Lundi 20 septembre, le Youtubeur DirtyBiology, vulgarisateur scientifique, publiait une vidéo intitulée : « Faut-il laisser brûler ces forêts ? » La réponse est variable, notamment selon le milieu et le type d’incendie. Un sujet révélateur de la complexité écologique.
« Faut-il laisser brûler ces forêts ? » C’est la question que pose Léo Grasset, Youtubeur au pseudonyme DirtyBiology, en pensant aux incendies qui ont touché de nombreuses forêts dans le monde durant ces derniers mois. Sortie le 20 septembre, la vidéo cumule déjà plus de 360 000 vues. Si la réponse n’est pas équivoque, c’est parce qu’il faut s’intéresser aux différents milieux forestiers, zones et intensités de feu.
Le terme « laisser brûler », repris par les médias, apparaît suite aux incendies de Yellowstone en 1988. Le feu est parfois un allié pour l’écosystème naturel. Dans les parcs naturels, le feu est un phénomène normal de la vie d’un écosystème.
À l’Ouest, plutôt laisser brûler
Aux États-Unis, laisser les feux brûler est une stratégie contre-intuitive qui prend progressivement place. Elle permettrait à l’écosystème forestier de retrouver sa résilience face à cette perturbation naturelle.
L’écologue Chad Hanson y croit. Il affirme que le feu est une réalité naturelle et imparable en Californie. Il est à la tête du projet John Muir, groupe environnemental qui milite pour des changements drastiques dans les politiques nationales en matière d’incendie. L’écologue l’affirme, « certaines forêts de l’État seraient plus saines et plus résistantes si on les laissait brûler. »
Au Canada, les terres forestières couvrent environ un tiers du paysage, impliquant des enjeux considérables en matière de feux de forêt. Depuis les années 1970, le pays a changé de méthode. Avant, le but était d’éteindre les feux de végétation. Une méthode généralement efficace, mais peu écologique. Aujourd’hui, les forestiers canadiens gèrent les feux au cas par cas, choisissant l’extinction, une intervention minimale ou aucune intervention.
Le cas de l’Australie
En Australie, la végétation survit et prospère dans un environnement pourtant difficile. Dans le pays, le feu fait partie des cycles saisonniers, donnant un pouvoir de régénération aux forêts. Là-bas comme aux États-Unis, de nombreuses espèces locales ont su s’adapter au feu. Certaines plantes fleurissent seulement post incendie, stimulées par l’extrême chaleur. C’est le cas des macropidia et des nutsia fluribunda.
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Cependant, les méga-feux d’Australie sont une catastrophe écologique. Certaines flammes ont atteint 70 mètres, avec des températures dépassant les 1000 degrés Celsius. Ces chiffres déjouent nombre de stratégies de survie, animales comme végétales.
En 2020, le bilan des méga-feux d’Australie demeure édifiant. Plus d’un milliard et demi d’animaux sont morts et 90 000 km2 de terres décimées. Là où certains incendies aident à régénérer les espèces et favorisent la biodiversité, ceux-ci réduisent en cendres la capacité de résilience des écosystèmes touchés.
Laisser faire la nature
En France, l’Office National des Forêts indique que « dans la plupart des cas, les forestiers laissent la nature se régénérer par elle-même après un incendie. » L’ONF précise aussi qu’il ne faut pas toujours planter pour que la forêt repousse plus vite. En cause, les plantations sont écologiquement et financièrement un « investissement important, sans garantie de réussite. »
Le forestier Frédéric Prudhomme témoigne même d’un phénomène surprenant : « Nous avons observé que de nouvelles graines ont été déposées naturellement sur le sol après l’incendie, car la chaleur a favorisé l’ouverture des cônes des pins. » Cet incendie de 2017 brûlait alors 1 200 hectares de pins et de chênes dans le Parc naturel du Luberon.
Des forêts résilientes
Au CNRS de Montpellier, Roger Prodon est directeur d’étude au Centre d’Écologie Fonctionnelle et Évolutive (CEFE). Il étudie en France les forêts de chêne-liège. « Elles ont un pouvoir de régénération exceptionnel dû au liège qui protège le tronc des chaleurs excessives », explique le chercheur. Et comme la canopée se reconstitue rapidement, le reste de la faune suit. Ce type de forêt se qualifie de résiliente. On en trouve dans les Maures et les Pyrénées orientales.
« Outre le sol, on peut considérer que globalement, l’impact sur la biodiversité ne pose pas de problème majeur. Et dans une forêt résiliente, la végétation redevient comme avant en une quinzaine d’année », affirme Roger Prodon.
A contrario, il y a des zones de fréquences de feu exagérées, notamment l’arrière-pays de Marseille. « La végétation est bloquée au stade de garrigue parce que la fréquence est trop élevée. Écologiquement, la situation est bloquée pour ces zones de maquis et de garrigues basses », explique le directeur d’étude.
Allumer le feu
Si plusieurs parties prenantes parlent beaucoup de laisser brûler, Roger Prodon met tout de même en garde sur cette pratique. Tout d’abord, il spécifie qu’il ne faut pas s’appuyer sur l’ouest américain qui se compose de grandes étendues sauvages, de surfaces considérables. « En Europe tout est occupé, avec des parcelles, des propriétaires », affirme Roger Prodon.
Il en est certain, laisser brûler n’est pas une option en France. Sans surprise, « les pompiers sont toujours obligés d’intervenir parce qu’il y a des biens ou des vies en danger. »
En revanche, le brûlage intentionnel est couramment pratiqué par des équipes spécialisées. « Notamment en moyenne montagne pour nettoyer les pâturages. C’est une pratique répandue dans les Pyrénées, le sud du Massif central et les Alpes du sud », explique le chercheur.
« Quand on laisse brûler, on ne contrôle pas l’étendue »
La différence entre les deux pratiques est essentielle à appréhender. « Quand on laisse brûler, on ne contrôle pas l’étendue. Alors que le brûlage intentionnel est dirigé sur des surfaces bien précises. On utilise des techniques pour délimiter les surfaces, en nettoyant la périphérie. »
Roger Prodon rappelle également que brûler intentionnellement se fait depuis longtemps dans un but pastoral. « Mais c’est aussi de plus en plus dans une optique de protection de la forêt. On élimine justement les débris ligneux qui servent d’aliments au feu. Il existe des massifs forestiers qui ont des pare feux par brûlage dirigé », précise le chercheur.
Un rapport de la mission interministérielle analyse les conséquences du changement climatique sur l’extension des zones sensibles aux feux de forêts en France à l’horizon 2030-2050. L’analyse conclut à « la possible augmentation de 30% des surfaces sensibles aux feux de forêts à l’échéance 2040. »
Jeanne Guarato