Les stations de ski, déjà soumises à de nombreux aléas économiques et climatiques, se trouvent confrontées à une nouvelle problématique. Près d’un logement de station de ski sur deux est une “passoire thermique”. Face à la volonté du gouvernement d’interdire la location de logements ayant une trop mauvaise isolation, les stations de ski pourraient se trouver en grande difficulté.

Nouveau coup de semonce sur les stations de ski françaises. Dans un contexte marqué par le manque de neige et la hausse des prix de l’énergie, la plateforme Heero, spécialisée dans la rénovation énergétique, a établi un classement des stations françaises les plus énergivores. En tout, l’étude analyse 70 stations, dans les Alpes, le Massif central, les Vosges, le Jura et les Pyrénées.
Le constat est alarmant. Alors qu’en moyenne en France, 16,9 % des logements sont considérés comme des passoires thermiques (étiquettes F et G au titre du diagnostic de performance énergétique), c’est le cas de la moitié des logements dans les villes qui abritent des stations de ski. Ce chiffre n’est pas surprenant pour Claire-Anne Bourgois, ingénieure bilan carbone. « Quiconque travaille dans le milieu ou est déjà allé au ski ne peut pas s’étonner de ce chiffre”, explique l’ingénieure, spécialisée dans l’accompagnement des territoires de montagne dans leur transition écologique.
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Interdiction de louer
Les écarts sont tout de même élevés selon les massifs et les stations. Certaines stations, comme Isola 2000 située dans les Alpes du Sud, comprennent jusqu’à 90 % de logements classés F ou G. À l’inverse, Bellefontaine dans le Jura est la station de ski la moins énergivore. Elle compte seulement 15 % de passoires thermiques, un chiffre sensiblement proche de la moyenne nationale.
Selon l’étude de Heero, plusieurs facteurs contribuent à la mauvaise isolation thermique des stations de ski : l’altitude, la zone géographique et l’ancienneté des bâtiments. “La majorité des stations ont été construites très rapidement dans les années 1970 avant les premières réglementations thermiques. Donc la question de la qualité thermique des bâtiments à cette époque ne se posait pas encore”, explique l’ingénieure Claire-Anne Bourgois.
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Avec la Loi Climat & Résilience promulguée en 2021, ces stations se retrouvent confrontées à la nécessité de rénover énergétiquement leurs parcs de logements, pour pouvoir continuer à les louer. En effet, dès le 1er janvier 2023, les logements classés G ayant un DPE supérieur à 450 kWh par m2 seront interdits à la location. En janvier 2025, l’interdiction concernera tous les logements classés G. Suivront les logements classés F en 2028. Les logements classés E enfin, seront sortis du parc locatif en 2034.
“Le parc locatif des stations de ski risque de diminuer de moitié d’ici 5 ans”
“À la base, la Loi Climat ne concernait que les locations longue durée, mais récemment le ministre du Logement, Olivier Klein, a indiqué que les locations de vacances et meublés touristiques seront également concernés, ce qui va avoir un impact très négatif pour les stations de ski qui risquent de voir leur parc locatif diminuer en moyenne de moitié dès 2028, soit dans 5 ans seulement ! Pour certaines d’entre elles, il sera matériellement impossible de rénover l’ensemble des logements concernés d’ici là” estime Romain Villain, directeur général de Heero.
Pour parer à cette situation, des régions ont pris les choses en main comme en Auvergne-Rhône-Alpes où le président de région Laurent Wauquiez a monté un plan d’investissement de 100 millions d’euros pour faire de la région “la première montagne durable d’Europe”. Sur ce total, 10 millions d’euros sont entièrement consacrés à la rénovation des hébergements et des centres de vacances.
Selon Claire-Anne Bourgois, les initiatives à ce sujet sont aussi portées par des communes ou des copropriétés. “De plus en plus d’architectes ou de bureaux d’études rénovent des copropriétés entières, explique-t-elle. Je pense notamment aux Arcs où beaucoup de travaux sont faits aujourd’hui pour préserver la qualité architecturale des bâtiments, mais surtout pour permettre d’améliorer leur isolation par la toiture, les vitrages, la menuiserie intérieure, extérieure etcetera”.
Des rénovations trop coûteuses
Problème, ces rénovations ont un coût. Les propriétaires n’ont pas forcément les moyens de rénover leurs biens. “Aujourd’hui beaucoup d’appartements sont vendus par leurs propriétaires à des prix en dessous du marché. Ils ne sont pas en mesure d’assumer les charges de copropriété liées aux travaux de rénovation”, développe l’ingénieure bilan carbone. La co-rédactrice de l’étude Heero, Sandrine Allonier, revient également sur ce point. “Si les biens ne peuvent plus être loués et mettent du temps à se vendre, les stations connaîtront une baisse de la fréquentation et seront donc moins rentables”, alerte-t-elle.
Seul espoir pour la co-rédactrice de l’étude : une prise de conscience des stations de ski. “Il faut qu’elles accompagnent les propriétaires dans la rénovation énergétique de leurs logements », explique-t-elle. Cette prise de conscience, certaines stations commencent à l’avoir. C’est notamment le cas d’Orcières-Merlette, dans les Alpes du sud, qui a créé il y a trois ans un label “Qualité Confort Hébergement”, afin d’encourager les propriétaires de la station à toutes sortes de rénovations de leurs logements locatifs, dont les rénovations énergétiques.
“La rénovation est un vrai challenge pour les stations”
Patrick Ricou, maire d’Orcières reconnait l’importance du défi de la rénovation énergétique pour les stations de ski. Il développe : “Il faut vraiment que la ville ouvre un dialogue avec les propriétaires pour leur faire comprendre qu’ils sont acteurs de la station, et que son économie dépend aussi d’eux. Alors nous les mettons en relation avec des artisans, qui les accompagnent dans la réflexion de la rénovation de leur appartement. Une fois rénovés, ils deviennent propriétaires « ambassadeurs », ce qui leur donne accès à des privilèges. Nous organisons notamment des week-ends où ils peuvent rencontrer des responsables de la station. Ils sont informés en direct des nouveautés, des évolutions, des projets… Ils peuvent aussi bénéficier d’avantages, comme des remises lors de leur location de ski, certains restaurants leurs offrent par exemple le dessert. Notre philosophie est de mettre le propriétaire au cœur du dispositif de rénovation”.
Ce dispositif semble porter ses fruits. “L’équation économique se résout assez facilement : un appartement remis à neuf, rénové, va se louer beaucoup plus, environ 15 semaines par an au lieu de 4 à 5 semaines – et à des tarifs plus élevés« , exprime le maire de la station. Il ajoute : « leurs revenus locatifs sont alors multipliés par trois voire quatre. Cela permet aux propriétaires de financer assez facilement les 30.000 euros de rénovation qu’ils ont mis dans leur appartement.” Selon Patrick Ricou, la dispositif a déjà permis les rénovation de 180 appartements. “Pour toutes les stations de ski françaises, le foncier disponible pour faire du neuf est très limité. Nous ne pouvons pas laisser sur le bord du chemin tous ces appartements. La rénovation est un vrai challenge pour les stations” conclut-il.
En fin de compte, la question mériterait d’être réellement étudiée : y a-t-il un intérêt économique et environnemental à rénover tous ces logements pour donner une autre vie aux stations de ski ? Ne faudrait-il pas plutôt les démanteler ? Alors que les projections du GIEC prédisent un recul de la couverture neigeuse dans les prochaines décennies, l’avenir du ski en tant que loisir hivernal est effectivement de plus en plus menacé.