Dans une lettre ouverte, une vingtaine d’ONG posent un ultimatum aux gouvernements. Elles demandent à ce que les États respectent de manière plus décisive leurs engagements pour le climat, et menacent d’avoir recours à la justice. Explications.
« Si vous continuez à nous laisser tomber, nous nous tournerons vers les tribunaux pour demander des comptes ». Dans une lettre ouverte, les avocats d’une vingtaine d’ONG de plusieurs pays du monde, menacent les gouvernements de déposer un contentieux climat pour inaction ou insuffisance d’actions climatiques. Ces ONG proviennent par exemple d’Afrique du Sud, de Corée du Sud, d’Europe, d’Australie mais aussi du Brésil ou de la Colombie. Cette tribune intervient alors que le responsable du climat de l’ONU a dénoncé une fois de plus une« ‘indifférence » collective face au réchauffement climatique. Ce dernier s’était rendu au Pakistan, constant avec effroi les dégâts des inondations paralysant le pays.
C’est la première fois dans l’Histoire que des avocats et des ONG du monde unissent leur voix contre l’inaction climatique. Les gouvernements sont désormais avertis. Des recours juridiques seront déposés s’ils ne consolident pas leurs ambitions climatiques. Et ce, avant le lancement de la COP27 en Égypte le 6 novembre prochain. L’idée n’est pas tant d’apporter des engagements nouveaux, mais déjà de « tenir les ambitions actuelles », indique Justine Ripoll, porte-parole pour Notre Affaire à Tous, ONG française signataire de la lettre. « On voit bien que la plupart des Etats sont encore très loin des trajectoires qu’ils devraient emprunter », ajoute-t-elle.
L’appel des ONG avant le lancement de la COP27
« La COP27 est l’occasion pour vous de changer de cap », lancent les ONG dans leur lettre ouverte. Alors que les actions judiciaires « sont en cours de préparation », les ONG profitent de l’approche de la COP27 pour interpeller les différentes gouvernements. L’année dernière à Glasgow, les États ne sont pas parvenus à atteindre l’objectif des 100 milliards promis aux pays en voie de développement à partir de 2020… Cette enveloppe doit leur permettre de s’adapter au changement climatique. « La question de solidarité entre les différents pays va être au cœur de la COP27 », rappelle la porte-parole.
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Au-delà de la seule inaction climatique, les avocats et ONG accusent les États membres de violation des droits humains. « Quand on parle de crise climatique, on parle aussi de violation massive des droits humains. Là si on observe l’ampleur de la crise climatique qui va arriver, on est face à la plus grave violation des droits humains de l’Histoire », insiste Justine Ripoll. La porte-parole de Notre Affaire à Tous prend l’exemple des températures extrêmes survenues cet été. Des travailleurs ont dû exercé leurs activités dans des conditions très dures. « On n’est pas capable de garantir un travail décent à ou un droit au logement parce qu’on n’est pas capable protéger la population contre des phénomènes météorologiques extrêmes », ajoute-t-elle.
Une vague de contentieux
Des contentieux climats ont déjà été utilisés ces dernières années par plusieurs pays. Selon un rapport de 2022 du Grantham Research Institute sur les Tendances mondiales en matière de litiges climatiques, au moins 80 litiges-cadres ont été déposés contre des gouvernements du monde entier. La majorité des affaires ont été déposées dans les pays développés. « Nous ne pouvons pas continuer à compter sur la bonne volonté des gouvernements pour protéger nos droits et notre avenir, a déclaré Filippo Sotgiu, porte-parole de Fridays for Future Italy . Si nous examinons les affaires récentes, nous pouvons dire : cette tactique fonctionne ».
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Les militants se tournent alors vers la loi pour « s’assurer que les souffrances et violations des droits humains soient minimisées », continue Filippo Sotgiu. Et dans certains pays, la pression juridique a effectivement montré ses effets. « Elle a permis à des gouvernements de porter des ambitions plus fortes. Mais aussi de dialoguer avec ces ONG pour qu’elles mettent en œuvre ces décisions de justice », souligne Justine Ripoll.
Chaque victoire prononcée par un juge envoie un signal aux pays voisins. Et elle permet aux jurisprudences de se renforcer. « Nous voulons nous assurer que les pays comprennent que la loi est de notre côté », alerte Sarah Mead, co-directrice du Climate Litigation Network. Cette dernière assure que les avocats et militants continueront à utiliser ce levier pour tenir les gouvernements « responsables de leurs objectifs climatiques manqués. »
La France déjà condamnée pour inaction climatique
L’année dernière, Notre Affaire à Tous a fait condamner l’État français via l’Affaire du siècle et l’Affaire Grande Synthe. Elle reprochait au gouvernement de manquer à ses engagements climatiques. « La France n’est pas si loin de ses objectifs climatiques. Mais on constate que la baisse d’émissions est contextuellement liée au Covid-19, à la crise énergétique et à la guerre en Ukraine, nuance Justine Ripoll, s’appuyant sur les conclusions du Haut Conseil d’Etat. Sans garantie que les mesures prises apportent un impact, on va avoir du mal à ne pas être dans une illégalité climatique encore plus forte que maintenant ».
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En 2019, la fondation néerlandaise Urgenda a été la première à obtenir de la Cour suprême des Pays-Bas qu’elle ordonne à l’État de réduire ses émissions de gaz à effet de serre d’au moins 25 % d’ici fin 2020. « Le monde est témoin d’une avalanche de procès climatiques qui ne peut être arrêtée que lorsque les gouvernements seront à la hauteur », a déclaré Javier Dávalos González, coordinateur du programme climatique de l’Asociación Interamericana para la Defensa del Ambiente (AIDA) à l’occasion de la parution de cette tribune.