Jean-Pierre Gattuso, océanographe et directeur de recherche au laboratoire de Villefranche nous parle de l’état de nos océans et de la hausse du niveau de la mer. Si pour le scientifique limiter le réchauffement à 1,5°C d’ici 2100 est utopique, il ne faut pas pour autant désespérer.
Natura Sciences : Quel est l’état de nos océans ?
Jean-Pierre Gattuso : Il est difficile de répondre à cette question, car l’état des océans varie selon les régions. Il change selon la proximité avec les côtes ou encore selon la profondeur. Mais prenons l’exemple de la mer Méditerranée : son état s’est considérablement amélioré au niveau de la pollution par les eaux usées, car la Commission européenne a obligé toutes les communes côtières à avoir des collecteurs d’eaux usées et des stations d’épurations. En revanche, la pollution par les plastiques a pas mal augmenté ces dernières années. C’est un problème majeur dans le monde entier.
Aujourd’hui les principales menaces pour l’océan sont régionales ou locales, c’est-à-dire qu’il s’agit des activités humaines. Par exemple ce qu’on a fait ici au niveau de la Méditerranée, avec la construction de ports, la destruction du trait de côte, a été dramatique.
Progressivement, les variables climatiques vont prendre de plus en plus d’importance. Le réchauffement climatique a déjà aujourd’hui une conséquence pour certains écosystèmes : des bancs de poissons se déplacent, l’acidification de l’eau va avoir un impact sur les organismes, le niveau de la mer va continuer à monter.
Peut-on réellement limiter la hausse du réchauffement entre 1,5°C et 2°C d’ici 2050 ?
En pratique ça n’est pas du tout possible. Nous ne sommes pas sur des trajectoires climatiques suffisamment résolues pour atteindre cet objectif. Et c’est notre rôle en tant que scientifiques de dire qu’il y a beaucoup de « blabla » mais peu d’action.
Aujourd’hui nous ne sommes tout de même plus sur le scénario très pessimiste qui était d’une hausse de 5°C. Aujourd’hui nous sommes davantage sur une hausse de 3°C à 3,2°C degrés d’ici 2100. C’est moins que le scénario que l’on craignait avant mais c’est encore loin de l’objectif de 1,5°C à 2°C. L’action climatique existe mais elle est tout à fait insuffisante.
En 2018 le GIEC disait qu’il était possible de rester sur cette limite de 1,5°C à 2°C. Mais pour ça il faut être capable de capter le CO2. Et ça, aujourd’hui, on ne sait pas le faire à une échelle nécessaire. C’est dangereux de baser l’avenir climatique sur des techniques qu’on ne sait pas faire.
Quelles seront les conséquences ?
Les conséquences seront très diverses. La première est peut-être l’une des plus spectaculaire. Je parle de la mortalité massive des organismes marins comme la grande barrière de corail qui a blanchi à trois reprises durant ces 6 dernières années.
Aujourd’hui en France, il y a des zones qui ont déjà été évacuées à cause de la montée des eaux. C’est simple, face à ça, soit on s’adapte, soit on déménage. Dans un futur assez proche la Camargue risque de subir une montée des eaux très importante. Ou même ici à Nice, l’aéroport qui est construit sur la mer, va probablement devoir être surélevé. C’est encore plus dramatique dans les petites îles du Pacifique qui risquent de disparaître. Avec la montée du niveau de la mer, elles seront balayées par les vagues lors des tempêtes. La migration de ces petits états va devenir monnaie-courante.
Le GIEC estime que, d’ici 2050, l’augmentation du niveau de la mer pourrait atteindre 1,1 mètre en 2100 et plusieurs mètres d’ici 2300.
Sentez-vous une réelle prise de conscience sur le sujet ces dernières années ?
Absolument pas, je pense que non. Pour la plupart des gens, 2100 c’est loin. Ils ne s’en préoccupent pas. Ils ne se préoccupent pas des générations futures. C’est injuste de laisser aux générations futures la gestion des erreurs qui ont été faites dans le passé.
La COP26, un espoir ?
Je pense qu’il faut se parler, les décideurs doivent se parler. Il faut essayer de convaincre des pays comme l’Inde ou la Chine de mettre en application leurs promesses. Pour se parler les COP sont indispensables. J’ai assisté à plusieurs d’entre-elles, mais je n’irai pas à celle de Glasgow car c’est, aujourd’hui, une affaire politique. C’est aux dirigeants de mettre en application l’accord de Paris. Il n’y a rien à ajouter. Le traité existe, il faut tenir les promesses annoncées en 2015, notamment sur l’aide aux pays en développements, qui devaient recevoir une aide de 100 milliards de dollars par an, et ça n’a jamais été le cas. Il faut une pression entre pays et une pression des citoyens vers leur gouvernants. Le GIEC a déjà tout écrit, il faut juste prendre ça en compte et décider.
Un dernier message à faire passer, plus positif ?
Il est extrêmement important de dire ce qui ne va pas, mais aussi de dire ce qui va bien. Par exemple, la population de baleines à bosses, qui était limitée à une dizaine d’individus dans les années 70, comporte maintenant quelques centaines de milliers de membres. Le tout, grâce à la prise de conscience sur la chasse. Le thon rouge est aussi un exemple de la sorte.
Quand on a une bonne gouvernance et de la volonté on peut renverser la vapeur, reconstituer la vie marine et revenir en arrière. Il faut notamment saluer l’extraordinaire travail des Vietnamiens sur la mangrove du détroit du Mékong qui a été totalement détruite lors de la guerre du Vietnam à cause du napalm. Aujourd’hui elle a été restaurée grâce à la population et cette mangrove revit. Les récifs de certaines îles du Pacifique sur lesquelles ont été effectués des tests nucléaires, se sont reconstitués. Ce n’est plus le même, on n’y trouve plus les mêmes espèces, mais il se sont reconstitués.
Donc reconstituer la vie marine en 50 ans, c’est possible, et c’est surtout important, éthique et indispensable. C’est notre rôle de dire que tout n’est pas perdu. L’avenir de l’océan est entre nos mains.
Propos recueillis par Léo sanmarty