Une nouvelle étude parue dans la revue Nature quantifie des limites « sûres » et « justes » à ne pas dépasser pour éviter des impacts majeurs sur les écosystèmes et l’humanité.
Il est généralement accepté que six des neuf limites planétaires, ces grands processus qui assurent la stabilité et la résilience de la biosphère pour accueillir l’humanité ont été dépassées. Toutefois, pour la première fois, un collectif de plus de 40 chercheurs dévoile ce 31 mai dans la revue Nature, huit limites « sûres » et « justes » à ne pas dépasser pour le système Terre. Celles-ci doivent garantir « des conditions stables et résilientes sur Terre » et minimiser « l’exposition humaine à des dommages importants ». Elles concernent cinq des neuf limites planétaires, à savoir le changement climatique, l’érosion de la biodiversité, le cycle de l’eau douce, la perturbation du cycle du phosphore et de l’azote, et l’augmentation des aérosols dans l’atmosphère.
La limite la plus connue est celle du système climatique. Alors que le réchauffement climatique a déjà atteint +1,2°C au niveau mondial par rapport à l’ère préindustrielle, l’étude considère que la limite juste à ne pas dépasser est de 1°C. Pour autant, l’accord de Paris vise à limiter le réchauffement climatique entre 1,5 et 2°C d’ici la fin du siècle. Des dizaines de millions de personnes souffrent déjà d’impacts et ce chiffre augmentera à mesure que le réchauffement s’intensifiera.
« Revenir en arrière » sur les limites dépassées
Sur les huit limites assurant la stabilité et la bonne santé du système Terre, sept dépassent les niveaux sûrs et justes. « La science montre clairement que nous risquons de déstabiliser la planète entière et son habitabilité », commente Johan Rockström, auteur principal de l’article.
Si la planète est malade, elle n’est toutefois pas encore au stade terminal, et peut guérir. « Nous pensons que la fenêtre pour revenir en arrière vers un espace sûr est toujours possible, mais demande des transformations et une action très rapide. Il ne suffira pas de décarboner tout le système énergétique : il faut non seulement maintenir les stocks et puits de carbone dans la nature, mais aussi assurer la contribution de la nature aux hommes et le fonctionnement de la biosphère », explique Johan Rockström.
Préserver les écosystèmes naturels et modifiés
Les scientifiques estiment ainsi que pour respecter une limite sûre et juste, il faudrait préserver entre 50 et 60% de l’écosystème naturel mondial, contre 45 à 50% actuellement. L’étude propose aussi une limite pour les écosystèmes modifiés qui ont un intérêt local, par exemple pour le pastoralisme, ou l’agriculture. « Pour être accessibles aux populations, on estime qu’il faut que chaque km2 d’écosystème altéré ait entre 20 et 25% de végétation semi-naturelle », partage David Obura, co-auteur de l’étude, directeur fondateur de CORDIO Afrique de l’Est.Cette limite n’est pas respectée dans deux tiers de la superficie terrestre dominée par l’Homme, relèvent les auteurs.
Les scientifiques définissent la limite sûre et juste à ne pas dépasser au niveau local pour les aérosols à 15 μg/m3 d’exposition annuelle moyenne aux PM2,5. L’étude estime aussi qu’il ne faudrait pas modifier plus de 20% du débit mensuel des eaux de surface. Cette limite serait pourtant dépassée pour 34% de ces eaux. Concernant les eaux souterraines, la limite est simple : il faut des prélèvements annuels inférieurs à la recharge. Cette limite n’est pourtant pas respectée dans 47% des cas.
Enfin, pour ne pas détraquer les cycles naturels des nutriments, le surplus au niveau mondial ne devrait pas dépasser 57 millions de tonnes d’azote par an, contre 119 millions de tonnes par an actuellement. Et il faudrait ajouter au maximum entre 4,5 et 9 millions de tonnes de phosphore par an, contre 10 millions actuellement.
Ces résultats viendront appuyer les discussions sur les pertes et dommages, l’adaptation et la vulnérabilité lors de la COP28 à Dubai. Les chercheurs espèrent qu’ils appuieront les discussions concernant l’accélération des voies d’atténuation.