins pourraient être satisfaits, et de manière très inégale de part le monde », ajoute Tatiana Fedotova, en se basant sur les indications du World Resources Institute.
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Quand l’eau douce vient à manquer sur un territoire, les solutions restent difficiles à déployer. « Il n’est pas rare que l’eau soit ‘importée‘ de bassins adjacents, mais cela nécessite une infrastructure importante et coûteuse », ajoute l’experte. En plus, cela ne fait que déplacer le problème et peut entraîner la disparition d’autres sources d’eau. La mer d’Aral, située en Asie centrale, constitue un exemple bien connu. Pour l’experte, il est alors essentiel de « prévenir la matérialisation du risque de pénurie en respectant les besoins des écosystèmes locaux » et investir à long-terme.
Les entreprises doivent s’impliquer
Les politiques et les populations locales jouent un rôle déterminant dans la gestion de l’eau douce. À leur tour, les entreprises doivent définir des stratégies prenant en compte l’adaptation au changement climatique. Selon Tatiana Fedotova, ces dernières peuvent lutter contre la raréfaction de l’eau et sa pollution grâce à des actions spécifiques. « Il est essentiel pour les entreprises d’analyser les risques liés à l’eau sur l’ensemble de leur chaîne de valeur en fonction de leur impact et des conditions locales », défend-elle.
Cette première étape leur permet alors d’établir des objectifs de réduction des risques au niveau des bassins versants. Ces derniers sont en effet menacés de la raréfaction de l’eau, la surutilisation des nappes phréatiques et la pollution.
Les entreprises doivent protéger les écosystèmes
Selon Tatiana Fedotova, les entreprises doivent jouer un rôle de protection de la biodiversité et réhabiliter les zones humides. « Elles doivent entreprendre des actions sur des sites qui se trouvent sous leur influence directe. Par exemple une usine dont elles sont propriétaires », détaille-t-elle. Pour l’experte, cela vaut notamment en matière « d’optimisation de processus ou d‘innovation produit afin de réduire la consommation d’eau » ou des « solutions de réutilisation d’eau ».
Pour Tatiana Fedotova, il apparaît nécessaire que les entreprises s’engagent dans différentes actions, quel que soit leur domaine. Elle cite par exemple la « transformation des pratiques agricoles », la lutte « contre la déforestation » ou encore le « soutien à un accès amélioré à l’eau potable ou l’assainissement pour les communautés locales ». « Ce genre de solutions permettent d’investir dans la durabilité et la santé des bassins dont l’entreprise est dépendante pour ses activités en collaboration avec d’autres parties prenantes locales », ajoute-t-elle.
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Des solutions sur le long terme
Pour Tatiana Fedotova, les actions déployées par les entreprises doivent se focaliser sur des résultats à long terme. « Il s’agit d’un changement de paradigme pour passer de la gestion de l’eau avec des solutions d’efficience internes à l’entreprise », justifie-t-elle. Ainsi, ces solutions doivent permettre de satisfaire les besoins à court terme des entreprises vers « une approche de réduction des impacts de l’activité de l’entreprise sur les ressources hydriques et écosystèmes locaux, ainsi que la protection et la restauration de ces derniers », ajoute l’experte.
Ces opérations inviteraient alors les entreprises et multinationales à revoir leur modèle d’affaires pour intégrer la nature à leurs activités. En parallèle, les relations entre la gouvernance et les populations locales s’avèrent essentielles pour reconnaître la valeur de l’eau. « L’eau est une ressource largement sous-évaluée et très peu chère dans la majorité des pays, ce qui ne reflète en rien sa valeur économique, mais aussi sociétale », rappelle la responsable eau chez Quantis.
Des risques écologiques et économiques
La rareté de l’eau et la sécheresse peuvent engendrer un « arrêt des opérations ou une augmentation importante du prix des matières premières », selon Tatania Fedotova. De grands groupes ont été auparavant accusés d’impacter l’équilibre écologique et les ressources en eau par leur production. À la fin de l’année 2020, l’Allemagne a par exemple suspendu le chantier d’une « gigafactory » du groupe Tesla. La construction de l’usine en zone forestière inquiétait les organisations écologistes.
Quelques années plus tôt, en 2011, le parlement du Kerala, en Inde, avait demandé des compensations au groupe Coca-Cola pour cause de surexploitation des nappes phréatiques. Selon l’État, les activités de Coca-Cola auraient causées pertes agricoles, pollution aquatique, et maladies.
Sur les neuf limites planétaires identifiées, six déjà transgressées
Le concept de limites planétaires a été étudié par un groupe de 28 scientifiques dirigés par Johan Rockström en 2009. Au total, neuf limites ont été identifiées. Grâce à celles-ci, « l’humanité peut continuer à se développer et à prospérer pour les générations à venir » indique le Stockholm Resilience Center. Leur dépassement provoque « des conséquences irréversibles pour l’Humanité et son ensemble », prévient Tatiana Fedotova. Selon elle, les populations locales sont les plus impactées.

Jusqu’à présent, six d’entre elles ont été franchies : le changement climatique, l’usage des sols, la pollution chimique, l’érosion de la biodiversité et les perturbations globales du cycle de l’azote et du phosphore. L’eau douce représente la seconde limite planétaire transgressée depuis le début de l’année 2022, après la pollution chimique.