Face à l’explosion historique des prix de l’électricité en Europe, certains fournisseurs alternatifs se retrouvent en difficulté pour financer leurs approvisionnements sur le marché. En ce temps de crise, grand nombre de ménages se tournent vers EDF dont les tarifs restent réglementés. Dans ces conditions, le modèle économique des fournisseurs alternatifs peut-il survivre?
Le mercredi 14 septembre, la première ministre Élisabeth Borne dévoilait les mesures mises en place par le gouvernement pour éviter les tensions sur le réseau électrique cet hiver. L’objectif est aussi de protéger les Français de la hausse des prix. En tête d’affiche des annonces, la prolongation du bouclier tarifaire. Depuis février 2023, la hausse du prix de l’électricité est ainsi limitée à 15 %. Cela correspond à une hausse de 20 € par mois en moyenne pour les particuliers se chauffant à l’électricité, au lieu de 180 € sans le bouclier tarifaire.
EDF versus les fournisseurs alternatifs
La nouvelle annoncée en septembre avait rassuré les clients d’EDF, fournisseur et producteur historique aux tarifs réglementés. Elle avait un peu moins ravi les fournisseurs alternatifs d’électricité. Face à la flambée des cours de l’électricité, la plupart avaient dû augmenter fortement leurs prix. En effet, le prix sur le marché européen de l’électricité a atteint jusqu’à 1.000 euros le mégawattheure le 26 août 2022. Contre moins de 100 euros jusqu’à fin 2020.
Avec ces prix, les fournisseurs alternatifs ne pouvaient plus concurrencer le tarif régulé d’EDF. Beaucoup n’arrivaient donc plus à tenir leurs promesses d’alléger le portefeuille des Français. C’est le cas par exemple des fournisseurs alternatifs Ohm énergie, ou encore Mint Énergie. Le prix du kilowattheure y était en octobre 2022 de deux à trois fois plus élevé que chez EDF – entre 0,30 ct et 0,50 ct contre 0,17 ct – selon Sylvain Le Falher, cofondateur et président de Hello Watt, comparateur de fournisseurs d’énergie.
Hémorragie de clients chez les fournisseurs alternatifs
« Au delà d’une augmentation, certains fournisseurs comme Iberdrola ont même dû résilier complètement certains contrats de particuliers en leur demandant de prendre un autre fournisseur, car ils n’étaient pas en mesure de gérer cette hausse des prix du marché », avance Sylvain Le Falher.
Durant de nombreuses années, EDF a perdu des centaines de milliers de clients. Ces derniers rejoignaient des fournisseurs alternatifs, attirés par des tarifs attractifs avec l’ouverture marché de l’énergie à la concurrence en 2007. EDF voit désormais revenir en masse des consommateurs qui cherchent à nouveau la stabilité des tarifs réglementés. « Depuis le mois d’août, ce sont 100.000 clients particuliers qui reviennent chez EDF chaque mois alors qu’auparavant, c’était plutôt 100.000 clients qui partaient chaque mois », a indiqué lundi 10 octobre Marc Benayoun, directeur exécutif du groupe EDF en charge du pôle clients, services et territoires.
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La majorité des fournisseurs refusent tout nouveau client
Selon le cofondateur de Hello Watt, « certains fournisseurs avaient même arrêté la commercialisation de leurs offres ». Une affirmation confirmée par les boîtes vocales de nombreux fournisseurs, comme celle de Ilek. « Étant donné le contexte actuel du marché de l’énergie, nous ne sommes plus en mesure d’accueillir de nouveaux clients », annonçait le répondeur du service client en octobre. Néanmoins, selon Sylvain Le Falher, de nombreux fournisseurs sont revenus sur le marché depuis la hausse des prix de 15 %. « Certains, comme Vattenfall ou encore Alpiq, sont de retour avec des offres compétitives, explique le cofondateur de Hello Watt. Ces groupes ont adopté une stratégie d’approvisionnement de long terme. Les consommateurs peuvent donc pour le moment trouver des offres inférieures au tarif réglementé tout en bénéficiant du bouclier ».
Plüm énergie, fournisseur à 100 % d’électricité verte, a pour sa part fait le choix de ne pas augmenter ses prix, s’alignant sur les tarifs réglementés. « Nous sommes aujourd’hui l’un des seuls fournisseurs alternatifs à maintenir ces tarifs », commente Lancelot d’Hauthuille. Une promesse budgétaire rendue possible, selon son co-fondateur, par une « politique d’approvisionnement très prudente ». Le fournisseur avait toutefois dû arrêter la commercialisation de ses offres. « Suite à la forte augmentation des prix de la majorité de nos concurrents, nous avons eu un énorme afflux de clients, beaucoup plus que ce que nous avions prévu », confie Lancelot d’Hauthuille, cofondateur de Plüm énergie. Néanmoins, d’ici « quelques jours à quelques semaines, nous rouvrirons nos offres aux nouveaux clients », se félicite-t-il.
Prudence chez les fournisseurs alternatifs
Olivier Soufflot, directeur général délégué d’Enercoop, met également en avant la prudence de sa société coopérative d’intérêt collectif, une structure à but non lucratif. Olivier Soufflot qui vante l’aspect « 100 % renouvelable, local et citoyen » d’Enercoop, dit en effet avoir été « beaucoup plus prudent que la moyenne » pour gérer leurs coûts d’approvisionnement.
Toutefois, malgré cette prudence, Enercoop a également arrêté la commercialisation de ses offres le temps de retrouver une certaine stabilité du marché de l’énergie. Le fournisseur a aussi augmenté ses tarifs en avril dernier, le prix du kWh y est désormais à 0,24 €.
« La façon dont le marché européen de l’électricité a été imaginé n’est absolument pas adaptée à ces situations de tension sur la disponibilité de l’énergie », s’agace le directeur général délégué d’Enercoop. « Il est urgent de revoir nos modes de consommation : le bon kilowattheure c’est le kilowattheure qu’on ne consomme pas ». Un avis partagé par le co-fondateur de Plüm énergie. De son côté, il espère que cette situation entraînera la prise de conscience qu’il y a urgence à faire des économies d’énergie.
La survie des fournisseurs alternatifs d’électricité dépendra de la durée de la crise énergétique. « La question qui reste en suspens, c’est comment va avoir lieu l’atterrissage, développe le cofondateur de Plüm énergie. Actuellement nous sommes très écartés des réalités du marché, c’est-à-dire des coûts réels de l’énergie dans le reste du monde. Lorsque l’État ne financera plus le bouclier tarifaire, ça sera plus compliqué pour les fournisseurs alternatifs ». Comme toutes les entreprises, ces fournisseurs espèrent des annonces de soutien du gouvernement dans les prochains mois, avant la fin du bouclier tarifaire, prévue en décembre 2023.