Ces dernières semaines, de nombreuses interpellations sur les réseaux sociaux visent les usagers des jets privés. Utilisé par une petite partie de la population, ce moyen de transport s’avère plus polluant qu’un avion commercial. Natura Sciences vous aide à mieux comprendre l’impact climatique des jets privés en quatre points.
Des célébrités américaines aux grandes fortunes françaises comme Bernard Arnault (patron du groupe LVMH), les vols en jets privés ont passionné les Français cet été. Un vol de 35 km entre Nice et Cannes, un vol de Londres ouest… à Londres est par le milliardaire du groupe LVMH, ou un quintuple vol dans la même journée pour l’avion du groupe Vincent Bolloré… L’utilisation des jets privés sans encadrement interroge la redistribution des efforts pour le climat. À tel point que le compte Twitter @i_fly_Bernard suit désormais les vols privés des milliardaires français pour calculer leur rejet de CO2.
Après les interpellations sur les réseaux sociaux, les politiques se sont emparés de la polémique, faisant apparaître des positions divergentes. Du côté des écologistes, Julien Bayou souhaite interdire les jets privés pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre. Le gouvernement, lui, suggère plutôt de réguler les vols. « Ce n’est pas avec les jets qu’on réduit massivement les émissions », a déclaré le ministre délégué aux transports, Clément Beaune, jeudi dernier sur Télé Matin.
Alors que la question de leur interdiction divise la France, Natura Sciences vous éclaire sur la pollution des jets privés et leur possible décarbonation en quatre points.
Quel est l’impact des jets privés sur le climat ?
À ce sujet, le rapport « Private jets: can the super rich supercharge zero-emission aviation? » publié en mai 2021 par la fédération d’ONG Transport & Environnement souligne la responsabilité des jets privés dans les émissions carbone. Ceux-ci seraient « cinq à quatorze fois plus polluants que les avions commerciaux (par passager) et 50 fois plus polluants que les trains ». Un impact « disproportionné sur l’environnement » pour Transport & Environnement. Le rapport indique par ailleurs qu’un seul jet privé peut émettre « deux tonnes de CO2 en une heure ».
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Si l’impact apparaît disproportionné, le fait qu’il soit causé par un groupe minoritaire et particulièrement aisé fait réagir. « Seulement 1% des personnes sont à l’origine de 50% des émissions mondiales de l’aviation », continue l’étude. Néanmoins, les émissions de CO2 dues aux jets privés ont augmenté de 31% entre 2005 et 2019. Ceci avant que la crise du Covid-19 ne maintienne les appareils au sol. Cette croissance a par ailleurs su rebondir plus rapidement que l’aviation commerciale. Cela s’explique par l’utilisation de jets privés sur de courtes distances. « En 2019, un dixième de tous les vols au départ de la France ont été effectués avec des jets privés. La moitié ont parcouru moins de 500km », dévoile le rapport. La revue scientifique Global Environmental Change précise quant à elle que les jets privés représentent 4% de consommation de carburant de l’aviation dans le monde.
Qui veut interdire les jets privés ?
L’interdiction des jets privés divise les classes politiques à l’Assemblée. Le député Julien Bayou (EELV) souhaite par exemple déposer d’ici cet automne une proposition de loi visant à interdire les jets privés. « On ne peut plus tolérer que des personnes crament en quelques vols par semaine l’équivalent de la consommation d’un français moyen sur 50 ans », a-t-il déploré au micro de RMC. Pour lui, supprimer les lignes d’aviation privée permettrait de « réparer » une injustice sociale et climatique. Pour renforcer la mobilisation autour de cette interdiction, le député a mis en place une pétition en ligne. L’ONG Agir pour l’Environnement, en a également créé une.
Le gouvernement se dit lui ouvert à une régulation. Le ministre délégué aux transports, Clément Beaune, a proposé pour sa part une concertation européenne pour réfléchir à des systèmes de compensation. Alors qu’il appelle les Français à la « mobilisation générale », son collègue Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, décrète quant à lui que l’usage privé représente « une toute petite partie de l’usage de l’avion ». « Ce n’est pas ça qui va refroidir la planète » a-t-il ajouté.
Interdire les jets privés permettrait-il de diminuer suffisamment les émissions de CO2 ?
Là encore, les affirmations des politiques s’opposent. Ceux qui estiment qu’une interdiction des jets privés est trop radicale préfèrent imaginer d’autres solutions pour diminuer les émissions carbone des jets privés. « On peut donner différents outils qui peuvent être sollicités pour une interdiction restreinte ou une interdiction plus ciblée, comme ne pas autoriser leur usage en dessous d’une certaine distance », informe Aurélien Bigo, chercheur associé à Chaire Energie et Prospérité sur la transition énergétique des transports.
Le ministre délégué Clément Beaune réfléchit en ce sens à un système de taxation sur le coût des carburants des jets privés. « Quelque part, taxer les plus aisés reste un symbole pour donner l’impression que tout le monde est mis à contribution en fonction de ses moyens et de son empreinte carbone », admet Aurélien Bigo. Cependant, le critère financier comporte tout de même un risque selon ce dernier. « Les plus aisés peuvent se permettre ce type de transport. L’incitation prix aura alors peu d’impact, ne permettant pas de baisser le nombre de vols et les émissions de CO2 ». Pour le chercheur, une interdiction ciblée sur un ensemble de vols apporterait plus de résultats qu’une taxation.
Si Olivier Véran s’oppose à l’interdiction des jets privés, c’est également parce qu’ils seraient bénéfiques au système économique français. « Dans la grande majorité des cas, ce sont des transports commerciaux, c’est créateur d’emplois », a-t-il déclaré sur France Inter, tout en affirmant que « les symboles sont importants ». Aurélien Bigo revient sur ces propos. « Même si ce sont des vols commerciaux, il existe d’autres modes de transport moins polluants que les jets privés pour se déplacer en France ou à l’international, comme le train ». Pierre Leflaive, responsable transports au Réseau Action Climat, confirme sur Twitter que l’interdiction des jets privés n’« empêchera pas le changement climatique », tout en soulignant qu’il n’existe pas de mesure « qui permette à elle-seule d’atténuer drastiquement ses conséquences ».
Quels sont les projets de décarbonation pour l’aviation privée ?
Dans son rapport, Transport & Environnement pose plusieurs recommandations sur la table. Le collectif propose dans un premier temps l’autorisation unique d’avions à hydrogène ou électriques alimentés d’ici 2030, pour les vols de moins de 1 000km en Europe. Vient ensuite une proposition de taxe sur les billets de tout vol privé au départ de l’Europe. Transport & Environnement propose également une réduction de l’utilisation des jets privés de la part des particuliers et des entreprises en attendant le développement de nouvelles technologies.
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« Ces projets de décarbonation sont même plus simples à réaliser sur des jets privés que sur des avions long courrier, explique Aurélien Bigo. C’est le cas notamment pour les avions électriques ou hydrogène plutôt sur des petites distances ou des avions moins capacitaires. Quant à l’électrique, cela restera un marché de petites distances avec peu de passagers. Le poids des batteries se montre assez défavorable pour un avion« . Pour le chercheur, les solutions de décarbonation pour l’aérien s’avèrent limitées. L’hydrogène décarboné et les biocarburants demeurent « extrêmement rare », rappelle Aurélien Bigo. « On sait en perspective qu’il n’existe pas de solution à court terme. Quand on parle d’avions à hydrogène, on évoque souvent 2035. Mais c’est déjà trop tard par rapport aux échéances que nous donne le Giec« .
En parallèle, le chercheur indique que les individus les plus aisés seront plus facilement « capables de débourser dans des technologies ou de l’énergie plus cher ». Mais cela reviendrait selon lui à s’interroger sur la répartition des ressources.« Ces personnes s’arrogeraient des ressources rares qui seraient mieux allouées dans une logique d’évolution vers plus de sobriété et de justice sociale et climatique », ajoute-t-il. En attendant de prochaines mesures sur les compagnies d’aviation privée, le débat sur les jets privés continue.