Vingt Français se sont envolés vers la forêt équatoriale de Guyane, pour le premier volet de la mission Deep Climate. Menés par l’explorateur-chercheur Christian Clot, ces climatonautes ont débuté un triptyque d’expéditions de recherche, unique en son genre. L’objectif ? Comprendre l’adaptation du corps humain à des conditions climatiques extrêmes. Entretien avec Jérémy Roumian, bras droit de Christian Clot, et directeur des opérations.

La forêt équatoriale de Guyane et sa chaleur humide, le désert aride du Rub Al-Khali d’Arabie dépassant les 50°C, et les terres glacées au-delà du cercle polaire arctique finlandais. Voilà les trois milieux climatiques extrêmes que vont traverser les 20 climatonautes de la mission Deep Climate. Climatonautes, c’est le terme créé à l’occasion de cette mission pour désigner ces explorateurs qui s’engagent dans un projet scientifiques hors normes.
En menant successivement ces trois traversées de 40 jours chacune, dans des milieux représentatifs de climats que l’humanité pourrait éprouver de plus en plus souvent, l’équipe va conduire un vaste protocole d’étude dans le cadre du Human Adaptation Institute. Il s’agit d’un groupe de recherche, dirigé par l’explorateur-chercheur Christian Clot, spécialisé dans l’étude du comportement humain en situation réelle. Ce protocole d’étude vise à comprendre les impacts d’un changement de climat et de conditions de vie sur des personnes vivant habituellement en milieu tempéré.
Natura Sciences s’est entretenu avec Jérémy Roumian, directeur des opérations de Deep Climate. Depuis son bureau marseillais, il coordonne l’ensemble des missions de recherches scientifiques menées à des milliers de kilomètres de là. Sous l’égide du Human Adaptation Institute, une quarantaine de scientifiques de quinze instituts et organismes (CNES, IRBA, ONERA, Kaust University…) travaillent sur les différents protocoles.
Natura Sciences : D’où vient l’idée de ces expéditions ?
Jérémy Roumian : Le projet Deep Climate vient du constat qu’aujourd’hui, de nombreux phénomènes liés au dérèglement climatique apparaissent. Outre les effets tels que les vagues de chaleur et les incendies, il y a de plus en plus de tensions dans le climat social et un gros besoin de coopération entre les hommes. Nous allons devoir nous adapter à des conditions de vie climatique contraignantes, avec des périodes de chaleur et d’humidité plus fortes, plus de versatilité dans nos climats. Il est nécessaire d’étudier scientifiquement ces incertitudes.
Nous avons besoin de comprendre, en situations réelles, comment l’humain est capable de s’adapter face à ces nouvelles typologies de climat, qui existent déjà sur la planète mais que tout le monde ne vit pas. L’idée est donc de partir en expéditions avec des gens qui ne sont pas habitués, ni à des situations ni à des climats extrêmes, pour leur faire vivre.
Qu’allez-vous étudier grâce à cette expérience ?
Nous avons cherché trois milieux climatiques qui sont caractéristiques de ce que nous pourrons vivre sur la Terre d’ici une trentaine ou une quarantaine d’années. Nous avons donc sélectionné deux climats chauds. Un humide et l’autre sec, qui seront les climats prépondérants sur Terre. À titre de comparaison, nous avons aussi sélectionné un climat froid extrême, parce qu’il est aussi nécessaire de comprendre les endroits de la planète sur lesquels il va y avoir des chutes brutale de température et des périodes de grand froid.
Lire aussi : Plastic Odyssey: départ pour trois ans autour du monde contre la pollution plastique
Nous allons étudier trois aspects. Premièrement, comment l’individu en tant que tel s’adapte et il vit ce nouvel environnement. Deuxièmement, de quelle manière les participants fonctionnent en équipe. C’est-à-dire de quelle manière est capable de fonctionner le groupe, de collaborer et de travailler pour avancer ensemble. Troisièmement nous observerons comment l’homme s’insère dans un rapport à l’environnement, à la fois pour s’adapter mais aussi pour mieux le protéger.
Quelles données vont-être collectées ?
Nous allons travailler sur des données très diverses. Au total, nous avons neuf domaines de recherche. Nous nous intéresserons notamment à la psychologie, la génétique, la sociologie, la physiologie, ou encore l’étude du microbiote. Je ne pourrais vous citer toutes les données que nous allons récolter tant elles sont variées.
Sur quelles données allez-vous vous attarder ?
Par exemple, pour la physiologie, nous mesurons la température corporelle, l’intervalle entre les battements cardiaques, les mouvements, ou encore le sommeil. Nous allons aussi mesurer la plasticité cérébrale, les émotions, la prise de décision, la perception, et la mémoire. Pour ce qui concerne le microbiote intestinal, nous allons essayer de comprendre comment il s’adapte. Plus de 40 scientifiques vont traiter ces données.
Pourquoi chaque expédition de Deep Climate dure 40 jours ?
Nous avons choisi cette durée car les études estiment qu’il faut environ 35 jours pour s’adapter à de nouvelles conditions de vie. Aussi, les textes fondateurs sur la vie humaine évoquent quasiment tous des épisodes de 40 jours de transformation. 40 jours de traversée du désert, 40 jours dans une grotte, 40 jours de déluge. Les grandes spiritualités, philosophies, religions, ont en tête ces 40 jours. C’était pour nous, scientifiques, une période de référence et nous avons voulu aussi questionner cette référence.
Comment avez-vous sélectionné les participants ?
Le plus important pour nous était d’avoir un groupe paritaire, ils ont de 25 à 52 ans. Il y a autant de femmes que d’hommes dans l’équipe. Ensuite, nous voulions que les profils sociaux professionnels soient différents et les plus représentatifs possible de la société civile. Nous avons donc sélectionné des gens aux métiers divers tels qu’ingénieur, responsable marketing, accompagnateur de haute montagne, infirmière, médecin, joaillier, agent de sécurité, marin, psychomotricienne… Le tout constitue une diversité de métiers et de personnalités. Il était aussi nécessaire pour participer d’avoir de bonnes conditions physiques et mentales.
Comment ont-ils étés préparés ?
Les participants sont formés en amont à la sécurité et aux comportements à adopter pour évoluer dans les différents milieux. Aussi, ils se sont entraînés pour être capable de porter des charges lourdes, de pagayer sur plusieurs dizaines de kilomètres. Il y a une condition physique minimale requise pour pouvoir participer. Quelques-uns avaient déjà eu dans leur passé une expérience en forêt tropicale, d’autres avaient déjà été par exemple en Laponie, mais personne n’avait vécu de manière prolongée dans ce type de conditions, en climat extrême.
De quoi sont-ils équipés lors des expéditions ?
Les participants ont un équipement adapté à chaque environnement dans lequel ils vont évoluer. Des tenues vestimentaires, du matériel de progression. Par exemple, dans la jungle, ils ont de quoi progresser à pied, ou avec des rafts pour naviguer sur une rivière. Dans le désert, ils vont tracter des chariots sur lesquels ils ont du matériel. En Laponie, il vont avoir une pulka et des skis pour le tracter sur la neige. Ils ont aussi tout ce qui va leur permettre de s’alimenter, et de cuisiner. Ils ont également du matériel scientifique, parce qu’ils doivent réaliser des protocoles sur le terrain, pour essayer de comprendre ce qu’il se passe, ce qu’il se joue en termes de commission, de prise de décision, de physiologie également. Enfin, ils ont du matériel de vidéo pour pouvoir rapporter des images de ce qu’ils vivent. Sur le terrain, ils sont en totale autonomie.
Quand aurez-vous les premiers résultats de cette mission Deep Climate ?
C’est un projet dont les résultats s’étendront sur plusieurs années. Il s’agit de protocoles lourds que nous réalisons sur 20 sujets. Néanmoins, il y aura des premiers résultats et observations dans seulement quelques mois, car certaines données peuvent être analysées et traitées rapidement.
Nous avons la volonté d’aller vite parce qu’aujourd’hui, nous sommes dans une situation d’urgence climatique. Nous faisons ces recherches dans une perspective d’action. Il faut comprendre pour pouvoir agir face à ce besoin d’adaptation et de préservation de notre environnement.