Créée par Elsa Chai et Vincent Pappolla, Nota Climat, composée d’une application mobile et du site OpenClimat, est une start-up qui analyse la trajectoire carbone des grandes et moyennes entreprises. Les deux entrepreneurs veulent ainsi renseigner les consommateurs sur les pratiques environnementales de leurs marques favorites.
Éco-responsable, durable, ou encore sans plastique. À l’heure où la crise climatique se hisse parmi les principales préoccupations des Français, les marques multiplient les promesses. Mais démêler le vrai du faux entre réels engagements et greenwashing s’avère souvent ardu. Pour aider le public à y voir plus clair, Elsa Chai et Vincent Pappolla, deux jeunes trentenaires reconvertis dans l’entrepreneuriat à impact, ont créé en 2020 Nota Climat. Cette application mobile répertorie plusieurs centaines de grands groupes, dont les marques sont bien connues des consommateurs, et indiquent leur empreinte carbone. Le but : débusquer celles dont les engagements sont insuffisants pour limiter le réchauffement climatique à 2°C d’ici la fin du siècle par rapport à l’ère préindustrielle.
Pour aller plus loin dans son action, Nota Climat déploie un nouveau produit. Dès ce mardi, la start-up lance un site web intitulé OpenClimat. Ses fondateurs le présentent comme un « Wikipédia de l’action climatique des entreprises ». Sur cette plateforme, les entreprises pourront présenter les actions qu’elles mettent en place pour réduire leur empreinte carbone. Dix entreprises françaises, grandes ou moyennes, inaugurent l’outil. Parmi elles : Payfit, Lunii, Juliette, Guerlain, ou encore Bouygues Telecom. Elsa Chai salue la transparence dont font preuve ces dix pionniers. « Il n’y a pas de place aujourd’hui pour l’opacité et l’inaction. Nous sommes heureux de voir ces entreprises s’inscrire dans cette dynamique de collaboration », se réjouit la jeune entrepreneure.
Nota Climat plus rapide que la Silicon Valley
Jusqu’à présent, seule la page web de l’organisation britannique Climate Disclosure Project fournissait un service du même type. « Il était temps de créer une plateforme totalement ouverte et accessible à tous, sans attendre que la Silicon Valley se mette à la page des enjeux climat et le fasse pour nous », affirme Vincent Pappolla.
Il y a quelques semaines, Natura Sciences a rencontré l’équipe de Nota Climat. À cette occasion, Vincent Pappolla et Elsa Chai sont revenus sur la genèse de la start-up, et se sont livrés à quelques révélations sur les pratiques des marques les plus connues des consommateurs.
Natura Sciences : Vous travailliez tous les deux dans le conseil en stratégie d’un groupe industriel français spécialisé dans la cosmétique. Qu’est-ce qui vous a poussé à quitter les fonctions que vous occupiez ?
Vincent Pappolla : D’un point de vue environnemental, la transparence des entreprises est lacunaire. En parallèle, plus on se renseigne sur la crise climatique, plus cela incite à agir. Les trois volets du sixième rapport du GIEC aident à réaliser l’urgence dans laquelle on se trouve. Ce sentiment d’urgence, qui a grandi pendant notre projet, est devenu notre booster numéro un.
Elsa Chai : J’ai ressenti une dissonance entre l’urgence et ce que je faisais dans mon quotidien. Parfois, j’étais frustrée de voir que des plans pouvaient être retoqués par des grands patrons qui ne voulaient pas investir dans une transformation écologique car ils n’en saisissent pas l’impact.
C’est ainsi qu’est née l’application Nota Climat. En quoi consiste-t-elle ?
Elsa Chai : C’est le Yuka du climat, pour en finir avec le greenwashing. Nous décryptons les trajectoires climatiques des grandes enseignes. Ainsi, nous voyons vers quel scénario de réchauffement climatique ces entreprises se dirigent. L’objectif est de savoir si leurs émissions de carbone sont alignées ou non avec l’objectif de l’Accord de Paris.
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Vincent Pappolla : L’application Nota Climat répertorie 500 grandes firmes, dont le chiffre d’affaires dépasse le milliard d’euros par an. Les données que nous exploitons proviennent de leurs audits extra financiers. C’est là que figurent des informations sur leurs émissions de CO2. À partir de ces données, nous observons quelle a été la trajectoire des émissions de CO2 de chaque entreprise sur les cinq dernières années. Nous analysons les données, secteur par secteur, et les comparons avec les données du GIEC. C’est comme ça que l’on définit l’impact climatique d’une entreprise.
Pourquoi est-il pertinent de s’intéresser aux groupes réalisant plus d’un milliard d’euros de chiffre d’affaires ?
Vincent Pappolla : Ces grandes firmes représentent moins de 1% du tissu économique. Mais en termes de chiffre d’affaires et de volume de ventes, elles représentent au moins deux tiers des flux. De plus, leur empreinte carbone est très élevée. Par exemple, l’empreinte carbone des entreprises inscrites dans l’application est deux fois supérieure à l’empreinte carbone de la France. Ça montre qu’en faisant pression sur quelques entreprises, qui exercent une influence forte sur leur filière, il est possible d’avoir un impact global sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Comme sur une application de rencontre, l’utilisateur de Nota Climat peut swiper pour encourager ou réprouver une entreprise. Pourquoi avoir créé cette fonctionnalité ?
Elsa Chai : Le swipe permet aux usagers d’exprimer leur opinion, à la manière d’une pétition en ligne. Ainsi, les consommateurs peuvent condamner ou applaudir l’action d’une marque. L’idée de ce swipe est de dépasser le sentiment d’impuissance ressenti à l’échelle individuelle. Si plusieurs milliers de personnes condamnent l’action d’une entreprise, il devient alors possible de faire bouger les choses de manière collective. Chaque swipe est un mini geste militant.
Vincent Pappolla : La fonctionnalité pétition en ligne est très puissante. Bientôt, nous ferons directement apparaître sur notre site internet combien de personnes condamnent une entreprise. Ainsi, cette dernière se rendra compte que sa réputation est en jeu, et donc son chiffre d’affaires. Cela l’incitera peut-être à faire les ajustements nécessaires. Notre but est de rendre du pouvoir d’action aux citoyens et leur faire comprendre qu’ils ont un réel message à envoyer aux entreprises. Quand il y a un vrai enjeu de business, les entreprises bougent.
Les marques préférées des Français sont-elles de bonnes élèves en matière climatique ?
Vincent Pappolla : Cela dépend. Par exemple, le groupe Andros ne communique pas sur ses engagements sociétaux et environnementaux. Pourtant, ce groupe génère chaque année entre deux et trois milliards d’euros de chiffre d’affaires. Plusieurs marques semblables, telles que Mamie Nova ou Bonne Maman, jouissent d’une bonne image, mais ne communiquent rien d’un point de vue RSE. Or, une entreprise qui ne communique pas sur ce point n’est généralement pas alignée avec les objectifs de l’Accord de Paris.
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Elsa Chai : De même, St Michel, la marque préférée des Français, ne publie rien sur sa politique RSE. De leur côté, Kinder et Ferrero ont des bilans catastrophiques. Ces entreprises ne réduisent même pas leurs émissions de gaz à effet de serre. Globalement, il n’y a pas de grande surprise. Si ce n’est que les entreprises se donnent une belle image artisanale et made in France, alors qu’elles ne prennent en réalité aucun engagement.
Les entreprises de fast fashion sont-elles plus climaticides que les enseignes de luxe ?
Elsa Chai : De façon intrinsèque, la fast fashion ne s’oriente pas vers la sobriété. Ne serait-ce que par le nombre de collections fabriquées chaque année. À l’inverse, il y a des groupes de luxe, comme Kering (Saint-Laurent, Gucci), qui font énormément de choses pour le climat. Mais bon, le meilleur achat reste celui que l’on ne fait pas.
Vincent Pappolla : Il y a plusieurs vitesses dans la prise de conscience des entreprises. C’est vrai dans le luxe, mais aussi dans la fast fashion. Chanel n’a commencé à s’interroger sur son impact carbone qu’en 2018. Par rapport à d’autres groupes du secteur, c’est tard. Mais aujourd’hui, l’entreprise a un plan ambitieux pour corriger sa trajectoire climatique. Dans la mode grand public, on observe la même disparité. En 2015, H&M a commencé à prendre conscience de l’urgence climatique. Depuis, l’entreprise essaie de réduire son empreinte carbone. Il faut reconnaître que ce n’est pas fameux pour le moment, mais il y a un début d’effort. Un peu plus que chez Zara. Beaucoup plus que chez Uniqlo, dont les émissions de gaz à effet de serre sont en hausse. Et énormément plus que chez Shein.
Certains secteurs sont-ils plus engagés que d’autres dans la réduction des émissions carbone ?
Vincent Pappolla : L’agroalimentaire est la filière la plus mature. La raison : c’est un secteur très dépendant des récoltes. Le climat joue sur la pérennité de leur business. Ainsi, dès les années 2000, certaines entreprises ont réalisé que le réchauffement climatique aurait un impact sur le commerce de céréales. Cela fait donc longtemps que ces entreprises réfléchissent à adapter leur business.
En parallèle, d’autres secteurs où l’image de marque est importante, comme la beauté ou l’hygiène, commencent à s’y mettre. Cela s’explique par l’importance de l’image véhiculée par le produit vendu. Si une entreprise est vue comme climaticide, elle risque de perdre de la demande. Ces enseignes voient le climat comme un risque pour leur business. Elles savent qu’elles ne peuvent pas gagner des parts de marché au détriment d’autres enseignes grâce au climat, mais qu’elles peuvent perdre des clients. Elles redoutent surtout le scandale.
Elsa Chai : Le sujet est d’autant plus important pour les entreprises qui commercialisent des produits non essentiels. Dans ces enseignes, le risque de tout perdre à cause d’une mauvaise image est très fort.