Ces dernières années, les jardins collectifs et les fermes urbaines poussent comme des champignons. Cependant, selon une étude internationale, les produits cultivés dans ces lieux auraient une empreinte carbone six fois plus élevée que ceux provenant de l’agriculture conventionnelle. L’agriculture urbaine ferait-elle fausse route ?

Depuis quelques années, l’agriculture urbaine gagne de plus en plus d’espace et de popularité. De nos jours, selon une étude internationale, menée par l’université du Michigan, entre 20% et 30% de la population citadine pratique l’agriculture urbaine. Avec des bénéfices “sociaux, nutritionnels et environnementaux”, cette activité semble avoir tout pour plaire. Cependant, d’après l’étude parue le 22 janvier dans Nature Cities, pratiquer l’agriculture urbaine ne garantit pas toujours d’avoir des bénéfices environnementaux par rapport à des l’agriculture rurale.
Pour cette étude, les chercheurs ont comparé “l’empreinte carbone de la nourriture produite en agriculture urbaine low-tech aux cultures conventionnelles”. En se basant sur les données de 73 sites d’agriculture urbaine, situés en France, en Allemagne, en Pologne, en Grande-Bretagne et aux États-unis, les chercheurs ont constaté que l’empreinte carbone des produits issus de ces sites était, “en moyenne, six fois plus grande que celle de produits cultivés de manière conventionnelle”.
L’agriculture urbaine, une famille non homogène
L’étude parle de « portion » de produits pour qualifier le « grammage recommandé d’une culture qu’une personne devrait consommer quotidiennement conformément aux recommandations alimentaires ». Selon les données de l’étude, « en tenant compte des impacts liés à la ferme, à la transformation et au transport vers la ville », les produits cultivés en agriculture conventionnelle émettent entre 0,07 et 0,08 kg de CO2 équivalent (kgCO2e) par portion. En moyenne, les produits issus de l’agriculture urbaine émettent pour leur part 0,42 kgCO2e par portion. Cependant, ces émissions varient beaucoup selon le type de structure d’agriculture urbaine. En effet, 43% des fermes urbaines étudiées et 25% des jardins individuels ont une empreinte carbone plus basse que celle de l’agriculture conventionnelle.
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Ici, les chercheurs distinguent les fermes urbaines, les jardins collectifs et les jardins individuels. Les fermes urbaines sont gérées professionnellement et ont un but commercial. Les jardins collectifs sont gérés par des volontaires ou des associations à but non lucratif, avec une portée communautaire. Dans ces trois catégories, “les jardins collectifs sont la forme d’agriculture urbaine émettant le plus de carbone”, expliquent les scientifiques. En moyenne, ce type de structure génère 0.81 kgCO2e par portion de produit. C’est 11,5 fois plus que l’agriculture conventionnelle. Les jardins individuels émettent de leur côté 0.34 kgCO2e par portion. Enfin, “la plupart des fermes urbaines sont compétitives en carbone avec les fermes conventionnelles », souligne l’étude. En retirant de l’analyse une ferme dont les émissions sont particulièrement importantes, la médiane se place à 0,08 kgCO2e par portion.
Une empreinte carbone différenciée
Le type de structures n’est pas le seul paramètre à jouer dans les émissions. Ainsi, certains fruits et légumes peuvent engendrer davantage d’émissions en agriculture conventionnelle. Par exemple, lorsqu’ils nécessitent des méthodes de production ou de transport fortement émetteurs de gaz à effet de serre. L’étude cite par exemple le cas des tomates et des asperges. “Les exceptions révélées par notre étude suggèrent que les praticiens de l’agriculture urbaine peuvent réduire leurs impacts climatiques en cultivant des cultures qui sont généralement cultivées en serre ou transportées par fret aérien”, souligne Jason Hawes, co-auteur principal de l’étude et doctorant à l’U-M’s School for Environment and Sustainability.
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Au travers des données collectées par les “citoyens scientifiques” dans les 73 sites, les chercheurs ont aussi étudié l’impact des “intrants et récoltes” des différents lieux d’agriculture urbaine. Les intrants, principale cause des émissions de CO2, se répartissent en trois catégories : les infrastructures, le matériel et l’eau d’irrigation. Les infrastructure sont, par exemple les “bacs de cultures, ou les chemins entre les parcelles”. Le matériel, lui, contient le “compost, les engrais, le tissu désherbant et l’essence pour les machines”, détaille l’étude.
Pour l’équipe internationale, 63% des émissions de gaz à effet de serre des sites d’agriculture urbaine low-tech proviennent des infrastructures. “La majorité des impacts climatiques dans les fermes urbaines proviennent des matériaux utilisés pour les construire — les infrastructures”, explique Benjamin Goldstein, le second co-auteur principal de l’étude et professeur assistant à l’U-M’s School for Environment and Sustainability. « Ces fermes ne fonctionnent généralement que pendant quelques années ou une décennie, de sorte que les gaz à effet de serre utilisés pour produire ces matériaux ne sont pas utilisés efficacement”, poursuit-il.
Une activité à rendre moins polluante
Malgré cette mauvaise moyenne, l’agriculture urbaine présente de nombreux bénéfices et selon l’équipe de recherche, “devrait continuer à proliférer globalement”. Pour réduire l’empreinte carbone de cette activité, les chercheurs ont identifié trois “bonnes pratiques”. Les sites les moins émetteurs de gaz à effet de serre utilisent déjà ces méthodes. Il s’agit tout d’abord d’étendre la durée de vie des infrastructures afin d’amortir les émissions nécessaires à leur fabrication. D’après les chercheurs, cette mesure appelle à la création de réglementations protégeant les fermes et jardins urbains de la destruction. La deuxième pratique consiste à utiliser les “déchets urbains” pour alimenter les sites d’agriculture urbaine. Par exemple, en recyclant les matériaux urbains pour construire leurs infrastructures, les sites peuvent réduire de 52% leur empreinte carbone. De plus, d’après l’étude, la récupération des eaux ou du compost produit en ville peut permettre de créer une véritable “relation symbiotique” avec la ville.
Enfin, l’agriculture urbaine peut solidifier sa place dans les villes durables en “générant des hauts niveaux de bénéfices sociaux”, expliquent les chercheurs. “Bien que l’augmentation de ces « produits non alimentaires » de l’agriculture urbaine ne réduise pas son empreinte carbone, « les espaces de culture qui maximisent les avantages sociaux peuvent surpasser l’agriculture conventionnelle lorsque les avantages de l’agriculture urbaine sont considérés globalement », ajoutent les auteurs. Ainsi, l’agriculture conventionnelle est et restera nécessaire à la production alimentaire. Toutefois, la création d’espaces sociaux et de verdure est essentielle en ville. Les sites d’agriculture urbaine apportent une réponse à ces deux problématiques. “En raison de ses avantages sociaux, nutritionnels et environnementaux essentiels, l’agriculture urbaine est susceptible de jouer un rôle clé dans les futures villes durables, mais il reste encore beaucoup à faire pour que l’agriculture urbaine profite au climat, aux populations et aux lieux qu’elle dessert”, conclut l’étude.