Areva a annoncé en avril 2015 que l’acier de la cuve de l’EPR de Flamanville présentait des anomalies de composition. Ces anomalies » seraient en réalité des « falsifications » à l’usine de fabrication du Creusot Forge. Fin mars 2017, Franceinfo révèlait des documents montrant que l’Autorité de sûreté nucléaire avait alerté EDF puis Areva sur des problèmes de qualité à l’usine Creusot Forge dès 2005. Retour sur ce long feuilleton!
Dès 2005, l’Autorité de Sûreté du Nucléaire française (ASN) avait alerté EDF, puis Areva, que l’usine Creusot Forge connaissait de sérieux problèmes de qualité. C’était avant la fabrication de la cuve de l’EPR. Mais les deux industriels ont fait la sourde oreille. La cuve a été forgée entre septembre 2006 et décembre 2007. Dès le mois d’août 2006, l’ASN s’inquiète et demande par courrier à Areva de démontrer que l’acier de ces deux pièces est bien homogène. « Pendant sept ans, les échanges de courrier se succèdent, le fabricant et l’ASN s’opposent sur des considérations techniques, mais aucune analyse n’est pratiquée », révèle Franceinfo. La cuve est installée dans le bâtiment réacteur de l’EPR de Flamanville en 2014. Ce n’est qu’au milieu de cette année qu’Areva lance des tests et découvre les anomalies.
Il faudra attendre avril 2015 pour qu’Areva notifie à l’ASN une anomalie de composition de l’acier dans certaines zones du couvercle et du fond de la cuve du réacteur de l’EPR de Flamanville. L’ASN parlait alors d’ « anomalie sérieuse, voire très sérieuse », d’« anomalies d’homogénéité » et de « zones de faible résistance mécanique intrasèque ». L’entreprise était sommée de mener des tests complémentaires. Objectif: démontrer que le matériau de la cuve peut se déformer sans se rompre. Mais aussi résister à la propagation d’une fissure sous contrainte mécanique.
Une anomalie de plus en plus sérieuse
Un an plus tard, le 13 avril 2016, Areva et EDF envoient un communiqué commun. Ils annoncent avoir découvert des anomalies plus importantes que prévu. « Les premières analyses effectuées sur deux pièces analogues à celles de Flamanville 3 ont montré, sur l’une d’entre elles, une extension du phénomène de ségrégation carbone au-delà de la mi-épaisseur », font-ils savoir. Ce qui signifie que la concentration en carbone est supérieure à ce qui était envisagé. Cette concentration importante en carbone diminue la résilience mécanique de la pièce, ce qui pose des problèmes de sûreté. En effet, la cuve, qui pèse 425 tonnes et mesure 11 mètres contient le cœur du réacteur. Elle sert de deuxième barrière de confinement aux éléments radioactifs.
L’ASN a autorisé Areva à étendre le programme d’essais à une troisième pièce. Cela permettra de « mieux caractériser la variabilité des principaux paramètres de fabrication entre les différentes pièces ». Dans le but de montrer « le caractère représentatif des 3 pièces de forge testées, à la fois pour la teneur en carbone et les propriétés mécaniques requises », soulignent les deux industriels. Face à l’augmentation du nombre d’analyses à réaliser, Areva ne transmettra le résultat de ses tests qu’à la fin de l’année à l’ASN. Au lieu de juillet. L’ASN devra ensuite valider ou non la qualité de la cuve. Son verdict est attendu en septembre 2017.
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Des « anomalies » dues à des falsifications ?
Mais les déboires ne s’arrêtent pas là. Le 29 avril 2016, Areva reconnaissait dans un communiqué que l’audit qualité de l’usine de Creusot Forge (Saône-et-Loire), lancé fin 2015, avait permis de « mettre en évidence des anomalies […] dans le suivi des fabrications ». Problème : c’est dans cette usine qu’a été forgée la cuve de l’EPR de Flamanville. Areva fait savoir que des études sont lancées pour caractériser « l’impact éventuel sur la qualité des pièces » et que pour le moment aucune information ne met en cause « l’intégrité mécanique des pièces ». Sans révéler la nature de ces anomalies, Areva assure que « l’audit mené indique que ces anomalies relèvent d’actions du passé » et que « l’organisation et les modes de fonctionnement actuellement en vigueur au Creusot ne permettent plus aujourd’hui ce type d’anomalies ».
En mai 2016, les Echos ont apporté de nouveaux éléments. Selon une source anonyme citée par le journal, il s’agissaitt de « falsifications sur des dossiers de fabrication ». Face à ces révélations, Philippe Knoche, le directeur général d’Areva a confié au quotidien économique « Je ne peux pas l’exclure ». « On a des procès-verbaux contradictoires. Soit il y a eu des essais complémentaires qui ne sont pas tracés, et il faut qu’on ait la conviction qu’ils existent. Sinon, il faudra en tirer les conséquences », a-t-il déclaré au quotidien. « Nous avons souhaité communiquer parce que c’est inacceptable mais nous sommes encore en train de chercher. »
Plusieurs incohérences mises en évidence sur des pièces nucléaires
Les Echos révèle que « selon l’Autorité de sûreté nucléaire et Areva, environ 400 dossiers de fabrication sont concernés par des « incohérences », sur environ 10.000 dossiers de fabrication audités sur une période remontant à une cinquantaine d’années ». Selon une source, « une grosse moitié des dysfonctionnements concernerait des pièces nucléaires ». Chaque dossier de fabrication porte sur une pièce forgée et comprend des procès-verbaux. Ces derniers présentent les résultats des différents tests pour s’assurer de la conformité de la pièce aux normes existantes. Mais lorsqu’un résultat dépassait faiblement les normes, les compte-rendus auraient été modifiés pour retenir une valeur « moyenne », conforme aux normes. Ce procès-verbal « officiel » était inclus dans le rapport de fin de fabrication, le seul communiqué au client.
Sur la période auditée, le site a connu plusieurs propriétaires. Areva le détient depuis 2006. Est-ce que ces pratiques ont perduré pendant longtemps et seraient à l’origine des défauts relevés sur la cuve de l’EPR? Ce sera à l’enquête de le déterminer. Les pratiques auraient cessé entre 2010 et 2012, selon les Echos. Bercy répond au quotidien :« ce que l’on sait, c’est aussi qu’il y eu des mises au rebut importantes de pièces à cette époque ». Les pièces les plus défectueuses auraient été jetées et seules les pièces dépassant faiblement les normes auraient fait l’objet de falsifications.
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Quel futur pour la filière EPR?
Bien mal en fasse à l’entreprise, ce nouvel épisode pourrait définitivement mettre fin à la confiance des clients. Par ailleurs, les résultats de cet audit pourraient sévèrement compliquer la restructuration d’Areva NP, la division Réacteurs d’Areva qui doit être reprise par EDF en 2017 et à laquelle appartient Creusot Forge. Car EDF a conditionné cette reprise à la conformité de la cuve. Cela pourrait également porter un coup dur à la réputation d’Areva et d’EDF et à l’image de l’industrie nucléaire française.
En outre, si les essais complémentaires ne convainquent pas l’ASN, cela serait désastreux pour l’avenir de la filière EPR. Il faudrait alors déconstruire une bonne partie des installations déjà en place. Les surcoûts seraient encore considérables et la mise en service serait retardée de plusieurs années. Pourrait-on alors imaginer l’annulation de ce chantier faramineux ? Ses coûts sont passés de 3,3 à 10,5 miliards d’euros et la mise en service a été reportée de 2012 à fin 2018. La santé financière d’EDF et d’Areva laisse le présager. Cette décision menacerait aussi les deux autres EPR en construction à Taishan en Chine. Certaines calottes de leurs cuves ont été forgées par Creusot Forge, selon un procédé similaire.
Auteur : Matthieu Combe, fondateur du webzine Natura-sciences.com