Après des mois de négociations, l’Union européenne devrait aboutir à un accord concernant un texte de loi visant à lutter contre la déforestation. C’est a priori une bonne nouvelle. Mais pour Pierre Cannet, directeur du plaidoyer et des campagnes de WWF France, il est impératif que l’Union européenne protège l’ensemble des terres boisées exposées à la déforestation.

Les années passent et la forêt recule. En 2020, la FAO indiquait que le monde a perdu 178 millions d’hectares forestiers depuis 1990. Et rien qu’en 2021, pas moins de 18 arbres étaient abattus chaque seconde dans l’Amazonie brésilienne. Le commerce international, et en particulier les besoins en produits agricoles européens favorisent la déforestation. Ainsi, l’association WWF rapporte que l’année dernière, l’Union européenne était la deuxième plus grande importatrice de matières premières issues de la déforestation, derrière la Chine et devant l’Inde, les États-Unis et le Japon. L’ONG ajoute que les 27 de l’UE sont à l’origine de 16% de la déforestation associée au commerce international.
Mais tout ceci pourrait bientôt devenir de l’histoire ancienne. Le 5 décembre prochain aura lieu la dernière réunion tripartite entre la Commission européenne, le Parlement et le Conseil européen. En dépit de chefs d’État pour certains timorés, l’espoir d’aboutir à un cadre juridique solide est permis. Les militants écologistes accueillent favorablement la nouvelle. Toutefois, ces derniers rappellent que l’Union européenne ne doit pas manquer d’ambition en omettant de protéger l’ensemble des terres menacées. Pierre Cannet, directeur du plaidoyer et des campagnes de WWF France, explique à Natura Sciences pourquoi il est essentiel d’aboutir à un accord européen sur la déforestation importée.
Natura Sciences : La COP15 sur la biodiversité débutera le 7 décembre à Montréal. En aboutissant à un accord, quel message renverrait l’Union européenne au monde sur la déforestation importée ?
Pierre Cannet : Si l’Union européenne conclut son trilogue sur la déforestation, elle pourrait faire figure de leader au niveau international. À la seule condition que le texte final intègre les autres terres boisées. Si ces écosystèmes sont laissés de côté, une menace forte va continuer de peser sur eux. Or, les savanes et les prairies stockent actuellement 788 gigatonnes de carbone organique. À titre de comparaison, les forêts tropicales en renferment environ 300 gigatonnes.
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Il faut donc garder en tête que les terres non boisées représentent à la fois une biodiversité incroyable et un enjeu climatique essentiel. Donc, à partir du moment où elles sont touchées par l’agriculture survient une forte menace de déstockage carbone.
Pouvons-nous attendre un texte à la hauteur des enjeux de la part des États membres ?
La teneur du texte final dépendra beaucoup de ce que les pays sont prêts à pousser. Il y a donc un intérêt particulier à voir la France soutenir des positions ambitieuses, et contribuer à l’intégration des autres terres boisées. C’est-à-dire qu’au-delà des zones de forêts, on doit pouvoir protéger tous les écosystèmes terrestres. Aujourd’hui, plusieurs types d’espaces naturels, parmi lesquelles figurent les savanes et les prairies, sont menacés par les importations de produits européens. En clair, il faut que soient exclus du marché européen des produits issus et liés à la destruction d’écosystèmes naturels.
Quelle est la position de la France sur la préservation des terres boisées ?
La France s’est mobilisée fortement sur les questions de protection des espaces forestiers au début de la COP27. Le président de la République Emmanuel Macron a fortement appuyé sur le rôle essentiel de ces écosystèmes naturels. En plus de parler des forêts, il a également évoqué les tourbières et les mangroves. Le chef de l’État a même lancé une initiative avec les Philippines, le Gabon, la Colombie pour réussir à conserver des réserves vitales de biodiversité et de carbone par les écosystèmes forestiers.
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Donc, il y a une responsabilité encore plus particulière en France. De plus, rappelons que le sort de l’Amazonie concerne directement la France par le biais de la Guyane.
Que répondre aux acteurs qui verraient dans un texte contraignant sur la lutte contre la déforestation importée un coup porté aux échanges commerciaux ?
On n’a plus besoin aujourd’hui de détruire de nouveaux écosystèmes. Il y a suffisamment de terres déjà dégradées dans plusieurs régions du monde pour répondre à la demande européenne de matières premières. C’est pourquoi il faut faire évoluer le modèle. Aujourd’hui, trop d’importations de matières premières agricoles sont liées à un régime alimentaire complètement déconnecté. Cela pose des problèmes à la fois pour la biodiversité, la santé et le climat.
Il est aberrant d’importer du blé ou du soja de forêts déforestées à l’autre bout du monde pour nourrir des bêtes nécessaires au régime européen très carné. De plus, des alternatives existent. Nous pouvons développer des alternatives à domicile. C’est pourquoi nous sommes favorables au développement des filières d’autonomie protéinique et de protéines végétales. Plusieurs régions, à l’image du Centre-Val-de-Loire portent ce type de projets.
Avec cette loi, les États pourraient s’engager activement dans la lutte contre la déforestation. Mais peut-on aussi agir à l’échelle individuelle ?
Le consommateur peut agir, mais au quotidien, il n’est pas tout le temps aidé. Il faut surtout interdire aux entreprises de commercialiser des produits issus de la déforestation. C’est à elles de démontrer que leurs produits ne sont pas liés à la destruction d’écosystèmes naturels. C’est de cette façon que l’on facilitera la vie du consommateur qui est trop souvent laissé devant le fait accompli. Aujourd’hui, il n’y a aucune information sur la provenance exacte de produits comme la pâte à tartiner, le cacao ou le café. Donner l’origine géographique d’un produit ne suffit pas.
Aucun label ne peut à ce jour aiguiller le consommateur vers des produits qui ne favorisent pas la déforestation ?
Lorsque l’on fait ses courses, on se débrouille comme on peut avec les labels type « AB » ou « Fairtrade ». Ils sont importants, ils permettent de différencier les produits. Mais en matière de destruction des écosystèmes, il n’existe pas d’équivalent. Par exemple, lorsqu’une denrée est importée du Brésil, aucun label n’indique si elle provient d’un espace déforesté ou non. C’est pourquoi il est vraiment important d’agir à la source. Il est nécessaire que l’Union européenne agisse d’un point de vue réglementaire.