Une étude publiée dans la revue Nature Climate Change révèle que l’Antarctique se réchauffe deux fois plus vite que le reste du monde. Mathieu Casado, principal auteur de l’étude et chercheur en paléoclimatologie et météorologie polaire, revient pour Natura Sciences sur cette découverte. Il nous explique aussi ce que cette hausse du mercure implique sur les océans.

Il fait bien plus chaud que prévu sous les pattes des manchots. En Antarctique, le réchauffement climatique est deux fois plus élevé que dans le reste du monde. C’est ce que révèle une étude publiée ce jeudi 7 septembre dans la revue Nature Climate Change. Cette nouvelle donnée climatique résulte de l’analyse de 78 carottes de glace par une équipe de chercheurs du LSCE (France) et de l’AWI (Allemagne). Ces derniers ont pu, pour la première fois, retracer la courbe des températures de l’Antarctique sur ces 1.000 dernières années.
Et le résultat est sans appel. L’Antarctique subit aussi les conséquences des activités humaines. Les émissions de gaz à effet de serre accélèrent son réchauffement. Cette découverte remet directement en question les modèles climatiques.
La hausse des températures en Antarctique engendre divers impacts, aussi bien sur la composition de la glace que sur l’avenir des océans. Pour en apprendre davantage sur ces différents phénomènes, Natura Sciences s’est entretenu avec Mathieu Casado, chercheur en paléoclimatologie et météorologie polaire et principal auteur de l’étude. Pour lui, cette sérieuse découverte doit avant tout appeler à agir.
Natura Sciences : Vous êtes parvenus à définir les variations de température en Antarctique de ces 1.000 dernières années. C’est ainsi que vous avez pu constater un réchauffement significatif. Pouvez-vous le dater avec précision ?
Mathieu Casado : On n’a pas encore une précision extrêmement fine sur la date du début du réchauffement. Cela s’explique par le fait qu’en Antarctique, le système est extrêmement variable. Y détecter une hausse globale des températures est difficile car les relevés sont assez proches de l’amplitude de la variabilité naturelle. C’est justement pourquoi nous avons voulu prendre 1.000 ans de données. Il fallait un grand contexte historique pour comparer les données et avoir des statistiques assez robustes.

Nous ne voulions pas avoir des données qui seraient trop subjectives. Nous voulions pouvoir dire de manière absolue que ce réchauffement est factuel. Pour cela, nous avons utilisé la théorie des systèmes dynamiques. Celle-ci permet d’observer les points de données dans leur contexte global. Bien que nous ne puissions pas le dater avec exactitude, nous avons noté un réchauffement significatif de l’Antarctique à partir des années 1950. Ce qui est à peu près similaire à ce que l’on obtient dans le reste du monde.
D’où proviennent les carottes de glace que vous avez analysées ?
Nous avons pris des carottes de glace qui étaient déjà analysées dans le cadre d’une grosse coopération internationale. Elle s’appelle ISO2K, et est gérée par le groupe PAGES (Past Global Changes). C’est une association scientifique qui regroupe de nombreux chercheurs dans le monde entier. Tous ont contribué à la création d’une base de données traitées de manière très homogène. Nous étions donc certains que toutes les carottes étaient bien comparables. Cet énorme travail est, pour moi, extrêmement utile. Sans cela, il aurait fallu un travail très long pour récupérer 78 carottes une par une.
Ce sont les isotopes compris dans ces carottes de glace qui vous permettent d’affirmer la présence d’un réchauffement en Antarctique. Que désignent-ils et comment permettent-ils de mesurer les températures ?
Les molécules d’eau peuvent avoir différentes masses. Pour évaluer les températures, nous regardons quelles molécules sont plus lourdes ou plus légères directement dans la glace. Selon les températures, elles restent préférentiellement dans la vapeur ou tombent avec les précipitations. En clair, la composition isotopique de la neige, qui devient ensuite glace, est liée à la température du site.
Lire aussi : La fonte de la banquise antarctique atteint un nouveau record
Dans le cadre de cette étude, nous nous sommes intéressés aux isotopes de l’hydrogène et de l’oxygène. Nous avons constaté que plus on a d’isotopes lourds dans la neige à un site donné, plus il y fait chaud. Et inversement, moins on en a, plus il faisait froid au moment où cette neige est tombée. En regardant la concentration dans ces isotopes lourds par rapport aux isotopes légers sur toute une carotte de glace, ça nous donne la variation de température qu’il y a eu sur ce site.
Dans les 78 carottes de glace, les molécules d’eau sont mesurées pour chaque couche. Nous avons pu dater chacune d’entre elles. En les analysant, nous avons une série temporelle d’isotopes de l’eau. Cela nous a permis d’obtenir une courbe de température du passé.
Le réchauffement climatique est 20% à 50% plus élevé en Antarctique que dans le reste du monde. Concrètement, combien de degrés cela représente-t-il ?
D’après nos mesures, le réchauffement en Antarctique se situerait entre 0,22°C et 0,32°C par décennie. À titre de comparaison, d’après les rapports du GIEC, la moyenne de réchauffement global se situe entre 0,14°C et 0,18°C par décennie.
Il est important pour nous de donner ces chiffres sur le réchauffement climatique en Antarctique aussi parce qu’il y a ce phénomène qui s’appelle l’amplification polaire. Il est très connu en Arctique, qui se réchauffe trois à quatre fois plus vite que le reste du monde. Désormais nous savons à quel point il impacte également l’Antarctique.
En quoi consiste l’amplification polaire ?
L’amplification polaire est le résultat de plusieurs processus. L’une des contributions la plus souvent mise en valeur, c’est le fait que la neige ou la glace est très blanche et très brillante. Elles ont un albédo très élevé, et renvoient fortement la lumière. Or, lorsqu’elles fondent, elles laissent place à des rochers ou de la mer très foncés, qui absorbent beaucoup de lumière. Donc, ils chauffent plus. Et cela va engendrer une accélération de la fonte des neiges et des glaces. Cette boucle de rétroaction positive rend le réchauffement plus important. En plus de cela, l’atmosphère joue également sur l’amplification polaire. Une fois que le réchauffement a lieu, la circulation atmosphérique a tendance à apporter encore plus de chaleur et d’humidité dans les régions polaires. C’est une autre boucle de rétroaction positive.
Comment expliquer que le réchauffement en Arctique est plus fort qu’en Antarctique ?
Il y a plusieurs raisons pour lesquelles on s’attend à ce que le réchauffement soit plus intense en Arctique qu’en Antarctique. L’une des raisons principales est l’épaisseur de la glace et du manteau neigeux. En Arctique elle est assez faible. Comme l’Arctique est un océan, il est recouvert au maximum par quelques mètres de glace. En revanche, l’Antarctique est un continent. La glace qui le recouvre est épaisse de plusieurs kilomètres. À l’intérieur des terres, la fonte des glaces est donc plus lente.
C’est ce qui explique pourquoi les boucles de rétroaction en Arctique sont plus larges que celles de l’Antarctique. Le réchauffement climatique est plus rapide en Arctique. Il l’est trois à quatre fois plus que dans le reste du monde. En Antarctique, c’est plutôt deux fois plus.
Lire aussi : Antarctique : nager dans un lac supraglaciaire pour alerter sur l’urgence climatique
En revanche, en Antarctique, les boucles de rétroaction liées au changement d’albédo ont également un impact sur la neige. Lorsqu’elle absorbe de la lumière, des changements de température ont lieu. Ces échanges entre l’atmosphère et la neige créent ce que l’on appelle du métamorphisme. Sous l’effet de températures plus chaudes, les grains de neige grossissent. Et en grossissant, ils deviennent plus sombres. Donc il y a davantage de transmission de chaleur, et encore plus de métamorphisme. C’est une autre boucle de rétroaction positive.
Comme le volume de glace n’est pas la même dans les deux pôles, peut-on en déduire que même si l’Antarctique se réchauffe moins vite que l’Arctique, il contribuera davantage à la hausse du niveau des mers ?
L’Antarctique contribuera davantage que l’Arctique à la montée des eaux. Cela s’explique par le fait qu’en Arctique, il y a de la glace de mer. Au Nord, ce sont plutôt les glaciers continentaux des régions nordiques, au Groenland, en Islande, qui vont favoriser ce phénomène. Et comme eux, l’Antarctique est un énorme glacier.
Pour comprendre la différence, il faut se souvenir du principe d’Archimède. Mettons un glaçon dans un verre d’eau plein. Sa fonte ne va pas engendrer le débordement du verre. Le niveau d’eau va rester le même. Le glaçon est en équilibre avec l’eau en-dessous. Que l’eau soit liquide ou solide, elle occupe le même volume. C’est pareil pour la glace de mer. Elle flotte sur l’océan. Or, la glace continentale, elle, ne flotte pas du tout. Donc lorsqu’elle va fondre, son volume s’ajoute à celui des océans.
C’est pour cela que dans les pires scénarios, l’Antarctique pourrait très fortement contribuer à l’élévation du niveau des mers. C’est ce que montre le RCP 8.5 [établi par le GIEC, NDLR], projection dans laquelle nous continuerions à émettre toujours plus de gaz à effet de serre. Le GIEC a prévoit que d’ici l’an 2500, la fonte de la glace en Antarctique pourrait contribuer jusqu’à 15 mètres le niveau des mers.
Que suscitent chez vous les résultats de vos travaux ?
Même si l’on montre que les modèles actuels sous-estiment le réchauffement climatique en Antarctique, l’incertitude principale à ce stade, ce ne sont pas nos résultats. L’incertitude principale, c’est : « que feront les décideurs politiques pour limiter les émissions de gaz à effet de serre ? ». Nos recherches montrent que nos activités, même en Antarctique, dans cet endroit qui fait partie des lieux les plus éloignés du monde, ont un impact.